Il y a un demi siècle le procès d’A. Eichmann à Jérusalem
Cinquante ans déjà : Adolf Eichmann, le bourreau de milliers de juifs, notamment hongrois, dont il supervisa en personne la déportation et conséquemment l’extermination, comparaissait le 11 avril 1961 devant ses juges à Jérusalem, redevenue la capitale de l’Etat juif après 1868 ans d’absence.
Il n’est pas utile de rappeler les circonstances de son enlèvement dans un pays d’Amérique du sud, on a recensé ici même, dans ce journal (la Tribune de Genève), un excellent ouvrage relatant par le menu toute cette affaire rocambolesque et dramatique à la fois. : Neal Bascomb, La traque d’Eichmann. La plus grand chasse à l’homme de l’Histoire (Perrin, 2010)
A la fin de la guerre, Eichmann avait réussi à reconstruire sa vie, à se trouver une nouvelle identité, à quitter l’Allemagne et ensuite l’Europe pour rejoindre un continent où il se crut à l’abri de toute poursuite, l’Amérique du sud.
Ce procès fut mémorable. Tous ceux qui en ont lu les compte-rendus d’audiences se souviennent des dénégations de l’accusé qui prétendit avoir obéi aux ordres. Et n’avoir fait que son devoir. S’il fallait juger quelqu’un, affirmait-il, c’étaient les chefs du parti national-socialiste et nul autre… Eichmann se présentait comme un petit employé aux ordres, une sorte de «criminel de bureau» pour reprendre l’expression que la presse allemande avait forgé bien plus tard.
Tout le monde se souvient aussi du procureur israélien Guidéon Hausner qui passa des semaines entières à démonter minutieusement le mécanisme de la défense d’Eichmann. On n’a pas oublié ce petit homme, assis dans une cage de verre à l’abri des balles, vêtu d’un costume gris, ses lunettes à l’paisse monture noire, sa calvitie naissante, ses épaules tombantes, en somme un Monsieur tout le monde, et pourtant ce monstre avait terrorisé des milliers d’êtres humains et était responsable de la mort de dizaines de milliers d’autres…
Un détail m’a frappé : comme je viens d’achever la première biographie de Léo Baeck (Léo Baeck. La conscience du judaïsme moderne, Armand Colin, 2011), j’ai lu que les juges avaient évoqué les témoignages portés –après sa libération- par Léo Baeck sur les horreurs vécues par les juifs au sein de l’Allemagne nazie… Eichmann s’écria alors : le rabbin Léo Baeck ! Mais je croyais qu’il avait disparu dans les camps… Mais ce n’est pas le plus étonnant : lorsque Eichmann réalisa qu’il venait d’être capturé par des agents du Mossad, il leur récita les premiers versets du Shema Israël en hébreu, expliquant qu’il les avait lus dans un livre de ce même rabbin Léo Baeck…
Eh non ! Il n’était mort qu’en novembre 1956 à Londres, soit cinq ans avant la condamnation d’Eichmann.
Le procès avait soulevé des passions en Israël. On se souvient de la violente controverse entre Gershom Scholem qui trouvait que l’on avait fermé un dossier qui devrait rester ouvert jusqu’à la fin des temps, et Hannah Arendt qui couvrait le procès pour un périodique américain et qui avait parlé de la banalité du mal, du rôle (noir et lugubre selon ses propres termes) joué par les instances juives, la Reichsvereinigung der Juden… dans la destruction de leur propre peuple (sic !). Scholem avait été scandalisé par les réaction de la philosophe. Mais tout cela est anecdotique et demeure subsidiaire.
Le récit final, celui de l’exécution, est sobrement résumé par l’auteur américain : Eichmann demande qu’on le laisse prier quelques instants, fume toutes ses cigarettes, boit plusieurs verres de vin rouge, menace ses ravisseurs (Messieurs ! A bientôt, nous ne tarderons pas à nous revoir…) et rend hommage aux trois pays qu’il a aimés : l’Allemagne, l’Autriche et l’Argentine…
Après sa pendaison effectuée par la justice des hommes le 31 mai 1962, les cendres d’Eichmann furent dispersées en haute mer. L’Etat hébreu ne souhaitait pas que subsistât sur terre, surtout sur la sienne, la moindre trace d’un tel monstre.
La suite ne regarde plus que la justice de D-…