Norman Cohn, Histoire d’un mythe. La «conspiration»» juive des protocoles des sages de Sion. Traduction de l’anglais par Léon Poliakov Folio, Gallimard, 2025
Norman Cohn, Histoire d’un mythe. La «conspiration»» juive des protocoles des sages de Sion. Traduction de l’anglais par Léon Poliakov Folio, Gallimard, 2025
L’histoire de l’antisémitisme est infinie. Elle ne connaitra jamais de clause résolutoire. C’est la première conclusion que je tire après une première lecture de ce livre écrit par un universitaire britannique et publié en 1906... Après toutes ces années, rien n’a changé, ce qui m’incite à citer de nouveau la phrase désabusée du grand historien allemand Théodore Mommsen, spécialiste de la Rome antique :
lorsque Israël fit son apparition sur la scène de l’histoire mondiale, il n’était pas seul, mais était accompagné d’un frère jumeau, l’antisémitisme.
Ce qui veut dire que nous ne disposons pas d’arme efficace, susceptible de s’en prendre victorieusement à cette morbidité de l’âme qu’est la haine du juif. Même quand il n’y a pas de juif dans un endroit du globe, si reculé soit-il, faites nous confiance, vous trouverez sans peine, de l’antisémitisme. J’ai ressenti cela en lisant les préfaces de l’auteur, tant à la version anglaise du livre qu’à sa version française. L’auteur, issu d’un mariage entre une mère catholique et un père juif, ne peut pas être soupçonné de parti pris. A plusieurs années d’intervalle, les choses n’ont pas changé. Mais avec la mise en circulation de cet énorme faux, que sont les Protocoles des sages de Sion, appelé à un succès mondial, on a atteint un niveau presque insurpassable : l’attribution à une confrérie juive étendue au monde entier d’un plan de domination universelle. Depuis, et ce livre de Cohn y a contribué en son temps, c’est pourquoi nous saluons sa réédition avec une bibliographie et un bel index qui permet de s’y retrouver.
Pourtant, ce faux confectionné par la police secrète tsariste, aurait dû se signaler par ses invraisemblances, ses raisonnements biaisés et ses erreurs historiques. Rien n’t fit, l’ouvrage fit une très belle carrière et l’auteur, Norman Cohn, le montre aisément.
Je pose une première question : peut-on combattre l’artisémitisme avec des arguments rationnels ? Ce n’est pas faute d’avoir essayé ! En plus de ces fameux Protocoles ... considérons l’argument du meurtre rituel qui fit florès au cours du Moyen Âge. Pourtant, un enfant aurait pu en démontrer l’inanité. Comment prélever du sang humain pour fabriquer du pain azyme alors que la Bible interdit formellement même la consommation de sang animal ? Comment voulez vous résoudre cette contradiction ? S’i la consommation du sang animal est prohibée, comment voulez vous que celle du sang humain ne le soit pas ? Mais comme le montre le présent ouvrage, cela n’a pas réussi à faire reculer les accusateurs antisémites...
Comme tous les historiens de l’antisémitisme avant lui, Norman Cohn accorde aux racines chrétiennes de l’antisémitisme une place considérable, même si l’on sait que d’autres raisons sont venues s’agréger à ce principe explicatif majeur.
Et puis, on peut souligner que la misère sociale des juifs, leur confinement dans maint état européen, les rendait absolument incapables de mettre sur pied de tels plans de domination mondiale, eux qui venaient d’obtenir quelques droits civiques. Au moyen de quelles forces auraient ils pu actionner une telle conquête du monde ? Et pourtant, comme le souligne l’auteur, les Protocoles sont le livre le plus traduit, vendu ou lu après la Bible.
Heidegger lui-même fit mine d’y croire en soulevant devant son collègue Karl Jaspers la création de l’Alliance Israélite Universelle (Welthabrousse), à cette fin. Pour l’auteur de Sein und Zeit, une telle institution ne pouvait qu’être au service d’un tel projet, alors qu’il s’agissait simplement de protéger les juifs persécutés. Mais les juifs continuaient d’être associés à des êtres maléfiques, dotés de pouvoirs mystérieux et difficiles à combattre. D’où les origines de ce mythe qu’on est allé chercher dans le sillage de sociétés secrètes, notamment dans les loges maçonniques dont certaines commençaient tout juste à à admettre des juifs. Ce rapprochement a largement contribué à enraciner de tels préjugés dans une Europe qui avait commencé à briser la férule chrétienne... Il y règne une tel mélange, une telle confusion, qu’il est très difficile de distinguer le vrai du faux. Citons ce pansage qui résume en partie notre propos :
Faut-il s’étonner qu’aux yeux de Gottfried zur Beck, l’dateur de la première édition étrangère, Radskowalsky, qui mourut en 1911, ait été assassiné sur ordre des sagas de Sion ? Il existe donc d’excellentes raisosn pour soupçonner R d’avoir été a l’origine des faux qui devint célèbre sous le nom de Protocoles des sages de Sion...
Il m’est difficile de suivre pas à pas l’évolution de ce mythe qui a pourtant eu un retentissement mondial et connu bien des traductions, notamment en langue arabe. La personne du juif, largement décriée flotte encore dans notre horizon européen. Certes, ce n’est pas un claque ni une reproduction à l’identique des mêmes accusations. Ce fau x a fait le tour du monde et c’est assez tardivement que l’on prit soin de le démentir vigoureusement.
Comment l’Europe et par la suite, le monde entier ,a accepté cette image d’un juif malsain, indiscernable et devant être combattu et rejeté hors de toute nation civilisée. Même les accusations les plus invraisemblables ont mis bien du temps avant d’être démonétisées. Certes, les racines chrétiennes de l’antisémitisme sont indéniables et continuent d’accomplir leur effet, en dépit des louables efforts déployés dans les milieux chrétiens pour y mettre fin.
J’ai lu dans l’introduction d’un livre de Heinrich Grätz, intitulé Judaïsme et Gnosticisme (1845) que les juifs sont considérés comme des négateurs (Verneiner), coupables d’avoir mis à terre le culte idolâtre des nations. Assurément, vous ne pouvez pas porter dans votre cœur ceux qui ont donné un sacré coup de balai dans un ciel peuplé de divinités païennes. Imposer aux nations du monde le monothéiste éthique avait un prix et que les juifs ont dû payer depuis l’Antiquité...
La révolution monothéiste se paye. Et le peuple d’Israël en sait quelque chose.
Je rappelle, pour finir , que les éditions Berg International avaient édité le texte sous le titre, Faux et suage de faux.