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  • Le désordre s'étend en France

    Le désordre s’accroit en France

    Loin de calmer l’agitation des éleveurs, les mesures gouvernementales élargissent le champ de l’incendie, au point que c’est le président de la république en personne qui va devoir payer de sa personne en se rendant à Dijon, pour, entre autres choses, prendre langue avec les mécontents. Les éleveurs bloquent toutes les routes menant de et vers l’agglomération lyonnaise. Une véritable jacquerie comme au Moyen Âge. Au fond, le dialogue social n’a jamais existé en France : seuls les agriculteurs et les routiers peuvent impunément bloques routes, voies ferrées et ports marchands car leurs engins sont difficiles à déplacer. Seule l’armée est en situation de dégager de tels poids lourds. Mais pour faire donner l’armée, il faut un vote au parlement, ce que les gouvernements se refusent à faire pour des raisons évidentes. Ce qui est désastreux, en revanche, c’est l’image que ces gens donnent de la France à l’étranger ; quelle honte ! Des touristes, hommes et femmes, tirant leurs valises à pied sur un ou deux km d’un aéroport. Des gens bloqués dans leur véhicule aux alentours de Lyon, d’autres bloqués dans le tunnel menant aux grands sites de vacances, d’autres enfin empêchés de rallier Genève en raison de l’obstruction de l’autoroute. Le raisonnement est le suivant : nous voulons faire aboutir nos revendications, vous ne voulez pas nous donner satisfaction, nous allons faire pression sur vous en prenant en otages des citoyens qui n’y sont pour rien. Les désordres seront tels que vous allez être contraints de céder… Tel est le mouvement qui tient lieu en France de dialogue social. Personne ne songe à dire à ces éleveurs qu(ils auraient dû moderniser leurs exploitations depuis des lustres, qu’ils auraient dû se mobiliser bien avant,  bref, qu’ils ont aussi leur part de responsabilité… Non, le gouvernement soucieux de ramener la l’ordre et la paix sociale, a cédé sur toute la ligne. Résultat : les maximalistes ont aggravé leur pression. Pourquoi se gêner ? Toujours plus, on peut obtenir toujours plus. Alors allons y ! Ce que les éleveurs dans leur petit monde lilliputien ne savent pas ou ne veulent pas savoir, c’est qu’avec de telles attitudes la France va devenir la Grèce ou presque. Les catégories socio-professionnelles font preuve d’un égoïsme fort dangereux. On voit que le Premier Ministre change son fusil d’épaule, il parlait hier des industriels et aujourd’hui il vise les abatteurs. Demain, ce sera qui d’autre ? Il y a trop d’improvisation dans cette affaire. Sans même parler de l’opposition qui verse de l’huile sur le feu. Que faire ? Agir avec circonspection car le danger qui menace est celui de la contamination. C’est exactement ce qui s’est passé en mai 68.

  • La France, toujours ingouvernable?

    La France, toujours ingouvernable ?

    Retour d’un long séjour à l’étranger, je constate ce qui se passe avec les agriculteurs et les éleveurs en France. Je comprends mieux l’exaspération des étrangers à l’égard de ce pays. Dès qu’on n’est pas entendu par le gouvernement ou par les pouvoirs publics, on manifeste, mais on ne se contente pas de manifester, on bloque les routes, on empêche les trains de rouler, les avions de voler, les commerçants d’ouvrir, les enseignants d’enseigner, bref le pays se trouve de plus en plus souvent en état pré insurrectionnel.  Pourquoi ? Parce qu’une simple catégorie socio-professionnelle décide d’agir tant que ses revendications ne sont pas satisfaites !

    Voyez ce qui s’est passé avec les taxis il y a moins d’un mois : des gens accrochés à leurs rentes de situation qui ont mis le pays en émoi ont été reçus et dorlotés par les hautes autorités de l’Etat. Encore cette sempiternelle crainte d’un incendie qui s(étendrait à tout le corps social. L’effet de contagion, voilà ce que craint le pouvoir. Mais chacun sait au plus profond de soi que les taxis traditionnels, c’est fini, on va vers une autre économie, c’est le vent de l’histoire.

    Imaginez l’effet dévastateur de cette attitude déplorable a sur les touristes qui ne comprennent  pas le rapport entre l’augmentation du prix de la viande bovine et le fait de les empêcher de se rendre au Mont Saint Michel ou de visiter  la grotte de Lascaux

    Au fond de chaque Français sommeille un contestataire, un adversaire de l’ordre établi, bref un rouspéteur. Mais il y a pire, c’est le réflexe de tout casser et de tout bloquer tant qu’on n’a pas obtenu satisfaction. Mais n’instruisons pas exclusivement à charge : les gouvernements successifs ont il prêté l’oreille aux doléances des gens qui souffrent ? N’ont ils pas tenté, faute d’agir sur la réalité, de faire diversion ? Il y a aussi un peu de cela dans cette grogne typiquement française. Mais c’est un dangereux symptôme de régression : on ne sait toujours pas pratiquer un dialogue social civilisé. Il semble que cela remonte à l’époque de la Révolution française qui ‘na pas atteint ses objectifs et qui fut récupérée par la petite et moyenne bourgeoisie. Du coup, des séquelles de cet esprit égalitariste, libertaire et révolutionnaire remontent à la surface et rôdent dans l’imaginaire social, tels des volcans mal éteints ou des âmes en peine.

    Ce qui est encore plus préoccupant, c’est la contamination : déjà les buralistes, inquiets de la baisse de leurs revenus se joignent aux cortèges des rouspéteurs ! Quel rapport ? La contestation. C’est bien pour cette raison que le pouvoir est inquiet et fait tout pour éteindre l’incendie de peur qu’il ne se propage ! Et que fait le gouvernement, que dis-je, le Président de la république en personne ? IL annonce les résultats d’un prochain conseil des ministres à l’avance ! Que fait le ministre de l’agriculture après avoir dit qu’il ne se rendrait pas à Caen ? Il y va, en arguant qu’il a changé d’avis…

    A l’évidence, ce pays traverse une crise de l’autorité. Cela fait des années qu’il est devenu ingouvernable. Il faut un pouvoir fort, certes à l’écoute des demandes de la population mais pas à sa botte. Apparemment, on n’en prend pas le chemin. Le pouvoir qui a déjà promis des baisses d’impôts pour septembre, redoute la rentrée. Il appréhende aussi le résultat des élections régionales qui risquent de consacrer l’hégémonie du Front National.

    On le dit et on le répète, il faut un gouvernement d’union nationale. Un seul parti au pouvoir, dans la situation actuelle, cela ne marche pas.

    Sinon, la France deviendra de plus en plus ingouvernable.

  • Raphaël DRAÏ ou les prémisses d'une pensée juive vivante

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    Raphaël Draï, les prémisses d’une pensée juive vivante

     

     

     

    La triste nouvelle vient d’être publiée par le site JForum : le professeur Raphaël Draï n’est plus. C’est avec une réelle émotion que l’on se penche sur l’apport considérable de cet homme, à la fois juriste, philosophe, exégète , à tous les domaines du judaïsme contemporain. Il fut un véritable éducateur de sa communauté. Toutes les communautés juives, même les plus petites, les plus éloignées de Paris, faisaient appel à lui. Et jamais il ne disait non : tous les juifs de France, et même au-delà, connaissaient ses travaux et appréciaient son dévouement aux causes du judaïsme et d’Israël qu’il défendait avec mesure et compétence.

     

     

     

    On peut dire que la source de son inspiration était la Bible hébraïque qu’il interprétait en tant qu’exégète mais aussi en tant que juriste. Je pense notamment à sa brillante réfutation de la prétendue loi du talion (lex talionis) dans laquelle des esprits tendancieux voulaient voir les racines d’un judaïsme cruel, réduit à une stricte nomocratie, par opposition à un christianisme  qui serait exclusivement porteur de charité et de bienveillance. Raphaël Draï rappelait alors avec finesse que la notion chrétienne de gracia, de grâce, n’était jamais que la traduction latine de l’hébreu héséd, grâce, bienveillance, ou selon la belle traduction anglaise : lovingkindness. Mais même cette mise au point ne fut faite qu’avec bonté, sans le moindre esprit vindicatif.

     

     

     

    Je ne l’ai pas très bien connu, je ne l’ai vraiment rencontré que deux fois, mais j’ai toujours pris connaissance avec un grand intérêt de ses écrits. Il m’est impossible, comme cela, à froid, de mobiliser toutes les idées riches et productives q’il a mises en avant. Mais on peut dégager une idée centrale qui gît aux fondements de ses activités de penseur et d’éducateur : régénérer le judaïsme, revisiter son humus biblique si fructueux et redonner de l’espoir à ceux et à celles qui étaient à la recherche d’un maître digne de ce nom. Il nous fait redécouvrir l’humanisme biblique. Il se situait tout à fait légitimement dans la lignée d’hommes illustres (André Néher, Léon Ashkénazi, Emmanuel Lévinas, entre autres) qui avaient opté pour une pensée juive vivante, engagée dans son siècle et se tenant à distance d’une érudition sèche et desséchante.

     

     

     

    A l’origine, rien ne semblait destiner à cette œuvre considérable cet homme qui fut un juriste compétent et respecté de ses collègues. Il avait été le doyen de la faculté de droit d’Amiens et son œuvre dans ce domaine reste considérable. Ces connaissances en matière juridique furent mises à profit dans ses commentaires bibliques. A la disparition du rabbin Léon ashkénazi, le célèbre Manitou, il avait courageusement relevé le défi et  entrepris de combler ce vide, assumant ce rôle d’éducateur et de dispensateur de sagesse aux Juifs de l’espace francophone. Au cours de ces dernières années, on le voyait régulièrement sur la 5 dans la belle émission d’Yves Calvi. Mais cette notoriété nationale ne l’avait jamais éloigné de ses origines : la communauté juive de France et d’Europe.

     

     

     

    Je repense à son engouement pour l’expression de banou Israël, les fils d’Israël, qui revenait régulièrement dans ses écrits. Comme Martin Buber et Franz Rosenzweig, il considérait la Bible hébraïque comme une source d’eaux vives, une parole vivante et vivifiante, celle du Dieu vivant.  Pour lui, la Bible était et restait à tout jamais le document fondamental de la vie et de la pensée d’Israël dont la vocation première était justement l’universalisme.

     

     

     

    On ne peut pas, eu égard à cette disparition soudaine, passer en revue  de manière détaillée, l’ensemble d’une œuvre qui lui survivra tant elle est féconde et riche. Il s’était aussi confronté aux idées de Freud sur Moïse et le monothéisme, rejoignant ainsi le travail d’un autre grand historien, l’américain Yossef Hayyim Yerushalmi. Je me souviens aussi fort bien de son œuvre intitulée La sortie d’Egypte, couronnée par le Prix Wizo. Il y eut aussi un autre ouvrage intitulé La communication prophétique. Sans même parler de sa Lettre ouverte au cardinal Lustiger. Il y en eut tant d’autres.

     

     

     

    Le professeur Draï avait fait quelques incursions remarquées dans le domaine des relations judéo-chrétiennes, refusant de voir dans la nouvelle religion la vérité de la sienne propre. Il n’acceptait pas cette théologie de la substitution dont même l’église finira par se distancier.

     

     

     

    La sortie d’Egypte l’a passionné. Il sut apprécier le contenu révolutionnaire du livre de l’Exode qui marque effectivement les premiers pas d’une nouvelle nation sur la scène de l’histoire. Cet Exode, unique en son genre, dessine les contours d’un peuple qui se met en marche, animé par les impératifs de sa vocation : proclamer la doctrine révolutionnaire pour l’époque du monothéisme éthique. Cette sortie d’Egypte est le premier événement historique de portée nationale qui  signe l’apparition d’un peuple en tant que tel, sur la scène de l’histoire universelle. Certes, la formation et la sensibilité religieuse du professeur Draï ne le conduisaient pas à reprendre à son compte les acquis de la critique biblique. Je l’ai dit plus haut et le répète : la Bible était à ses yeux la Parole du Dieu vivant, celui d’Abraham et non d’Aristote, celui de Juda ha-Lévi et non de Moïse Maimonide, un Dieu qui parle aux hommes, se révèle à eux, un Dieu en quête de l’homme, pour reprendre le titre d’un célèbre ouvrage du rabbin germano-américain Abraham Joshua Heschel. A l’époque, nous avions tous dévoré cet autre ouvrage de ce même auteur inspiré, Les bâtisseurs du temps, dont l’adaptation française est due à un autre grand éducateur de son peuple, Georges Lévitte.

     

     

     

    A côté de ses multiples activités, notamment universitaires, le professeur Draï  écrivait des tribunes libres pour différentes publications, notamment communautaires où il commentait, parfois avec une sévérité justifiée, les querelles et les conflits. Il se voulait un intellectuel engagé.

     

     

     

    Né en Algérie au beau milieu de la seconde guerre mondiale, le professeur Draï était animé par cette volonté, si chère aux séfarades de ranimer le judaïsme français dont un des président du FSJU disait au milieu des années soixante, que c’était un désert. Il voulait que l’identité juive réaffirme avec forces tous ses droits face à la culture européenne. Il considérait avec raison que jusqu’en 1962, date du rapatriement des Juifs d’Algérie, les anciennes institutions avait fait au milieu ambiant de larges concessions qui avait conduit à une assimilation galopante. Mais  ce brillant juriste ne rejetait pas en bloc la culture européenne, il exigeait cependant que l’identité juive ne fût pas réduite à la portion congrue.

     

     

     

    Il est difficile de dire de manière péremptoire tout ce que cet homme a apporté à la communauté juive de notre pays. Je pense qu’il fut un éducateur, un champion de la diffusion de la culture juive : il a aidé de toutes ses forces ses coreligionnaires à redécouvrir le bonheur d’être juif sans avoir à renoncer à l’essentiel.

     

     

     

    Maurice-Ruben HAYOUN