Nous sommes tous des juifs séférades……
Au sujet de la mesure prise par le gouvernement espagnol et le roi Juan Carlos
Oui, on reste presque sans voix en apprenant la mesure de réparation prise par le gouvernement et le monarque d’Espagne, le roi Juan Carlos, d’accorder la nationalité espagnole à tous les descendants des juifs d’Espagne qui en feraient la demande, et dont les ancêtres avaient été cruellement expulsés de la péninsule ibérique en 1492. Cette mesure, bien que symbolique, puisqu’aucune réparation financière ni restitution de biens ne sont prévues, n’en est pas moins émouvante pour ceux qu’elle concerne…
Le gouvernement demande évidemment des preuves de cette ascendance mais celles-ci ne sont pas difficiles à rassembler. La Mer méditerranée se dit en hébreu médiéval ha yam ha sefaradi mais aujourd’hui on dit ha yam htikhon.
Et j’avoue faire partie des descendants des expulsés : ma propre mère (ZaL) s’appelait Gracia Elmosnino et ma grand mère Esther Elmosnino. Mon père (ZaL) s’appelait Isaac Hayoun, le même nom que le dernier grand rabbin de la ville de Lisbonne. Je me souviens très bien du vocabulaire ladino ou judéo-espagnol de ma grand mère qui avait parfois du mal à se faire comprendre des aides ménagères marocaines : elle utilisait des vocables que les ces demoiselles ne comprenaient pas et pour cause : il s’agissait de termes en vieux castillan prononcés selon un mode arabe ! Difficile pour des personnes, jeunes et vraiment dévouées, qui n’avaient pas été scolarisées dans ce sens.
Cette mesure du gouvernement espagnol a des relents quasi-messianiques : que le pays qui a sauvagement converti ses juifs, les a chassés et projetés sur tout le pourtour du bassin méditerranéen, spoliés, appauvris, déchus sans la moindre raison valable et rendus apatrides du jour au lendemain, oui que ce pays se penche avec lucidité et équité sur son ignoble passé, non pour justifier l’injustifiable, mais pour tendre fraternellement la main aux exilés et aux bannis d’hier, d’avant-hier, voire de plus d’un demi millénaire, voilà une chose qui, comme dirait le Psalmiste, relève du miracle : cette chose vient de D-, c’est une merveille à nos yeux (Mé-ét ha-Shem hayta zot, hi niflat be-‘énéynou)
Déjà en 1992, pour commémorer le demi millénaire de l’expulsion des juifs d’Espagne, le monarque Juan Carlos avait dans la grande synagogue de Madrid demandé pardon au peule juif pour cette mesure infâme ordonnée par sa très lointaine devancière sur le trône, Isabelle dite la catholique qui croyait rendre service à son royaume et à sa religion en agissant de la sorte, c’est-à-dire en prêtant l’oreille aux ecclésiastiques obscurantistes qui ne voyaient pas d’autre manière d’assurer pour longtemps l’unité religieuse du riyaume, menacée, selon eux, par la trop grande ascension sociale des fils d’Israël sur place. Dans leur iniquité, ils n’avaient pas entièrement tort et il suffit de lire certaines pages du célébre historien judéo-allemand Fritz Isaak Baer, Die Juden im christlichen Spanien en deux volumes d’une érudition écrasante, pour s’en convaincre. Il y montre l’enchevêtrement si intime entre le royaume d’Espagne de l’époque et ses juifs…
C’est pourtant à ces juifs dont elle expulsera les descedants quelques siècles plus tard que l’Espagne doit son âge d’or et aussi sa richesse économique. On se souvient du sultan Bajazet qui se gaussera de son alter ego castillan qui en chassant les juifs a vidé ses caisses tout en remplissant les siennes, celles du Grand Turc.. Mais la religion a des raisons que la Raison ignore.
En tant que spécialiste de la philosophie judéo-arabe et donc judéo-espagnole du Moyen Âge, je ne puis m’empêcher de penser à la mémoire de tous ceux qui se sont illustrés en publiant des œuvres philosophiques et théologiques, encore étudiées à nos jours. Il me faudrait pratiquement reprendre tous les auteurs que j’ai étudiés et qui, sans être directement touchés par la mesure d’expulsion, le furent indirectement en ce qui concerne leurs descedants.
Comment ne pas mentionner Salomon Ibn Gabirol, Juda-Ha-Lévi, Abraham et Moshé ibn Ezra, et bien avant ; Bhayé ibn Pakuda, Maimonide lui-même, natif de Cordoue et victime, lui, d’une autre fanatisme religieux, certes différent mais tout aussi bête, sinon plus encore, Ibn Falakera, Shemtov ben Schemtov ibn Schemtob, Moïse de Narbonne, Isaac Albalag, toute la lignée des Tibbonides : tou ceux dont la sépulture reste inconnue ou simplement profanée doivent, du lieu où ils se trouvent, chanter la gloire du Dieu de justice et d’équité, qui a permis qu’on leur rende enfin justice : il était temps !
Et je n’oublie pas les grands kabbalistes, notamment Moïse de Léon et ses amis, membres de son cénacle mystique, véritable creuset du Zohar, car c’est non loin d’Avila qu’est née l’œuvre mystique la plus sacrée du judaïsme, donc en Espagne ! Les lexicographes, les philosophes, les mystiques, les auteurs de récits de voyage (Benjamin de Tudèle), l’école de traducteurs de la ville de Tolède, Soria où le grand commentateur juif d’Averroès (Moïse de Narbonne) a fini ses jours, sur chaque mètre carré de cette terre d’Espagne où les juifs ont posé le pied, le vent de l’esprit a soufflé. Et il a soufflé puissamment.
Alors que va t il se passer aujourd’hui ? Est ce que les 3 millions d’Israéliens qui se disent avec raison originaires d’Espagne par leur ancêtres, vont revendiquer la nationalité espagnole ? Vais-je moi-même le faire ?
Pour les Israéliens, je ne doute pas qu’un cerain nombre demandera un tel passeport, quand ce ne serait que pour éviter l’ostracisme de certains pays hostiles à l’Etat hébreu. En ce qui me concerne personnellement, déà titulaire d’un passeport de l’UE, je vais peut-être demander le sésame espagnol pour me dire que justice a été rendue, que la réparation morale a été obtenue et que l’iniquité a été réparée. Je le conserverai dans un coffre en pensant à mes ancêtres qui se voient rétablis dans leurs droits.
Certes, comme d’habitude, des commentateurs émettent des doutes sur la nature absolument désintéressée de cette mesure, rappelons le, hautement symbolique, mais dans ce domaine ce sont les symboles qui comptent. Espère-t-on des retombées économiques ? Une manière de redorer le blason d’une Espagne se relevant tout juste d’une crise économique ravageuse ? La nature humaine étant ce qu’elle est, il convient, cependant, de se garder de lui prêter de noires arrière-pensées qu’elle n’a pas.
Pour ma part, j’y vois une victoire morale à titre posthume pour tous ceux et toutes celles de nos ancêtres qui durent quitter les rivages ensoleillées des villes qui les avaient vus naître. Cette arrachement a dû être insupportable et je me permets de renvoyer à notre Que sais-je sur L’historiographie juive (MRH & Alain Boyer) où je cite les chroniqueurs de l’époque relatant leur calvaire. Dans leurs sépulcres ils perçoivent désormais, selon un mode occulte, l’appel du prophète en ces termes : Réveillez vous, et entonnez des cantiques, O vous les gisants dans la poussière…
Quand on pense que dans l’abîme de cette cuisante douleur, des rabbins contemporains de l’expulsion, ou vivant immédiatement après , ont mis le ban sur l’Espagne en tant que telle : un véritable hérém (c’est la même racine qui a donné haram en arabe) interdisant à tout bon juif de remettre les pieds dans un royaume aussi inique et immoral.
Je dois reconnaître que j’ai ressenti des sentiments mêlés en séjournant il y a deux ans à Madrid et à Cordoue, moi qui ne sais pas l’espagnol et qui ai, dès mon plus jeune âge opté définitivement pour la langue de Goethe.
Mais aujourd’hui, dans la mesure où de simples mortels peuvent faire des paris sur l’avenir, une telle mesure d‘interdiction de sjéour (hérem) devrait être levée. C’est aussi la réalisation d’un autre verset biblique aux accents quasi-messianiques : La vérité germera de la terre tandis que l’équité nous contemplera du ciel……
Mais n’oublions pas les Morisques car la justice, l’quité n’accepte pas les demi mesures.
C’est alors que tous crierons sans réserve aucune : Vive l’Espagne