Discours de réception d’Antoine Compagnon à l’Académie Française et réponse de Pierre Nora. Gallimard.
Discours de réception d’Antoine Compagnon à l’Académie Française et réponse de Pierre Nora. Gallimard.
Pourquoi parler des discours tenus sous la Coupole dans un style convenu d’avance et n’intéressant que peu de gens ? La réponse est que dès mes années estudiantines, j’ai toujours aimé lire dans le journal Le Monde ces échanges hors du commun . J’y apprenais tant de choses, en retenais tant et tant de formules lexicales que je ne connaissais absolument pas. C’est exactement ce que j’ai ressenti en lisant les deux discours de l’accueillant et de l’accueilli.
Il se trouve que j’ai lu et fortement apprécié le livre de Monsieur Compagnon sur Marcel Proust, notamment sa judéité et sa sensibilité juive, en général... On peut en penser ce qu’on voudra, j’ai, pour ma part, bien aimé. Le nouvel académicien occupe le prestigieux fauteuil de l’éminent ophtalmologiste, Yves Pouliquen, dont un ami, lui-même vieil ophtalmologue ,m’avait parlé car il le connaissait bien. Professionnellement et personnellement.
Le nouvel élu, professeur au Collège de France, tresse à son illustre devancier des couronnes bien méritées. Sa réussite, son ascension sociale sont plus que remarquables, surtout pour un jeune orphelin, pupille de la nation, élevé avec ses deux autres frères par une mère seule. La portrait d’Yves Pouliquen brossé par son successeur est touchant et profondément humain. Nous avons affaire à un médecin humaniste, cultivé, proche des autres et soucieux de leur bien-être. Il n’avait pas qu’une approche médicale de l’œil, il a écrit un ouvrage qui va bien au-delà, La transparence de l’œil.
Par sa profession, Yves Pouliquen a rendu la vue à de nombreux malades, et ce faisant il leur a rendu la vie puisqu’ils pouvaient désormais découvrir le monde ambiant après une absence plus ou moins longue. Qu’il me soit permis de dire un mot sur la hiérarchie des sens, une question que s’est posée Pouliquen, sa vie durant. Et ceci nous ramène presque à la théologie, au moins à l’époque médiévale.
Pourquoi la Révélation divine est elle un phénomène acoustique et non un phénomène visuel ? Parce que l’ouïe est le sens le plus immatériel qui soit ; alors que l’image heurte en quelques sorte la rétine, donc produit un contact matériel charnel, le son, lui, est insaisissable : on l’entend mais on ne le voit pas.
Je pense que les grands médecins ont toujours été de grands penseurs... C’est pourquoi l’expression médecin humaniste, qui connait dans ce discours quelques occurrences, me plait bien. En dépit de tous ses progrès, la médecine doit résister à une déshumanisation croissante due à sa modernisation. J’ajoute que l’éminent médecin a aussi présidé la célèbre fondation Singer-Polignac qu’il a largement dépoussiérée...
Venons en à la réponse de notre illustre ami Pierre Nora, cette réplique est d’une grande richesse, évidemment je ne pourrais pas la résumer, sinon à en évoquer les grands traits, et encore très imparfaitement. Ce qui me fascine, c’st le passé militaire du récipiendaire, polytechnicien, descendant d’une longue lignée de grands soldats. Je reste admiratif face à un grand scientifique qui s’est converti -et comment- à la littérature. J’ai relevé un beau jeu de mots pour caractériser les relations du couronné à un de ses maîtres : un maître-compagnon... Cela ne s’invente pas.
Je ne peux que reprendre la belle trinité qui caractérise l’élan littéraire de notre académicien qui est, par ailleurs, ancien professeur au Collège de France et dont les cours étaient suivis par des centaines d’auditeurs et d’auditrices. Cette trinité est : Montaigne, Baudelaire et Proust. Il y a derrière cette belle mécanique du génie militaire, une minutie qui m’avait déjà frappé lorsque j’avais rendu compte du livre sur Proust. Cette logique, cet esprit de suite et cette traque du moindre détail ou indice, ne sont pas le bien commun de tous... Mais j’ai été aussi un peu intrigué par certains auteurs sur lesquels l’auteur a exercé sa grande ingéniosité : des antisémites, des personnages condamnés à la Libération... Je ne sais qu’en penser, mais les commentaires de Pierre Nora me suffisent car ils me rassurent.
Fait plus qu’inattendu qui m’a impressionné ! En regardant les initiales du nouvel académicien A.C. j’ai été saisi par une impression de déjà vu. En mobilisant ma mémoire, je me suis souvenu que, des années auparavant, dans un groupe d’études, en préparation de l’agrégation, il y avait une jeune femme qui portait le même nom patronymique que le nouvel élu. C’était Agnès C....
Les garçons du groupe qu’on formait, , et j’étais du nombre, étions tous secrètement amoureux d’Agnès , laquelle était déjà... mariée.
Mais tout cela m’a donné envie de lire un grand auteur dont je ne savais presque rien.