Maxime Coulombe, Le plaisir des images. Alpha. Philosophie.
Qu’est-ce qu’une image ? Un ensemble de choses ou de fonctions qui se nouent autour d’un même objet qui n’est pas la réalité concrète mais qui l’évoque, la rend perceptible par nos sens et lui confère une certaine existence. Mais même cette définition ne suffit pas à rendre compte du rôle des images dans notre vie sociale, affective, inconsciente, et culturelle, au sens le plus large du terme. Mais l’auteur se livre à des analyses très fines faisant intervenir tous les domaines dans lesquels la place de l’image est primordiale, à savoir les musées, les écoles, les lieux de culture et d’enseignement. Mais aussi le code de la route avec ses signalisations imagées . Tout le monde connait l’image du cerf en plein galop symbolisant la présence d’animaux capables de surgir sur la route à tout instant. Un triangle dessiné au tableau noir n’est pas réel et pourtant il joue le même rôle que dans la vie réelle, dans un champ ou un terrain vague. Un plan d’architecte est une image qui préfigure le prochain immeuble qu’on va ériger…
Maxime Coulombe, Le plaisir des images. Alpha. Philosophie.
Les rapports entre la réalité et l’image sont très bien illustrés par l’intervention ou la réaction des animaux (oiseaux, insectes, etc…) qui parfois se laissent prendre par des images d’une proie ou d’un aliment. Par exemple, une nature morte présentant des fruits ou des fleurs (ou tout autre chose) peut passer pour quelque chose de réel et, partant, induire un certain comportement. D’autres cas montrent que les animaux ainsi stimules font la différence entre le réel et l’apparent. L’image peut donc, dans certains cas, provoquer l’intérêt des animaux ou d’autres êtres vivants ; la chose peut se produire avec des êtres humains.
L’exemple le plus frappant et le plus instructif nous est fourni par l’art cinématographique. On a vraiment conscience que les acteurs évoluent dans la vraie vie. On a l’impression que ce qui se passe sur l’écran est réel et nous touche. On peut même se sentir heureux ou menacé en allant voir un certain type de film. Cela montre que l’image peut véhiculer des émotions ou les susciter…
L’auteur passe en revue une série de rencontres entre l’image en tant que telle, et, par exemple, la mémoire. Je trouve excellente l’anecdote du mafieux qui se rend dans un musée de New York et qui s’arrête longuement devant un immense tableau qui n’est qu’un monochrome blanc. Nous avons affaire à un personnage plutôt fruste et qui n’a pas reçu de culture artistique digne de ce nom. Un gardien du musée se rend compte que ce visiteur vit quelque chose de bien particulier… Il demande si le spectateur est vraiment intéressé par cette toile, somme toute assez étrange. Le visiteur avoue qu’il fixe ce cadre de blancheur car il lui rappelle ce qu’il faisait, lorsque, enfant à l’époque, il assistait à des scènes de violence dont sa propre mère était victime. Pour combattre sa douleur devant de telles violences, infligées par son père, il avait coutume de regarder fixement un petit mur blanc. Ici, nous assistons aux relations entre l’image et la mémoire. Un souvenir enfoui au plus profond de soi peut rejaillir, suite à l’apparition d’une image.
L’image permet de reconnaître, d’associer, d’ordonner et faire suivre différents éléments qui trouvent alors leur emplacement naturel. Il existe une mémoire sémantique qui coordonne les choses. L’artiste qui imite avec un grand talent la nature peut donner l’impression que ce qu’il peint est bien réel alors qu’il s’agit d’un artifice, une artificialité. Il en est de même des émotions, comme on le notait plus haut. Quand le film au cinéma déroule des scènes d’horreur ou des scènes d’amour, les émotions qui nous saisissent découlent des registres correspondants : on se sent mal dans le cas de la souffrance et de l’horreur, et son se sent mieux, nettement mieux quand un couple se caresse, s’aime en se disant des mots d’amour. Là, nous entrons dans le rapport existant entre l’image et le désir.
Le corps nu d’une femme peint par l’artiste suscite en nous une réaction, généralement positive et douce. L’œuvre n’est pourtant pas réelle, rien dans ce nu n’est réel ni concret et pourtant cela provoque en soi une forme de désir. L’évocation du corps de la femme, une femme en chair et en os, devient alors omniprésente.
Moïse Mendelssohn (1729-1786) a proposé un terme allemand pour signifier qu’on laisse une certaine place au plaisir esthétique, différent du plaisir corporel. Quand vous contemplez une nature morte ou une statue, vous n’êtes pas obligatoirement enclin à désirer consommer ce plaisir. Mendelssohn a parlé d’une faculté d’assentiment (Billigunsvermögen) qui maintient les choses séparées les unes des autres : les facultés supérieures de l’âme empêchent le plaisir esthétique de devenir un plaisir physique qui ressortirait alors aux facultés inférieures de l’âme… L’image préserve alors tous ses doits
L’image n’a pas fini de nous étonner par son extrême richesse. Mais je souligne cette courte phrase, si dense et si intéressante : le désir lui-même est une image. L’auteur cite un passage de l’Abécédaire de Gilles Deleuze qui évoque le cas d’une femme qui se choisit une robe ou un chemisier. Cette cliente n’opère pas un choix isolé mais se situe à son insu peut-être dans un ensemble ou un contexte. Elle jette son dévolu sur tel ou tel article en fonction de ce que cela signifie dans son milieu professionnel, familial ou autre. Le philosophe soulignait à raison que l’acte en question n’est jamais isolé, coupé de toute autre réalité. Au contraire, il s’y inscrit entièrement.
L’image ressemble… Tout est dit.