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Blandine Kriegel,  La république imaginaire. I La Renaissance. Le Cerf, 2022l

Blandine Kriegel,  La république imaginaire. I La Renaissance. Le Cerf, 2022l

Blandine Kriegel,  La république imaginaire. I La Renaissance. Le Cerf, 2022l

 

La pensée politique moderne de la Renaissance à la Révolution...

 

 

Voici un premier volume, bientôt suivi de quelques autres, rédigés par l’une des meilleures spécialistes de philosophie politique.  C’est une grande œuvre, une belle synthèse que nous offre ici Blandine Kriegel.

 

Quelle est  la véritable origine de notre pensée politique moderne ? A quelles sources s’est-elle abreuvée ? Comment s’est agrégée cette étape fondatrice dans notre pensée politique ? Dans ce premier volume, l’auteure nous livre la première pierre d’un vaste édifice qui sera exposé dans les volumes suivants et dont le premier nous offre un avant-goût.

 

Le monde occidental, la civilisation européenne, ont traversé une longue période d’insécurité et d’incertitude avant de parvenir, petit à petit, à la forme qu’on leur connait depuis lors. L’installation de la paix, les progrès de la civilisation, les échanges pacifiques entre les nations, la fin du long Moyen Âge, tous ces facteurs ont produit des effets bienfaisants, même si la violence et la guerre n’avaient jamais entièrement disparu. Il demeure que des villes italiennes comme Venise, Gêne, Milan, Rome et surtout Florence ont généré une culture fondée principalement sur la musique, la peinture, l’architecture et la sculpture. Certes, après la prise de Constantinople par les Turcs et la sonnerie du glas du christianisme d’Orient, le monde chrétien n’a pas baissé les bras, comme disait Churchill il,  ne perdit jamais le courage de continuer. De recommencer.

 

Ces entreprises ne se firent pas dans un espace éthérique, il fallait ce qu’on nomme de nos jours, des institutions, des cadres légaux, conformes à l’idée qu’on se faisait de l’esprit républicain. Un long chemin à parcourir et l’auteure nous prend la main pour nous conduire.  Les études sur les idées philosophiques et historiques du Quattrocento ont marqué le pas au début, probablement en raison de l’implication des rois de France (Charles VIII, Louis XII, (de 1494-1559) dans ce qu’on nomme les « guerres d’Italie».. Didier Le Fur vient de publier un volume collectif sur cette question (Éditions Passés / Composés, 2022).

 

L’auteure aborde clairement une question assez disputée jadis, à savoir les renaissances qui ont précédé la forme classique de la Renaissance, notamment à Florence : il y a eu au Moyen Âge, notamment au XIVe siècle une renaissance, mais à une plus petite échelle, dans le temps et l’espace. Les commentateurs juifs et hébraïques des œuvres d’Aristote sont là pour en témoigner. Le nom de Moïse ben Josué de Narbonne (1300-1362) incarne ce mouvement d’indépendance croissante vis-à-vis du dogme des églises, chrétienne et juive. Dès les premières pages de ce beau livre, son auteure reconnait au mouvement kabbalistique une certaine importance dans ce développement...

 

C’est à Florence que va se développer en premier lieu ce nouvel esprit   qu’incarnent la Renaissance et son humanisme civique. Mais ce qui impressionne le lecteur, c’est l’enthousiasme de l’auteure quand elle parle de la beauté incomparable de Florence. Elle évoque ses souvenirs d’enfance avec sa sœur, lorsque leurs parents les conduisaient admirer les œuvres du Titien... au lieu de les laisser se baigner dans le lac de Côme.

 

Voici une citation de l’auteure sur cette ville qu’elle aime et admire tant : Car, Florence a été la plus éclatante des républiques de cité et c’est dans leur développement  qu’il faut inscrire  son histoire emblématique.

 

Mais l’Italie connait des troubles opposant les guelfes aux gibelins, les uns adossés au pouvoir impérial et les autres au pouvoir pontifical. L’organisation en cités communales ne parvenait pas ç s’imposer durablement et ce communalisme caractérisait la forme prise par Florence, dès la fin du long règne médiéval. La montée en puissance ne se fit pas sans anicroches : l’affrontement avec le duché de Milan marque une étape fondamentale dans le développement d’une cité communale qui se déploie aux alentours de ses frontières et dont la population avoisine les soixante mille habitants. Une telle expansion rendait nécessaires de nouvelles institutions juridico-légales adaptées aux situations nouvelles de la cité.

 

Voici une nouvelle citation qui résume bien la problématique qui nous occupe : ... l’histoire de la république florentine fut non seulement secouée par des conflits qui se poursuivirent tout au long de son évolution mais plus encore , elle fut avant tout caractérisée par une série d’allers et de retours, de progrès et de régressions qui vont s’accélérer au moment où elle approche de sa fin.

 

Le but de cet ouvrage, nous dit son auteure, n’est pas de présenter une histoire  globale de la Renaissance et des idées politiques ; son projet est plus modeste et consiste à présenter les idées politiques de ce temps là , en spécifiant qu’à Florence la pensée politique n’était pas séparée de la vita activa.

 

Dans le cadre d’un simple compte-rendu, il m’est difficile de m’arrêter sur chaque  chapitre de ce livre si riche de noms à consonance italienne, portés par tant d’artistes et de penseurs dont je n’avais aucune idée avant de lire ce livre.

 

C’est à Pétrarque tout d’abord (1304-1374)  que l’auteure s’intéresse dans l’évolution de la pensée politique. Elle le considère comme le grand poète précurseur. Elle en donne une biographie qui met en valeur son action principale et le rôle qu’il a joué dans le développement politique..

 

Blandine Kriegel évoque souvent dans ce livre les théories kabbalistiques qui ont joué un certain rôle dans cet humanisme culturel. L’expression kabbalah chritianae vient de van Helmont et donnera naissance à la traduction du Zohar par le baron Knorr von Rosenroth. Mais ce n’est pas par pure charité chrétienne que les humanistes, italiens ou autres, se sont intéressés à ce développement si inattendu de la pensée juive du Moyen Âge. On pensait, comme disait Renan, que la sève vivifiante avait quitté le vieux  tronc judaïque pour affluer dans le rameau plein d’’avenir du christianisme. Les kabbalistes chrétiens comptaient instrumentaliser leurs connaissance dans ce domaine de l’ésotérisme juif pour prouver  la véracité du christianisme et convertir les juifs. Mais ceci est une autre histoire.

 

J’ai bien aimé ce développement dialectique qui traverse tout l’ouvrage : le double legs d’une république imaginaire, d’une part, et le retour réel de Machiavel, d’autre part. Témoin, une belle citation qui brille par son univocité et son réalisme. Citons-la au lieu de la résumer, tant elle est brève et expressive :

 

Plusieurs se sont imaginés, dit-il, des républiques et des principautés qui ne furent jamais vues ni connues, pour être vraies.... Laissons donc à part les choses qu’on a imaginées pour un Prince, et, discourons de celles qui sont vraies (Le Prince XV).

 

On comprend mieux en lisant cette citation pour quelle raison se trouvent ici opposées l’une à l’autre la république imaginaire (si adéquatement nommée) et le sordide réalité, définies par Machiavel. Ici, il nous revient de tenter de qualifier l’œuvre et la personnalisé dont le nom patronyme est passé dans la langue de l’Europe : machiavélisme, machiavélique...

 

Ce penseur politique ne s’est pas embarrassé de nuances, il a fait preuve de réalisme, les états sont des montres froids, il convient de ne pas leur faire aveuglément confiance. Machiavel colle aux faits, les faits sont plus précis que les fictions. Ce théoricien n’est ni bon ni méchant, il analyse le réel et c’est le résultat obtenu qui lui dicte la conduite à tenir. C’est exactement ce qu’il enseigne au Prince. Les jérémiades, les déclarations romantiques ne l’intéressent pas car il connaissait très bien les replis les plus intimes et les ressorts de l’âme humaine.

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