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Christian Baechler, Gustav Stresemann, Le dernier espoir face au nazisme. Passés / Composés. 2023

Christian Baechler, Gustav Stresemann, Le dernier espoir face au nazisme. Passés / Composés. 2023

Christian Baechler, Gustav Stresemann, Le dernier espoir face au nazisme. Passés / Composés. 2023

 

Gustav Stresemann fut, à n’en pas douter, l’un des meilleurs produits de l’Allemagne impériale et ensuite de la République de Weimar dont il fut le ministre des affaires étrangères durant de longues années, forçant l’admiration même de ses adversaires qui reconnaissaient ses talents de négociateur, à un moment où l’Allemagne en avait le plus besoin. Tout avait réussi à ce grand diplomate et homme d’État allemand, n’était la mort qui le surprit en 1929, (à  l’âge de 51 ans) à un moment où le sort du continent européen était de plus en plus incertain. Nous verrons infra combien son apport au maintien de la paix en Europe après la Grande Guerre et le traité de Versailles, a été déterminant.

 

Né en 1878 dans un milieu très modeste, fils d’un brasseur de bière et d’une mère qui tenait un petit débit de boissons, afin d’arrondir des fins de mois qui promettaient d’être assez difficiles.. Pourtant, cet enfant, éloigné des grands de ce monde, allait les approches grâce à son travail acharné alors qu’il fut le seul de la fratrie (8 enfants dont deux décédèrent en bas âge) à entreprendre des études secondaires et ensuite universitaires. L’auteur nous apprend que le jeune homme voulait être juriste mais dut y renoncer en raison de la longueur des études requises ; il voulut aussi devenir journaliste, ce qui le conduisit à être un écrivain occasionnel... Stresemann avait une relation spéciale à la culture, notamment allemande mais c’est Goethe et notamment son Faust qui le marquèrent le plus. Au Reichstag qu’il rejoignit avant son trentième anniversaire, il lui arrivait d’en déclamer des passages entiers appris par cœur.. Mais l’auteur qui connait bien son affaire nous apprend qu’au cours des années soixante, des voix s’élevèrent pour stigmatiser un plagiaire qui avait trompé son monde...

 

En tout état de cause, notre homme a marqué son temps et même bien au-delà, et il suffit de parcourir les réactions à son décès inattendu dans la presse européenne pour s’en convaincre. Cet homme issu d’un bien modeste milieu devient député, ministre et chancelier. Certains l’ont même comparé à Otto von Bismarck. Il avait de solides affinités avec le régime impérial mais sut s’adapter au nouveau régime républicain, ce qui lui attira le rempoche d’opportuniste... Difficile de servir deux maîtres à la sois. Il  y a aussi cette lettre compromettante au Kronprinz, missive dont l’authenticité  fut contestée et dans laquelle Stresemann préconisait de finasser (finassieren) avec les alliés, aussi longtemps que l’Allemagne n’aura pas retrouvé son statut de grande puissance militaire...

 

Cette accusation de tenir un double langage n’a pas manqué de ternir la réputation d’un homme dont la réussite devait en irriter plus d’un. Il me semble que cet homme n’a pas pu tromper son monde jusqu’à sa mort, rares furent les voix vraiment discordantes. Les amis de toujours et les ennemis d’hier lui rendirent un hommage bien mérité ; ses négociations avec Aristide Briand à Locarno y ont beaucoup œuvré. Comme le montre le sous-titre de ce bel ouvrage, le dernier espoir pour contrecarrer le nazisme.

 

Mais cet homme a compris très tôt qu’il lui fallait se construire une image et prendre un certain ascendant par rapport à des groupes où les plus fortes personnalités finissent par se révéler  et s’imposer : ainsi, quand il sera étudiant, il rejoindra des associations estudiantines (Burschenschaften) dont il devenait assez facilement le porte-parole. C’est aussi lui qui attira l’attention sur  la désuétude, l’inanité des duels dont la jeunesse estudiantine prussienne de l’époque était très friande.

 

 Cette expérience à un si jeune âge lui servira lorsqu’il prendra la parole au nom de son groupe parlementaire au Reichstag. Enfin, mieux que tout autre, il aura compris l’importance des réseaux estudiantins dont l’efficacité survit toujours à la fin du cycle d’études : quand vous embrasez une profession libérale, il est naturel que vous vous tourniez vers des gens de même origine et de même groupe. Faute de quoi, vous ne ralliez pas vos objectifs rapidement.

 

Le 20 octobre 1903, Stresemann a fait un beau mariage en épousant Käte  Kleefeld, issue d’une riche famille juive de Berlin. En contractant un tel mariage, notre futur député est sur la bonne voie pour une ascension sociale plus rapide que prévu. Il faut dire que certains engagements dans des luttes d’intérêt pour la défense des ouvriers de l’industrie textile avaient préparé le terrain. Ou en étant syndic des industriels saxons, la Saxe étant jadis  une région très ouverte à l’industrialisation. C’est probablement la volonté de quitter définitivement le milieu dont il provenait qui    donne à Stresemann la volonté farouche et l’énergie d’arrimer son vaisseau personnel à la grande bourgeoisie. L’auteur ne  fait pas mystère de son admiration pour un homme encore jeune, moins de trente ans, qui s’impose à Dresde  et devient un acteur politique et économique de portée nationale... Certes, un certain opportunisme politique n’est pas toujours absent dans toute cette affaire, mais après tout, c’est une manière comme une autre d’accéder au pouvoir...

 

On le sent dans l’observance d’un subtil dosage entre deux courants politiques parfois contradictoires, le libéralisme et le nationalisme, bien que, sur ce dernier point, Stresemann ait fait preuve d’une louable modération. Ce qui l’incitait à la prudence était, peut-être, son intérêt accru pour la politique économique de l’Allemagne qui avait besoin de temps pour se reconstruire. Stresemann a été aussi séduit par les idées sociales, au point de prendre, le moment opportun, fait et cause pour les ouvriers en grève ou dans des conflits sociaux (conditions de travail, meilleurs salaires, etc...). Mais au fur et à mesure de son ascension et de son intégration dans la politique nationale, il lui fallait préciser clairement sa ligne politique. Parallèlement à cette clarification nécessaire, il n’avait pas cessé de défendre les intérêts des industriels saxons. Certes, il connut comme tous les autres leaders politiques, des déboires électoraux qui l’éloignèrent du Reichstag pendant quelques années. Mais il ne tarda pas à. s’en remettre. Sa souplesse idéologique ou son opportunisme politique lui a permis de s’adapter à des situations totalement nouvelles dont il sut tirer profit... Notamment lorsqu’il renonça à son parti pris en faveur de la monarchie pour défendre avec talent les intérêts de la jeune république de Weimar.

 

La grande Guerre permettra à Stresemann de désigner la Grande Bretagne comme la principale puissance belliciste, elle qui déploie de gros efforts pour maintenir au niveau le plus bas niveau la marine de guerre allemande, marginalisant le Reich et empêchant celui-ci de bénéficier des produits de la colonisation. Pour Stresemann, il faut combattre l (‘impérialisme britannique sans la moindre retenue. Stresemann sera aussi le principal facteur de la chute du chancelier Bethmann-Hollweg, jugé trop tiède et indécis. Stresemann croira jusqu’au bout, en 1918, à la victoire de l’Allemagne  De 1915 à la fin de 1918, Stresemann aura prononcé trente-)quatre discours au Reichstag, plaidant en faveur d’un renforcement de la lutte, notamment de la guette sous-marine sans restriction.  Impossible de suivre par le menu toutes les avancées ou les reculs sur le front, mais le spectre de la défaite du Reich se fait plus insistant et c’est le choc en dépit de quelques avancées sur le front de l’est. Il faut rappeler que Stresemann s’était toujours opposé à une paix imposée à son pays, moyennant des concessions et des réparations de guerre. Il faudra bien accepter les exigences de la Realpolitik : la défaite militaire (qui sera plutôt détournée comme étant une défaite de l’arrière, le soi-disant coup de poignard dans le dos, (Dolchstosslegende) dont se plaindra le haut commandement allemand : les forces armées se sont bien battues, c’est le pays, l’arrière, qui a trahi l’héroïque résistance des soldats contre les politiciens, prêts à toutes les concessions pour stopper les combats.

 

Mais jusqu’au bout, Stresemann refusera de considérer autre chose que sa propre alternative, son propre système binaire : la victoire de l’Allemagne ou la défaite de l’Allemagne. Il se laissera enfermer dans ce douloureux tête-à-tête au lieu d’accepter une sorte de paix blanche, tant il ne parvenait pas, au fond de lui-même, à vivre avec l’idée d’une défaite allemande. On est étonné par cette soudaine cécité politique qui aurait pu lui épargner une traversée du désert et un isolement politique, et  même le rejet par ses propres amis...

 

Mais notre homme n’a pas dit son dernier mot puisque de 1919 à 1924, date de son accession à la chancellerie il met à profit cette longue traversée du désert pour réfléchir et se résigner  à  l’abdication de Guillaume II et à la naissance de la République. Mais comme le demande l’auteur de cette belle biographie : s’agit-il d’une authentique conversion aux valeurs républicaines ou d’une simple adaptation, dans l’attente de jours meilleurs, en somme l’idée développée dans la missive  (contestée) au Kronprinz ?

 

Les premières   années du régime républicain sont émaillées de troubles, voire même de tentatives de coup d’état. Le général, responsable de la région de Berlin refuse d’obéir aux ordres et Stresemann lui-même distingue subtilement loyauté à l’État et  respect des institutions. Ce qui complique les choses  et démontre une  fois de plus que le régime de Weimar fut une République sans ... républicains.

 

Le nouveau régime était une cote mal taillée, mais était bien le seul à faire face aux révolutions des corps francs, au désordre et à la démoralisation générale. Dans un tel climat,  Stresemann a tenté de tenir bon. Mais les assassinats politiques, notamment celui de Rathenau lui porta un coup sévère, d’autant que cela eut lieu à un moment où son médecin lui avait prescrit de prendre du repos. Peine perdue puisque la situation le conduisit à se remobiliser à peine quelques jours plus tard. La mort du ministre des affaires étrangères, assassiné par des activistes d’extrême droite, montrait que les jours de la République étaient comptés.

 

Le traité de Versailles constituait  en soi une lourde épreuve et dévissait l’Allemagne, jusques et y compris au sein mène  du parti de Stresemann : une partie de l’Allemagne refusait cette paix de brigands (Lénine) tandis que l’autre acceptait les conditions de ce traité, notamment l’imputation morale de la guerre à la seule Allemagne... Et petit à petit, l’étau se resserrait et il n y avait plus que Stresemann pour relever le défi de gouverner l’ingouvernable.

 

Il finit par y arriver mais cela ne dura que 103 jours (ou 110 si l’on y ajoute la période au cours de laquelle  il fallait expédier les affaires courantes) car l’instabilité politique était devenue chronique et l’attitude de l’Entente intraitable, face à la résistance passive et aussi en raison de l’inflexibilité de Poincaré qui refusait de permettre à l’Allemagne de sauver la face  : on ne pouvait pas exiger la fin de la résistance passive et ne rien donner en échange. C’est donc un homme politique usé, sollicité de toutes parts par des  intérêts contradictoires, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, qui se retire. Désormais, de 1923 à sa mort en 1929, Stresemann  va mettre son énergie et son  talent  au service de la République de Weimar, en  qualité de ministre des affairées  étrangères. Il redonnera confiance aux alliés, se montrera un négociateur sérieux et habile, soucieux de rendre à son pays sa dignité et son rang parmi les  nations. Et principalement e vue d’assurer stabilité et sécurité au continent européen.

 

AU terme de cette longue étude menée avec une grande rigueur et une érudition sans faille, l’auteur a l’honnêteté de reconnaitre que le mystère Stresemann demeure :

 

Nous avons souligné les limites de notre connaissance du Stresemann intime et de ses convictions personnelles malgré l’abondance de ses papiers personnels, de ses écrits publiés et de ses discours.

 

Alors Monarchiste ou républicain, libéral ou nationaliste ? L’art machiavélique consommé de tout homme politique est d’être imprévisible et d’avancer masqué...

 

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