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Potok IV face à l’islam et au christianisme…

Chaïm a divisé son beau livre d’histoire en quatre parties ; j’entame l’avant-dernière qui s’occupe des relations Ô combien conflictuelles entre le judaïsme d’une part, et d’autre part le christianisme et l’islam… Le judaïsme a subi la dure punition qui affecte tous les précurseurs ou, pour reprendre l’expression mentionné dans la série consacrée à ce savant sémitisant que fut Renan, le peuple d’Israël a voulu rédiger l’histoire du monde mais pour ce faire il a dû renoncer à la sienne propre : en s’ouvrant aux autres peuples, en leur faisant bénévolement l’apostolat du monothéisme éthique et du messianisme, il devait disparaître. Heureusement ce postulat de base, cette loi d’airain du développement historique ne s’est pas avérée dans ce cas précis du peuple juif. Mais il a payé très cher ce démenti infligé à une loi de l’histoire : naissance, floraison et pour finir, déclin. Israël a échappé à ce schéma classique de l‘histoire ordinaire mais il a dû en payer le prix ; deux millénaires de dispersion et de persécution, un changement complet de ses prédispositions pour sortir de sa petite Judée natale et devenir un facteur de portée universelle.

Un penseur juif du XIXe siècle ashkénaze, Nahman Krochmal a rédigé un livre intitulé Moréh nebukhé ha-zeman, Le Guide des égarés de notre temps.  Il fut édité à titre posthume par son ami et confident Léopold Zunz. Il fut l’un de ceux qui démentirent cette loi de l’évolution historique : le peuple d’Israël n’y est pas soumis, il existe encore alors que tous les autres peuples antiques auxquels il fut confronté, ont péri…

Aux origines des contestations judéo-chrétiennes, il y a justement ce conflit entre le particularisme et l’universalisme. Les premiers chrétiens, membres de l’église primitive, ont voulu voir dans leur nouveau credo la conjugaison de ces deux idées apparemment contradictoires, à savoir, pour être un adepte de la nouvelle religion, il fallait renoncer à l’ancienne… Mais ce postulat semble inexact car nulle part vous ne trouverez dans les logia de Jésus le renoncement à sa religion première, celle dans laquelle il est né. Mais, que le judaïsme de cette époque ait été affecté par maints manquements, nul esprit impartial ne songe à le nier ni à le contester un tant soit peu.

Ces juifs qui quittèrent au fil du temps leur synagogue pour prier ailleurs, n’étaient pas dépourvus de nobles sentiments, ils ont inauguré un processus historique qui contenait en germe, hélas, les ingrédients de la partition. Leur revendication majeure tenait à ce chapitre opposé du particularisme et de l’universalisme. Ils voulaient élargir le sein d’Abraham. La meilleure illustration de cette volonté forte nous est donnée par le cas de Saül de Tarse, devenu saint Paul, pur produit de l’enseignement des sages à l’enseignement desquels il avait commencé par adhérer de toutes les fibres de son être, au point de vouloir persécuter les judéo-chrétiens à Damais. D’où l’expression le chemin de Damas ( Saül, Saül, pourquoi me persécutes tu ?). Cet homme que Nietzsche accuse d’avoir accaparé la nouvelle religion au point de la nommer le paulisme au lieu du christianisme, a entrepris de longs voyages pour catéchiser non seulement les masses païennes mais aussi les communautés juives de tout le bassin méditerranéen. On connaît la suite. Ceux des juifs, restés fidèles à la synagogue et peu désireux de se fondre dans un océan de paganisme, furent bientôt désignés à la vindicte des membres d’une église, devenu majoritaire et puissante.

Je me souviens d’un dîner avec notre ancien président de l’univers de Strasbourg, feu le professeur Etienne Trocmé, grand spécialiste mondialement connu de l’Evangile selon saint Marc qui m’avait dit la phrase suivante, d’un humour très britannique (son épouse était anglaise) : les chrétiens du premier siècle ne savaient pas encore qu’ils n’étaient plus juifs…

J’ai longuement médité cette phrase et les développements de Chaïm vont dans le même sens : en déracinant les pratiques juives ramenées au rang de fossiles, d’héritage d’un passé révolu et dénué de sens. Saint Paul a visé ce qu’on nomme dans les vulgates marxistes ; faire du peuple. Il n’avait pas tort mais il a perdu de vue que cette massification de son christianisme s’est faite au prix de beaucoup de sacrifices et de renoncements. Or, ce sont les paîens qui auraient dû s’adapter à la religion d’Israël, et non l’inverse. Les moyens ont peu à peu pris la place de l’objectif…

Par la suite, lorsque les juifs, restés juifs, suivirent leur chemin propre, la nouvelle communauté, tout juste émancipée des pratiques ancestrales, devint ce qu’on appelle une église triomphante, jalouse de son pouvoir et désireuse d’imposer sa loi à la matrice juive qui lui avait donné naissance. Des persécutions sans nom se déchaînèrent au fil des siècles, notamment durant le Moyen Age. La foi juive fut décriée, on articula contre ses adeptes des accusations insensées comme celle de meurtre rituel ou  de profanation de  l’hostie, sans oublier le peuple déicide… Mais un mot tout juste sur le sang : les juifs de tout temps, déjà dans les premiers chapitres de la Bible hébraïque, interdisent la consommation de sang animal, comment vouez vous qu’ils consomment du sang humain, du seul fait de je ne sais quelle haine imaginaire envers les chrétiens ?

Devenue une puissance temporelle tout en gardant un pied dans le spirituel et le religieux, l’église cultiva hélas un antisémitisme à la fois social et théologique, et c’est ce dernier qui arma le bras des agresseurs d’Israël. Que de controverses religieuses au cours de ces années de ténèbres et de sang (expression de Chaïm), se terminant toujours par des condamnations des juifs, même lorsque ces derniers avaient critiqué les fondements surnaturels et mythologiques de la religion chrétienne, présentée comme l’authentique religion du Christ. Vous avez bien senti que je suis plutôt tendre avec le christianisme, contrairement à Chaïm qui, lui, avait des raison d’être plus sévère que je ne le suis. J’ai tant d’amis chrétiens parmi lesquels beaucoup sont des amis d’Israël et j’ai du respect pour leur religion. J’ai écrit précédemment que le débat entre eux (nos anciens frères) et nous, c’est un débat entre nous, juifs, et nous-mêmes. D’un autre côté, un penseur judéo-kantien comme Hermann Cohen n’a pas hésité à écrire que le catholicisme  était une pure mythologie.

Il en est tout autrement de l’islam qui tenta de convertir les juifs d’Arabie dont certains se rallièrent, soit sous la contrainte, soit de leur propre gré. Chaïm, très bien prédisposé à l’égard de l’islam,  cite son propre cas : quand il était très jeune, un vieux juif d’une grande piété lui avait donné des informations fort négatives sur la religion de Mahomet et il dut se détacher de ce jugement dénué de fondement. Les Arabo-musulmans ont aussi des qualités aux yeux de Chaïm qui ne veut pas oublier les atrocités des chrétiens à l’encontre des juifs. Et puis, il juge que les Lumières médiévales se sont manifestées à Cordoue, en terre musulmane alors que la scolastique chrétienne a longtemps végété dans les ténèbres : tel est l’avis de Chaïm 

Il existe une scolastique judéo-arabe mais il n’en existe pas, dans la même mesure dans le camp judéo-chrétien. Je laisse de côté des penseurs comme Eliya Delmédigo, maître d’hébreu de Pic de la Mirandole, qui édita des textes sur l’intellect de Jean de Jandun… Il existe de tout temps un judéo-christianisme, il n’existe pas de judéo-islam,  mais il existe une langue judéo-arabe urilisée même par Maimonide en personne. Cela est probablement dû à l’extrême proximité des deux traditions, issues d’un tronc commun : l’une, la nouvelle, a cherché par tous le moyens à prendre le contrôle de l’autre. Ce qui n’exclut guère de la part des musulmans des tentatives souvent violentes de conversion forcée des juifs accusés d’avoir falsifié leurs Ecritures où la venue du prophète Mahomet était prévue allusivement. Ces relations intercommunautaires  n’obéissaient pas à des règles fixes ; par exemple, dans Al-Andalous, l’Espagne musulmane, il n’était pas rare que des juifs fussent premier ministre ou médecin personnel de tel ou tel potentat musulman. Samuel ibn Nagréla en fit la douloureuse expérience. La situation, pour tout dire, était précaire, voire hautement instable. La meilleure preuve en est Maimonide en personne, fuyant son Espagne natale pour se rendre à Fes qu’il dut aussi quitter précipitamment,, tant il était menacé de devoir s’islamiser sous la contrainte. C’est en Egypte, terre d’Islam, qu’il trouva enfin un havre de paix. Chaïm évoque le cas de Maimonide, le célèbre médecin de Cordoue, mais il parle aussi de tous ses devanciers.

On peut parler d’un contraste quand on compare les relations des juifs avec les musulmans, d’une part, et des juifs et des chrétiens d’autre part. Mais Chaïm accorde un soin particulier à la description de la naissance du christianisme, suivant pas à pas le récit évangélique sur Jésus et accordant aussi une attention spéciale au zèle convertisseur de Saint Paul. Le ton demeure placide, paisible.

Chaïm détaille un peu l’installation des communautés juives dans toutes les régions d’Europe, notamment dans les pays germaniques. Il pose les jalons de la culture juive, toujours centrée autour de l’exégèse de la Torah, mais aussi ouverte à la culture universelle et aux sciences. . Il montre aussi la compatibilité e l’identité juive et de la culture européenne, elle-même nourrie, sans toujours en prendre conscience, par la Bible et ses valeurs. La Bible hébraïque et son Décalogue sont la constitution spirituelle de l’Europe. Elle est judéo-chrétienne.

Il faut redonner vie à cette réalité qui a tendance à se dissiper dans notre paysage religieux. Après tout, avant le Christ il y a eu Jésus, en hébreu Yeshou. Et les amitiés judéo-chrétiennes, telles que pratiquées par le regretté Jules Isaac.

 



 

 

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