Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Alain Renaut, Kant et la kanstisme. QS J ?, Puf.

Alain Renaut, Kant et la kanstisme. QS J ?, Puf.

Alain Renaut, Kant et la kanstisme. QS J ?, Puf.

 

 C’est un véritable tour de force que de vouloir concentrer tant de notions, de concepts et d’idées nouvelles, voire révolutionnaires, dans si peu de pages. Mais c’était un desideratum  de la recherche et on peut dire que la demande a été satisfaite. L’auteur est l’un des meilleurs connaisseurs de la philosophie kantienne et de ce que les spécialistes nomment la révolution copernicienne de la pensée.

 

Avant l’arrivée du philosophe prussien, on ne s’était pas interrogé sur la capacité de notre raison de produire de la science, éloignée de l’empiricité et de la sensibilité en général. De quel type de connaissance pouvons nous disposer ? Pouvons nous raisonner au sujet de la liberté, de Dieu, mais aussi de la nature ? Comment fonder une morale universelle, compatible avec ce que nous savons et cherchons ?

 

L’auteur de cet opuscule montre que Kant s’est trouvé placé devant un problème redoutable, celui de la coexistence dans son œuvre de deux conceptions possiblement  inconciliables des phénomènes naturels, les uns soumis au déterminisme, les autres relevant de la liberté morale. On tient ici un des défis les plus difficiles auquel le grand philosophe s’est  confronté.

 

Voici comment l’auteur résume sa pensée : Distinguer le déterminisme des phénomènes (nature) et l’existence d’une liberté renvoyée à un statut  «nouménal» de pur objet de pensée et identifier les deux thèses à deux  points de vue, correspondant, l’un, à une saisie du réel à partir des données sensibles et l’autre à une approche par ce qui peut apparaitre de purement intelligible

 

Si Kant a retardé à ce point le passage de la dimension critique de sa philosophie à la dimension doctrinale, ce n’est en rien parce qu’il n’avait pas encore conçu (...) les limites de sa philosophie, que la finitude de sa philosophie se situait aussi dans des ouvrages relevant de cette seconde, mais  plutôt parce que le moment critique s’est fortement  prolongé à l’écriture des autres doctrines...

 

Qu’est-ce que la philosophie transcendantale ? Le mot transcendantal ne signifie  pas quelque chose qui s’élève au-dessus de notre expérience mais ce qui certes la précède (a priori) sans être destinée cependant à autre chose qu’à rendre possible uniquement une connaissance empirique. Et c’est là tout le problème.

 

La réponse de l’auteur est la suivante : La philosophie transcendantale se définit par une interrogation sur la possibilité et l’usage  de la connaissance. En définissant sa philosophie comme transcendantale, Kant  établit donc de façon répétée et insistante que ce dont elle s’occupera en matière cognitive doit correspondre à  des modes de la connaissance  se présentant à nous a priori.

 

C’est le dépassement de l’empiricité qui devient la marque de la philosophie transcendantale. Le chapitre suivant est justement consacré à une comparaison entre L’empirique et le transcendantal.  Kant a donc ruiné les bases traditionnelles de toute connaissance prétendument métaphysique.  On rappelle les trois Critiques que sont La critique de la raison pure, La critique de la raison pratique et la Critique de la faculté de juger.

Pour mesurer un tant soit peu la portée de ce tremblement de terre du mode de connaissance, il faut rappeler ici une simple phrase de Moïse Mendelssohn (1729-1786) qui n’a pas eu le temps de se mesurer pleinement à ce tsunami de la pensée, et qui symbolisait l’ancienne école ou encore la science dogmatique. On peut dire que cette dernière épithète s’opposait pleinement au terme transcendantal : Der alles zermlamende Kant : Kant qui broie tout...  Le verbe allemand zermalmen signifie écraser, broyer,  pulvériser, écrabouiller. Ce qui montre le désarroi des penseurs traditionnels qui étaient resté prisonniers de la métaphysique de l’école Leibnitz-Wolff dont le grand philosophe juif de Berlin était la figure de proue. Mais Mendelssohn n’a pas pu en dire plus car la mort le surprit en 1786, alors que le philosophe de Königsberg était justement en train d’introduire un nouveau Penser. On peut dire que les Méditations matinales (Morgenstunden)  de Mendelssohn font de lui le dernier d’une longue lignée de métaphysiciens

 

Est-ce le fruit d’un pur hasard ou la conséquence d’une tradition bien établie ? Je signale un simple détail : Cette petite phrase de Mendelssohn apporte ou annonce un élément juif dans cette affaire kantienne.

 

Bien qu’il fût passablement antisémite dans son existence, Kant ne dédaignait guère l’amitié ou la simple collaboration intellectuelle avec des juifs. Tel fut le cas du médecin-philosophe Marcus Herz avec lequel le penseur prussien était très lié. Dans une lettre à ce dernier, en date du 21 février 1772, Kant rend hommage à Salomon Maimon qui a -mieux que toute autre personne- compris et analysé son criticisme. Et ce même Salomon Maimon (1752-1800) a, par la suite, écrit un Essai sur la philosophie transcendantal où il démonte à son tour les fondements du criticisme kantien.

 

Partant, on peut dire que trois juifs ont été concernés dans cette affaire kantienne : Mendelssohn, Herz et Maimon. Et si l’on enjambe un bon siècle, on trouver Hermann Cohen (ob. 1918), le fondateur de l’école néokantienne de Marbourg, qui a insufflé une nouvelle vie au kantisme.

 

Après la disparition de Kant en 1804, de multiples étudiants juifs ont étudié sa philosophie à l’université de Berlin et ailleurs. Qu’ils fussent religieux, pratiquants ou totalement assimilés, les kantiens juifs étaient séduits par la notion même d’un impératif catégorique et de la loi morale, deux thèmes qu’ils assimilaient à la législation biblique, aux mitswot. Le kantisme se trouvait donc à proximité du judaïsme traditionnel et pouvait servir de modèle à une coexistence plus harmonieuse de la religion au sein de la société.. Mais Hermann Cohen lui-même était conscient de la méfiance de Kant à l’égard du judaïsme qu’il réduisait à des statuts (statutarisch). N’ayons pas peur des mots : il pense à une sorte de fossilisation statutaire  du judaïsme auquel il déniait le nom de religion et ne le classait même pas dans la rubrique d’une doctrine morale... Ce qui n’est pas peu dire.

Les commentaires sont fermés.