Israël (Tsahal) soigne les blessés des insurgés syriens
C’est ce que vous apprendrez si vous lisez un long article publié par le journal Le Monde en date du samedi 1er février, page 4. Le reporter décrit par le menu une «coopération» entre les voisins ennemis, mais qui ne veut pas dire son nom. On apprend que depuis des mois, les insurgés syriens postent leurs blessés graves au point frontière entre la Syrie et Israël, sur le Golan, à proximité de la ville fantôme de Kuneitra. On les transporte alors à Safed pour y être soignés. Evidemment, les hommes qui sont ainsi remis au bon cœur des médecins de Tsahal ne sont pas porteurs de lettres médicales issues des insurgés syrien, ils demeurent entourés de mystère quant à leur identité, ils ne portent de vêtements militaires ; c’est une sorte de message muet : voyez nos blessés graves, on ne peut plus rien pour eux. Nous sommes pris entre le marteau de Bachar et l’enclume que vous êtes pour nous, en tant que Syrien… Faites au mieux !
Les médecins colonels de Tsahal, deux hauts gradés druzes, affirment que l’état major de l’armée d’Israël n’ont pas hésite à donner leur accord : il faut sauver des vies et prendre en charge ces blessés risquant l’amputation, voire la gangrène. Certains blessés, soignés par les Israéliens, reviennent lorsqu’un examen complémentaire de leur situation s’impose. D’après le journaliste du Monde, à l’heure actuelle, Tsahal a soigné plus de 600 personnes.
Des militaires qui s’inspirent d’un principe éthique si élevé, sauver des vies, même celles de soldats d’une armée ennemie, c’est plutôt rare. D’où vient cette tradition humanitaire ? Tout le monde connaît le contenu du Décalogue où la premier commandement négatif interdit de tuer. Mais il y a aussi dans le Talmud, au moins deux principes qui élargissent le champ d’application de l’interdit d’homicide :
a) Qui sauve une vie sauve tout un monde. La loi juive nomme cette démarche pikouah néfésh, elle s’applique même lorsqu’il s’agit de profaner une loi du repos sabbatique. S’il faut transporter un malade grave à l’hôpital ou convoquer un médecin en urgence, aucun interdit ne saurait subsister. Pas même le jour de Kippour, au cours duquel la spiritualité juive atteint son point culminant. Déjà la législation biblique stipulait dans le Deutéronome le commandement suivant : tu choisiras la vie. Cette culture de vie qui s’oppose à la culture de mort apparaît aussi lorsque le Talmud règle sévèrement le recours au martyre. La vie est le bien le plus précieux, il convient de ne pas la galvauder. Les trois cas où il faut trépasser au lieu de transgresser (yéharég we al ya’avor) sont les suivants : si l’on vous force à répandre du sang d’un innocent, à vous vautrer dans la luxure ou à adorer des idoles… Dans ces trois cas et dans aucun autre, vous devez mourir en martyr.
b) Le second principe talmudique s’énonce ainsi (bené Israël rahmaniyim bené rahmaniyim) : les enfants d’Israël sont des miséricordieux fils de miséricordieux, c’est-à-dire que chez eux la compassion est de tradition, remonte à des temps immémoriaux, ils la tiennent de leurs ancêtres, c’est une loi cardinale chez eux. Les lois destinées à l’humanité civilisée, tout juste monothéiste, rescapée du Déluge, les Noachides, contiennent aussi l’interdit de l’homicide. Elles attestent aussi le souci de l’autre, quelle que soient sa couleur de peau, sa religion etc… L’humanité est une et indivisible, la loi morale s’applique à tous, tous peuvent en bénéficier.
Ce sont ces lois juives qui ont inspiré le haut commandement de Tsahal. Mais la loi juive a aussi connu un prolongement dans l’enseignement de Jésus qui st né et s’est nourri de cette même tradition biblique : l’amour même de l’ennemi. Il ne l’a pas inventée, contrairement à ce qu’on lit ici et là, parfois. Il l’a remise à l’honneur, ce qui n’est pas rien. On retrouve cet amour de l’ennemi, déjà chez de grands prophètes comme Osée, Amos et Isaïe où l’on peut lire que même l’Assyrie et l’Egypte, grands tourmenteurs d’Israël, sont les enfants de Dieu.
Il est bon de constater que même dans des situations d’une grande violence, on retrouve, de part et d’autre, la surface illimitée de l’humain. Ton sang, poursuit le Talmud, n’est pas plus rouge que le sien. Entendez : sa vie a exactement la même valeur que la tienne…
Il y a dans les Ecrits juifs de Hermann Cohen, grand chantre de l’éthique universelle, une belle phrase allemande où il révère tout ce qui porte sur son visage les traits de l’humain (Alles, was Menschenantlitz trägt).