Syrie: allons nous devoir bientôt soutenir Bachar?
C’est la question que tous les observateurs se posent, au vu des récents développements dans ce pays et dans le pays voisin, l’Irak, où l’Etat islamique étend son emprise sans rencontrer de résistance digne de ce nom. Cet E.I. est une véritable hydre à dix têtes. Il vient de démontrer sa capacité stratégique et sa puissance militaire sur le terrain : il a été capable de mener deux offensives victorieuses à la fois, et ce dans deux directions opposées : l’une à Ramadi dans la province sunnite contestataire d’Al-Anbar et l’autre, d’un tout autre genre, dans le site archéologique, vieux de deux millénaires, de Palmyre. Dans ces deux attaques l’armée irakienne, d’une part, et l’armée syrienne, d’autre part, m’ont pas vraiment opposé de résistance. Dans le premier cas, les chefs tribaux ont stigmatisé l’attitude de l’armée régulière de Bagdad, l’un des cheikhs allant jusqu’à dire que ce sont les milices sunnites (donc tribales) qui protégeaient l’armée et non l’inverse. Ce qui est un comble, car non seulement cette armée irakienne a détalé comme des lapins mais en plus elle laisse derrière elle des quantités considérables d’armes modernes et de munitions que les djihadistes s’empressent de saisir et d’utiliser contre leurs précédents propriétaires… Tout ceci augure très mal de la suite.
Mais revenons à la Syrie bien que l’Etat Islamique se joue des frontières séparant les deux pays qu’il considère comme une entité unique dévolue au djihad.
Depuis quelques semaines, l’armée de Bachar collectionne les défaites. Elle reflue, certes, en bon ordre, mais elle a perdu beaucoup de terrain, au point que la moitié du territoire syrien (même s’il s’agit de larges zones désertiques) échappe désormais à son contrôle. Comment s’explique cette situation ? Est elle le fruit d’une stratégie bien arrêtée ou la conséquence d’une situation que le gouvernement de Damas subit, plus qu’il ne la contrôle ?
Les deux hypothèses se laissent défendre. Cette armée syrienne qui, grâce aux commissaires politiques iraniens venus prêter main forte, ne souffre plus de défection de ses hauts gradés, se bat depuis près de quatre ans. Elle est à bout de souffle. Son matériel, même réparé et entretenu par les Russes, commence à ressentir les effets durables de cette confrontation qui n’en finit pas. Aucun pays de la région n’a jamais connu une telle guerre endémique, pas même l’Irak où la guerre sectaire entre chiites et sunnites a fait rage sous les yeux impuissants des troupes américaines. L’autre hypothèse est que Bachar et ses généraux ont décidé d’attendre des jours meilleurs et de se recentrer sur l’ouest du pays, une sorte de pays utile qui est bien peuplé et sur lequel on peut se replier en attendant que la fortune des armes sourît aux forces du régime. Dans ce cas, le régime ne serait pas vraiment sur la défensive mais aurait derrière la tête une véritable vision qu’il s’apprête à mettre en œuvre.
Que peut faire le monde occidental dans ce contexte si mouvant et qui défie tout esprit cartésien ? Les Occidentaux n’ont toujours pas assimilé une règle, pourtant fondamentale, de l’Orient : il n’existe pas ici de principe pérenne, immuable, de l’identité ni de principe de la contradiction. Ceci signifie qu’il n’existe pas de fixisme : l’ennemi d’aujourd’hui peut devenir l’ami de demain après été, hier, l’affidé de quelqu’un d’autre. Les Occidentaux, habitués à l’Organon d’Aristote et aux épîtres du Nouveau Testament (voir l’Evangile selon Saint Matthieu : que votre oui soit un oui et votre non, un non), ne parviennent pas à faire abstraction de leurs catégories mentales héritées de leur culture judéo-chrétienne. Ce mode de pensée n’a pas cours en Orient. Souvenons nous de cette phrase devenue célèbre du général de Gaulle : Vers l’Orient compliqué, je voguais avec des idées simples…
Cela fait penser à l’interview donnée hier par Barack Obama au journal The Atlantic où il étale son désarroi devant un pays, l’Irak, qui est devenu ingouvernable en raison de son incapacité à résoudre des contradictions internes : la haine communautaire, la guerre sectaire entre les communautés chiites et sunnites, tout ceci ne peut que favoriser les intérêts des djihadistes. Il est vrai que ces gens qui se sont entretués depuis 2006 ne peuvent pas, aujourd’hui, jouer les libérateurs les uns des autres : comment voulez vous que des milices chiites s’impliquent dans la libération d’une province sunnite d’Al-Anbar dont les hommes les ont eux-mêmes tourmentés durant des décennies ? Daesh a su tirer parti de cette opposition : on l’oublie souvent, mais c’est l’accueil des tribus sunnites qui a ouvert les portes des villes et des villages aux djihadistes, considérés comme des libérateurs, face à la tyrannie chiite…
Le seul pays de la région à avoir tout compris et à avoir assimilé cette règle, véritable règle de la survie, n’est autre que l’Etat d’Israël. C’est la raison pour laquelle il navigue intelligemment entre les différents écueils, agissant parfois violemment, manifestant d’autres fois, des sentiments humanitaires en soignant indistinctement des blessés des parties en conflit…
Israël surveille l’évolution à sa frontière septentrionale comme on surveille le lait sur le feu. A-t-il intérêt à la chute de Bachar ? Que redoute-t-il le plus ? Difficile de répondre nettement à cette question.
Ce qui se passe en Syrie est déroutant. Que vont faire les Occidentaux ? Bachar est il devenu incontournable ? Avons nous intérêt à lutter aux côtés d’un dictateur, devenu le véritable boucher de son peuple avec près d’un quart de million de victimes, même si l’on ne peut pas lui imputer la totalité des victimes ?
Il y a aussi d’autres parties mêlées au conflit et qui expliquent peut-être les déconvenues successives sur le terrain, dont est victime l’armée de Bachar : depuis l’intronisation du roi Salman, les choses se sont accélérées car le monarque saoudien est obsédé par un sujet, et un seul : infliger une sévère défaite à l’Iran protecteur de Bachar et dont l’implication de plus en plus forte dans le conflit en cours n’est pas du goût de tous.
Le roi Salman voudrait que les rebelles syriens qu’il soutient en les armant et en les finançant arrivent les premiers dans le palais présidentiel de Damas et que Bachar soit soit chassé, soit neutralisé… Ainsi, l’Iran aura subi une cuisante défaite puisque le régime syrien qu’il a porté à bout de bras aura disparu. Ce serait alors une base en moins pour cet Etat des Mollahs.
Reste l’Irak, devenu un véritable protectorat iranien où Téhéran agit à sa guise. Mais il y a aussi le Hezbollah qui est engagé sur plusieurs fronts et dont l’affaiblissement, en tant que tête de pont iranien dans la région, intéresse à la fois l’Arabie et… Israël. La milice chiite libanaise doit combattre sur plusieurs fronts, ce qui l’éloigne du front septentrional d’Israël. Elle a subi de lourdes pertes tant en Syrie qu’en Irak. Elle tente d e s’introduire au Yémen où l’Iran agit en sous main, au déplaisir de l’Arabie qui voit le chiisme se rapprocher de ses côtés. Et n’oublions pas le soulèvement à Bahreïn que l’Arabie a maté par la force des armes.
Que vont faire les Occidentaux ? Vont ils soutenir Bachar contre l’Etat Islamique ? Comment choisir entre la peste et le choléra ? Quant aux Saoudiens, leurs intérêts et ceux des Occidentaux divergent.
Quant à Israël, j’avoue ignorer sa position claire. A t il vraiment intérêt à la chute de Bachar ? N’a t il pas plutôt intérêt au morcèlement de la Syrie qui sera remodelée au plan communautaire ?
Ce serait une terrible ironie de l’Histoire, si le monde libre devait soutenir Bachar et couvrir ainsi du manteau de Noé ses mains rougies de sang.
Mais ce qui est encore plus inattendu, voire inexplicable, c’est l’attitude de Barack Obama, le seul à prétendre, contre l’évidence, que les choses progressent et vont dans le bon sens.
Maurice-Ruben HAYOUN