Le pouvoir incontrôlé et incontrôlable de l’image…
De Jean D’Ormesson à François de Rugy et Ehoud Barak
Je prendrai, pour commencer, trois exemples de nature très différente les uns des autres, pour illustrer mon propos. Trois exemples pour étayer un principe ravageur qui risque de nous détruire, de fausser nos jugements et de saper les fondements mêmes de l’équité : il s’agit du pouvoir grandissant de l’image, de la photographie, érigées comme preuves indiscutables, irréfragables. Ce n’est plus du journalisme d’investigation, ce n’est plus un contre-pouvoir mais un pouvoir en soi. Parfois, ce mode de fonctionnement contraint la justice à se saisir d’elle-même.
Le premier exemple nous est livré par le regretté Jean d’Ormesson. Il avait, en fin observateur de son temps qu’il était, découvert un glissement absolument imperceptible de nos mœurs et qui annonçait un changement total de nos sociétés : depuis un certain temps, disait-il, lorsque je prends part à des salons du livre on ne me demande plus de dédicace, mais bien des selfies… Curieuse évolution de l’image qui prend définitivement ( ?) le pas sur l’écrit. Une évolution riche en conséquences incalculables puisque notre civilisation, depuis la découverte de l’écriture à Sumer, était basée sur l’écriture, devenue une véritable mémoire de l’humanité. Certes, même les hommes préhistoriques peignaient parfois des scènes de leur vie quotidienne sur les parois des grottes où ils vivaient, mais c’est l’écriture, avec son sens intelligible qui a servi de véhicule au savoir et assuré sa transmission d’une génération à l’autre.