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Emmanuel Macron à la Sorbonne: mauvais timing pour un catalogue de la Redoute

Macron Sorbone reuters.JPGEtait-ce une bonne idée de prononcer un tel discours sur l’avenir de l’Europe alors que le pays voisin qui détient les clés de toute avancée, de toute innovation dans le domaine européen, risque d’être bloqué, paralysé, pendant de longues semaines avant de former un gouvernement puisque Angela Merkel paie les erreurs de sa politique migratoire : plus d’un million d’électeurs lui ont faussé compagnie pour se jeter dans les bras de l’AFD.

Ce n’était pas une bonne idée de tenir un tel discours, qui a duré près de 90 minutes, dans un lieu chargé d’histoire, mais un discours qui tenait plus du catalogue de la Redoute que d’un programme politique réalisable dans un avenir proche. En suivant ce discours en direct, j’ai eu un réflexe, j’ai immédiatement pensé au grand discours prononcé le 11 mars 1812 à la Sorbonne par Ernest Renan sur un thème voisin :

Qu’est ce qu’une nation ?

 

Qu’est ce qu’une nation ? N’est pas Renan qui veut mais on pourrait substituer au titre le titre suivant : Qu’est ce que l’Europe de demain ? Aurons nous un jour une nation européenne digne de ce nom ? Tout d’abord, une remarque d’intérêt général : tous les présidents français ont cédé à cette tentation : marquer les esprits, marquer leur temps en jouant au professeur, au maître ou guide spirituel, et de préférence depuis la très haute et très enviée chaire de la Sorbonne. Mais pour atteindre cet objectif, il faut se plier à des règles strictes.

A la Sorbonne, on ne prononce pas un discours de politique générale, de chef de parti ou d’une obédience maçonnique, on traite les choses au plan spirituel, de manière à ce que cela subsiste dans nos mémoires et dans celle du pays tout entier. Ce discours de Renan est le plus connu de toutes ses allocutions, tout comme Souvenirs d’enfance et de jeunesse est son ouvrage le plus célèbre.

Vers 1900, peu d’années après la disparition de l’auteur, toute famille française qui se respectait possédait dans sa bibliothèque privée. Mais les idées développées par Renan dans son allocution n’ont rien à voir avec ce qu’on a entendu hier. Il est temps d’y venir.

Quand on veut parler à la Sorbonne, on doit situer le discours à un niveau philosophique, voire spirituel, très élevé.

Je laisse à de plus experts que moi le soin de déterminer si tel fut le cas. En revanche, ce qui me semble incontestable, c’est la longueur : 90 minutes c’est trop, beaucoup trop, la moitié eut été amplement suffisante. Mais il y a une autre faiblesse, bien plus grave, dans ce discours, c’est son côté brochure, catalogue.

Trop de mesures énoncées les unes à la suite des autres, certaines essentielles et indispensables, d’autres de moindre importance, parfois même des serpents de mer dont on sait qu’il n’en sortira rien. Ce côte-à-côte a porté atteinte à des projets vitaux pour l’Europe et que le président de la République a eu raison de souligner avec force : l’harmonisation des politiques budgétaires et fiscales, la création d’une défense européenne digne de ce nom, la création d’une agence du renseignement destinée à combattre le terrorisme, etc…

Tout ceci est très bien au plan des idées mais pose la question du financement. Or, les futurs membres de la coalition gouvernementale outre-Rhin, notamment les Libéraux, ne veulent pas en entendre parler car ils soupçonnent la France de vouloir faire endosser à l’Allemagne le poids de la dette française. Ils craignent qu’on veuille mutualiser les pertes que la plus grande puissance de la zone euro serait contrainte de financer. En gros, les Allemands saluent poliment ce catalogue d’idées mais pensent que leur concrétisation ne verra pas le jour avant bien longtemps.

En fait, E. Macron n’aurait pas dû tenir un tel discours dans de telles circonstances.

Il fallait tenir compte du résultat des élections allemandes. Cette allocution se voulait un acte fondateur, une refondation de l’idée européenne elle-même, mais sans jamais se soucier de la mise en chantier des mesures annoncées. Or, l’avis du voisin allemand est primordial ; si A. Merkel a d’autres idées en tête, je doute que le président français puisse aller à l’encontre de cela…

Il faut se méfier de la confusion, si courante en France, entre les actes et les idées. Certes, il faut être animé d’une vision et porteur d’un projet. Le président a tenté de le faire hier, y est il parvenu ? Avec tout le respect dû à l’homme et à sa fonction suprême, j’en doute un peu. Mais que peut faire la France ? A-t-elle les moyens de son ambition ?

Déjà les commentateurs soulignent que A. Merkel va plus suivre les exigences des partenaires de sa coalition que les desiderata de Monsieur Macron. En d’autres termes, un peu tachless, la France va devoir attendre puisque les moyens pour agir seule lui font défaut. Les leaders de Bruxelles applaudissent des deux mains mais tout en sachant que le pays n’a pas réussi à réduire ses déficits importants.

La question est toujours la même : qui va payer ?

La France souhaite, par exemple, créer un sous groupe au sein de la zone Euro où seuls seraient présents les Etats en mesure de tenir le rythme et de continuer à avoir l’Euro. Mais certains se posent déjà la question cruciale : la France elle-même est elle assez forte pour en faire partie ?

Les grandes idées d’E. Macron à la Sorbonne sont censées ouvrir la voie vers l’avenir. Mais le discours n’avait pas suffisamment de profondeur philosophique. Certes, les envolées lyriques font même parfois penser au romantisme politique de l’Allemagne du XIXe siècle, mais cela ne suffit guère. Espérons, cependant, que l’idée d’une Europe plus unie, mieux organisée, solidaire et prospère finira par triompher. Mais cela ne se fera pas par un coup de baguette magique, ni par des discours, si bien intentionnés soient ils…

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