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Madame Merkel a raison: il faut parler avec Bachar

Oui, Madame Merkel a raison, il faut se résoudre à parler avec Bachar…

Je commencerai cet éditorial pour une réflexion issue de mes souvenirs d’étudiant germaniste, il y a près de quatre décennies : à cette époque là, l’Allemagne était divisée et nul n’entrevoyait la moindre perspective d’une réunification. On disait alors de la RFA que c’était un nain politique (politischer Zwerg) et un géant économique (Wirtschaftsriese). Aujourd’hui, après toutes ces décennies, la situation est tout autre. C’est Madame Merkel qui donne le ton et elle ne se gêne pas pour le faire. Et je dois dire qu’elle a raison de le faire.

La dernière déclaration remarquée de la chancelière concernant la crise syrienne constitue l’une de ses toutes premières déclarations signant cette émancipation absolue en matière de politique internationale. Et cela pose tout de même un problème au niveau de ce qu’on persiste à appeler «le couple ou le moteur franco-allemand.» Madame Merkel dit que Bachar fait partie du problème et de la solution tandis que François Hollande, suivant les déclarations de son ministre des affaires étrangères, avait un peu imprudemment dit qu’on ne parlerait pas avec Bachar, véritable boucher de son peuple (ce qui est vrai), et qu’il ne tarderait pas à tomber.

Or, aujourd’hui, on est contraint de faire machine arrière et c’est la France qui va emboîter le cas à son puissant voisin et allié alors que jusqu’ici, c’était l’inverse. On l’a même vu lors des négociations avec la Grèce où le président français a pesé de tout son poids pour éviter le grexit. Aujourd’hui, c’est l’inverse

Sans même parler du fond de l’affaire et de ce traitement asymétrique de la France et de l’Allemagne (laquelle a gardé son triple A et se trouve dans une position économique et financière nettement plus favorable que la France), il faut bien y voir un ascendant de l’Allemagne sur la politique étrangère de l’Union européenne. Ce n’est pas une mauvaise chose, même si l’on peut légitimement souhaiter un rééquilibrage  du côté français.

La déclaration de la chancelière me semble frappée au coin du bon sens et anticipe ce qui va vraiment se passer car on sait que c’est la diplomatie russe qui a repris l’initiative et a dû mener des discussions discrètes avec l’Allemagne afin de donner un grand écho au discours que le président V. Poutine va prononcer devant l’assemblée générale des Nations Unies.

Contre toute attente, et alors qu’on prédisait sa chute imminente, Bachar a su convaincre les Russes de le soutenir en mettant en valeur leur implantation dans des bases aéronavales syriennes, ce qui leur accorde une présence pérenne en Méditerranée orientale. Une telle offre n’est pas négligeable puisque les Russes n’ont plus d’autre base au Proche Orient.

Mais il y a derrière ce soutien massif des Russes à Bachar une autre considération qui relève de politique intérieure : les Russes surveillent ce qui se passe dans les républiques musulmanes du Caucase nord comme la cuisinière surveille le lait sur le feu. Ils savant que l’Etat Islamique est leur ennemi juré et qu’il faut l’éradiquer ou, à tout le moins, le contenir, faute de quoi cette idéologie islamiste va contaminer des zones entières de la Fédération de Russie.

Un tel projet, contrairement à ce que certains à Paris voulaient faire croire, présuppose un minimum de concertation avec Bachar, ce qui, nous le concédons bien volontiers, n’est pas sans poser quelques questions d’ordre éthique : comment éliminer les ennemis d’un homme qui s’est mué en boucher de son propre peuple ? Ne sommes nous pas en train de l’aider à se maintenir au pouvoir alors qu’on poursuit justement son éviction ?

Les Russes ont compris qu’il fallait diviser ou séparer les difficultés : il faut identifier l’ennemi majeur, celui qui menace tout le monde. Le cas de Bachar sera tranché après cela. Et la Syrie qui renaîtra de ses cendres ne ressemblera nullement à celle d’aujourd’hui. La seule ombre au tableau est que la Russie aura une grande influence sur la politique au Proche Orient alors qu’Américains et Israéliens avaient tout fait pour l’en éloigner. Et qui sait quelle politique le maître du Kremlin voudra y pratiquer ?

Et que peut faire la France dans tout cela ? Soyons honnêtes, pas grand chose. Il faudra, quoiqu’il arrive, rejoindre l’Allemagne qui va sûrement soutenir l’initiative russe ; et il est clair que l’UE suivra, puisque les USA ont déjà conduit avec la Russie des entretiens approfondis au niveaux des ministres de la défense des deux pays.

Un dernier point : la visite précipitée du Premier Ministre israélien Netanyahou à Moscou, une avant-veille de yom kippour (le jeûne juif le plus important du calendrier liturgique), suffit à elle seule à montrer l’importance des tractations en cours. L’Etat juif redoute qu’une partie de l’armement russe sophistiqué livré à Bachar ne tombe entre les mains du Hezbollah …

En conclusion, Vladimir Poutine a réussi à se rendre indispensable et incontournable malgré son annexion scandaleuse de la Crimée. Le pape François, admirable messager de paix et d’amour, a encore beaucoup de travail à accomplir pour établir enfin un ordre éthique universel.

Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 26 septembre 2015

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