Marcel Gauchet, La droite et la gauche. Histoire et destin. (Le Débat). Gallimard,
Passionnante enquête sur l’origine de ces deux vocables qui résument à eux seuls toute l’évolution de la philosophie politique, pas uniquement en France mais partout dans le monde. Comment en est-on venu, même de nos jours, à résumer et à classifier les tendances politiques par des emplacements spatiaux tels que la droite et la gauche. Et qui allait donner l’expression politique : de droite ou de gauche… C’est sur l’origine de cette dévolution, à la droite le conservatisme, à la gauche le progressisme, que porte ce livre, écrit par l’un de nos meilleurs spécialistes de philosophe politique.
Marcel Gauchet, La droite et la gauche. Histoire et destin. (Le Débat). Gallimard,
C’est une histoire fort intéressante : comment ces deux vocables (la droite et la gauche) ont été chargés de pratiques politiques opposées alors qu’il ne s’agissait, à l origine, que d’une assignation spatiale afin d’y voir plus clair et de faire respecter une discipline : on disait tels élus du peuple à la droite du bureau du président et les autres élus à sa gauche. Rien de plus. Mais cela n’induisait pas de programmes politiques précis, du temps de la Révolution française. Et pourtant… Il est vrai que les Français sont le peuple le plus politisé qui soit et que cette appellation, le clivage gauche / droite, fut appelée à une fortune mondiale.
On peut se demander pour quelle raison ce n’est pas une classification inverse qui a prévalu. La droite aurait pu être pourvue de tous les projets progressistes, sociaux, et autres tandis que la gauche se serait vu dotée d’idéaux nettement plus conservateurs. M.G. fait allusion à ce que cherchait à réaliser l’actuel président de la République qui se rêvait au-dessus de ce fameux clivage, lequel réaffirme ses droits chaque jour un peu plus. On connait la suite. Le clivage n’avait disparu qu’en apparence.
M.G. écrit : c’est en fonction de ce mode spécifique de distribution des forces politiques que les dénominations de droite et de gauche acquièrent sens et nécessité. A cet égard, les années 1815-1820 représentent la période véritablement matricielle où elles se fixent et s’accréditent de manière définitive.
Il fallait bien rendre compte de la diaprure politique de la Chambre, même si l’on arrivait à des expressions du genre : A l’extrême gauche de la droite… Gauche et droite s’enracinent durablement dans le vocabulaire politique. M ;G. recherche dans les discours, les proclamations et les résumés journalistiques les traces de ce clivage droite / gauche qui réapparait régulièrement. Vers 1900, ce couple antithétique s’est entièrement imposé dans le vocabulaire parlementaire. Grâce à des slogans tels : le danger est à droite. Le danger est à gauche !
Il y aussi des clivages au sein de chaque camp ; par exemple, quand on parle des gaullistes de gauche ou quand il est fait mention de dirigeants communistes proches d’une certaine droite… Ou du centre qui est lui-même subdivisé en centre gauche et centre droit.
Une autre citation fort éclairante de M.G. : La topographie parlementaire est devenue le moyen primordial par lequel les citoyens se pensent en politique. Mais l’affaire Dreyfus n’est plus très loin, surtout lorsqu’on annonce la victoire du «bloc de gauche.»
A la fin d’un important chapitre de son livre, M.G. écrit que la droite ne faisait pas difficulté tant qu’elle ne renvoyait U’À UNE LOCALISATION PARLEMENTAIRE. Elle se met à soulever la résistance quand elle introduit avec elle… la certitude d’une interminable discorde.
Plus inattendue est la manière dont la parti communiste s’est approprié le nom même de la gauche et des luttes qu’elle entendait mener, notamment plus tard, au nom du Front populaire. Cette trouvaille terminologique a permis de gommer les aspérités et de réunir les forces de gauche. Toutefois, au début du XXe siècle, le PCF ne faisait pas la différence entre « capitalistes de droite» et «capitalistes de gauche». On peut même dire que ce furent les électeurs du PCF qui contraignirent l’appareil communiste à changer de posture. Des centaines milliers de ses électeurs se sont reportées sur les voix de gauche lorsque les résultats du scrutin l’imposaient...
Au terme d’une longue démonstration qui s’écarte parfois du sujet traité, MG. conclut ainsi : voici comment la droite et la gauche ont pu s’élever, en leur sècheresse classificatoire, au rang de suprêmes catégories identificatoires, vibrantes d’affects et gorgées de souvenirs…
Même après la Libération, ces catégories devenues d’essence idéologique ont continué d’exister. Elles se sont même universalisées. Elles indiquaient nettement l’orientation idéologique. Cette différentiation a viré au clivage (un terme mis à la mode par François Hollande et des affidés) et a bien contribué à ce raidissement si caractéristique de la politique intérieure française. D’où l’impossibilité presque physique de faire bouger les lignes ou de pratiquer l’ouverture, encore un terme qui a pris une coloration partisane et politique. Une telle haine dans le rejet de la politique, surtout dite de droite, n’est pas connue en Allemagne par exemple, où la Grosskoalition rassemble normalement des partis de droite et de gauche. De ce côté-ci du Rhin ce serait une trahison, un manquement à la parole donnée alors que nos voisins signent calmement un programme de gouvernement âprement négocié et toujours très respecté.
A toutes ces sagaces réflexions sur le couple antithétique (droite / gauche) M.G. a choisi d’adjoindre une longue et éclairante postface sur la situation aujourd’hui. En gros, il relève que les deux notions continuent d’exister, tout en ayant subi quelques modifications au fil des décennies. Mais le couple devenu identitaire est là pour durer. Et je pense qu’il est fondé à le dire. Dans une large partie des États du monde, cette ligne de démarcation est toujours vivante et bien vivante.