Vingt et une heures à Tel Aviv hier. La nuit est tombée, tôt comme d’habitude dans ce pays du Moyen Orient. Nous sommes assis à la terrasse d’un restaurant italien sur le boulevard Ben Yehouda, l’un des plus étendus de cette ville. Le service est un peu long à cette heure d’affluence et les pizzas mettent du temps à arriver sur les tables des dineurs. Alors je prends mon temps et me livre à mon activité favorite, regarder les gens qui vont et qui viennent, m’arrêter sur leur mode vestimentaire, leurs chaussures, ce qu’ils disent à très haute voix sur leurs portables. Et bien sûr le premier élément qui me frappe par sa récurrence, ce sont les chiens tenus en laisse par leurs maîtres.
Vu de la place Victor-Hugo - Page 228
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Mais pourquoi tant de chiens dans les rues de Tel Aviv et d'ailleurs en Israël?
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Du don de la Torah au Sinaï à la politique israélienne actuelle.
Du don de la Torah au Sinaï à la politique israélienne actuelle.
Le débat autour de l’essence d’un Etat juif.
Parfois, le hasard, si tant est qu’il existe, fait bien les choses. A moins d’une semaine de la fête de la Pentecôte juive (chavou’ot), où la tradition rabbinique veut voir le don de la Torah par Dieu et non pas une sorte de revelatio de son essence impénétrable, ressurgit un débat sur ce que doit ou devrait être un Etat juif… Ou un Etat des Juifs.
Ce débat a été maladroitement déclenché par un élu de droite, partisan d’une certaine place du droit religieux dans l’institution judiciaire d’Israël, ce qui risque de lui coûter le poste qu’il convoite dans le prochain gouvernement, celui de la justice. En fait, comme c’est souvent le cas, il suffit que quelqu’un mette les pieds dans le plat pour que la presse locale déforme ses propos et suscite une polémique qui occupera les gazetiers durant quelques jours ou même quelques semaines…
Mais le sujet est d’une actualité brûlante puisque, selon toute apparence, c’est la pomme de discorde qui a fait chuter la coalition montée par Benjamin Netanyahou et a provoqué cette grave crise, nécessitant de nouvelles élections.
En tout état de cause, ce qui m’intéresse ici, alors que je me trouve in situ, c’est la concomitance entre cette fête de chavou’ot où la tradition juive commémore le don de la Torah, et le lancement de ce débat qui, pris de manière sérieuse et sans arrière-pensée polémique, vaut la peine d’être discuté.
Qu’il me soit permis d’adopter ma démarche habituelle : plonger dans les profondeurs de la spiritualité judéo-hébraïque afin qu’elle éclaire de son mieux les ingrédients du débat actuel.
Tous les familiers de l’exégèse biblique juive savent que la Bible instaure un espace de sept semaines (d’où le nom de chavou’ot en hébreu et de Pentecôte en français), où les sages du Talmud, et dans leur sillage, les rabbins ont voulu voir le passage symbolique du statut d’esclave à celui de l’homme libre, régi par une Loi, une Torah qui l’empêche d’être le jouet de ses sens et lui confère une dignité nouvelle, celle de la responsabilité de ses actes. Ce n’est plus un esclave, mais un homme libre. On passe donc de la libération à la liberté.
Les sages ont résumé cette idée fondamentale dans une formule lapidaire dont ils ont le secret : al tikré harut ella hérout (ne nomme ce qui est gravé dans les Tables de la Loi que la liberté). Tout cela, un véritable massif de la philosophie politique, accroché à une simple substitution de deux voyelles, puisque la langue hébraïque est une langue essentiellement consonantique : du A au E…
Cette idée d’obéissance à la la Loi divine, cette législation religieuse qui se trouve dans la plupart des livres du Pentateuque de Moïse, principalement dans l’Exode, le Lévitique, les Nombres, sans oublier le Deutéronome qui se veut un récapitulatif de la totalité de cette même législation.
Pour donner un seule exemple du caractère précieux et indispensable que les sages accordent à la pratique religieuse, il suffit de se limiter à un seul exemple tiré des sources juives anciennes et qui est prêté à rabbi Akiba, contemporain de Bar Cochba : de même qu’un poisson ne peut pas vivre hors de l’eau, Israël ne saurait survivre sans la Torah. Et derrière ce vocable générique, le sage rabbi Akiba, l’homme le plus érudit de la tradition juive, plaçait évidemment la pratique des lois et des rites religieux. Aux yeux de la tradition multimillénaire, c’est l’exclsuive raison d’être de ce peuple.
Je ne vois pas comment l’Etat d’Israël pourrait réinvestir intégralement le domaine dela législation religieuse, lui qui se veut à la fois juif et démocratique. Ce n’est pas une mince affaire que de muscler ses deux piliers à la fois et de les entretenir sans que cela se fasse au détriment de l’un ou de l’autre. Mais ce n’est pas, non plus, la quadrature du cercle. Or, pour avancer, il faut avancer sur deux jambes… Je ne crois pas que l’on pourrait, un jour, cocher les deux cases en même temps et dans une égale mesure.
Il y a quelques décennies, un président de la Cour suprême israélienne, éminent juriste et peu suspect de sympathie excessive pour le parti religieux, s’était posé la question suivante : quelle part, quelle place pour la législation biblique dans l’Israël contemporain ? Le juriste a donné des réponses qui n’ont pas toujours été suivies d’effet. Si j’ai bien compris, ce qu’il voulait dire, il opte pour accorder à la tradition juive biblique mais aussi talmudique le statut de source législative insufflant un esprit juif dans une législation civile. Il faudrait que la légalité ne contredise jamais à l’éthique. En d’autres termes, Israël ne sera jamais un pays où la sharia juive fait la loi et détermine la vie quotidienne de tous ses citoyens.
Les enjeux sont considérables : peut on paralyser le pays pour respecter à la lettre les lois du repos et de la solennité sabbatique ? Peut-on imposer les règles de la cacherout (les interdits alimentaires) dans l’ensemble du pays ?
Le statut de la loi dans la vie juive a toujours posé problème et le cas le plus considérable n’est autre que l’apparition du christianisme avec un antinomisme dont saint Paul s’est fait l’inimitable champion, comme on peut le voir dans l’épître aux Galates, au sujet du maintien ou de l’abolition de la circoncision. Cette contestation remonte jusqu’ à la manière d’interpréter les chapitre XV et XVII du livre de la Genèse, lorsque l’oracle divin s’est adressé au patriarche Abraham : l’a t il avant ou après la circoncision du noble patriarche ? Dans le premier cas on penche en faveur du christianisme et dans le second pour le judaïsme rabbinique…
Il est normal que les fêtes juives soient promues au rang de fêtes nationales en Israël car les origines de cet état sont religieuses. C’est la tradition juive religieuse qui l’a porté sur les fonts baptismaux, mais en plus de trois millénaires d’histoire, bien des choses ont changé. Il convient d’agir sans rien renier. La tradition doit savoir s’adapter sans se remettre en cause fondamentalement. Mais ce n’est pas chose aisée. Il faut réussir à combiner, je n’ose pas dire, panacher philosophie et théologie, tradition et histoire. Ce que le grand philosophe hégélien Franz Rosenzweig (mort en 1929) nommait le Nouveau Penser…
Il faut un Nouveau Penser.
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Angela Merkel à Harvard, le chant du cygne? Non, sa vision de l'avenir...
Devant les étudiants et les cadres de l’université de Harvard la chancelière allemande livre sa vision de l’avenir …
C’est à l’aimable obligeance de S. E. madame l’ambassadrice Susaanne Wasum-Rainer, représentante du gouvernement fédérale Tel Aviv que je dois de pouvoir parler du magnifique discours qu’Angéla Merkel a prononcé devant toute l’université prestigieuse de Harvard. Un discours largement ovationné, et à la fin, lorsque la chancelière a prononcé ses tout derniers mots en langue anglaise, ce fut un triomphe, une longue ovation debout : c’est toute l’Amérique pensante et cultivée qui rendit ainsi un vibrant hommage à une chancelière qui aura marqué tout notre temps.
Trente minutes de discours, riches et émouvantes. Une chancelière, encore en fonctions mais qui, déjà, entonne son chant du cygne… L’aventure commença en 2004 lorsqu’elle fut élue pour la première, inaugurant ainsi le prise de fonctions d’une femme à la tête de la plus forte puissance européenne. C’est une survivante, aussi : car elle a survécu à Nicolas Sarkozy qui a disparu des radars sur fond de problèmes judiciaires et distançant son partenaire français du moment, Emmanuel Macron, au point que l’axe franco-allemand menace de ne plus être qu’un lointain souvenir… C’est elle la vraie maîtresse des horloges puisqu’elle a choisi d’établir elle-même le calendrier de son départ. Et elle ne s’est jamais prise pour Jupiter ou pour Dieu le Père…
Mais revenons au discours. La chancelière a évoqué avec émotion mais sans mièvrerie sa vie personnelle en RDA où elle naquit, fit ses études et commença sa carrière scientifique. J’ai senti une femme au bord des larmes, probablement parce qu’elle évoquait publique pour la première fois les données les plus intimes de son existence. Elle a dit que son appartement n’était pas très éloigné du mur à Berlin où elle vivait. Et chaque fois qu’elle empruntait ce chemin, donc tous les jours que Dieu faisait, elle devait contourner ce mur qui la séparait de la vie, de la liberté et de la sécurité. Elle eut des mots très forts, très durs à l’égard des anciens maîtres de la RDA qui retenaient en otage des millions d’êtres humains, dont elle-même et ses parents… Elle dira au milieu de son discours que les jeunes diplômés de Harvard mais aussi du monde entier doivent apprendre à distinguer entre la vérité et le mensonge. C’est là la base de toute philosophie morale dans laquelle l’école philosophique allemande a excellé durant des siècles, si l’on veut mettre à part l’épisode nazi…
Cette éthique de la vérité fait honneur à cette fille de pasteur qui s’est toujours montrée à la fois Realpolitekerin et Tatkraftmensch… Elle a dû en subir, des mensonges, venant d’un régime qui mentait à ses administrés, les trompait et les surveillait. Et pour les plus récalcitrants les emprisonnait ou même les fusillait. Elle a fait allusion à ceux qui bravaient la mort et mouraient sous les balles des Vopo (Volkspolizei).
Dans cette démarche, prendre la parole devant un public enseignant et étudiant, Angela Merkel marche dans les brisées de célèbres précurseurs allemands, dans l’histoire intellectuelle de son pays : ce furent des nobles Allemands qui furent au Moyen Age à l’origine de la construction de certaines universités. Même après des défaites sur le champ de bataille, ils se sont relevés grâce à la puissance de l’esprit allemand, un esprit non point nationaliste, raciste ou ségrégationniste comme du temps de la Shoah mais une empathie avec le genre humain. Un aspect humain et universaliste, le bon sens de dem deutschen Geist geweiht…
Ce sont des pasteurs comme le propre père de la chancelière qui ont animé au sens propre le soulèvement, la résistance spirituelle contre l’oppression. Ils défilaient chaque soir, silencieusement une bougie à la main. Ce n’était pas une retraite aux flambeaux (Fackelzug) comme les Nazis.
Angela Merkel a aussi effleuré en qualité de femme politique des thématiques philosophiques auxquelles je suis très sensible. J’ai apprécié cette subtile distinction qui sépare la bonne politique, la direction des affaires, de la mauvaise, celle qui se satisfait de formules telles que gewält ist gewählt…, on sent, là-derrière l’enseignement pastoral de la jeune protestante pour laquelle l’impératif catégorique de Kant est omniprésent, même dans l’action politique. Et Dieu sait qu’elle sait de quoi elle parle. Elle a aussi dit que rien n’ »tait immuable, rien n’était figé dans le bronze, comme voulaient le faire croire l’URSS et sa fidèle associée la RDA. Les deux ont fini par tomber car baties sur le mensonge et la peur.
J’ai apprécié sa revue critique de sa propre action car elle ne s’exonère pas elle-même de tout manquement. Interrogation : avons nous fait des choses parce que tel était notre devoir, notre obligation d’agir ou simplement avons nous agi car c’était la seule possibilité ? Après avoir défini la problématique, elle la caractérise de la manière suivante : sont ce les conditions indépendantes de notre volonté, la conjoncture (en allemand on dit Fügung) qui ont guidé notre action (en tant que chancelière) ou est ce notre volonté propre que nous avons su faire passer et imposer (durchsetzen) ?
C’est tout le défi de l’homme ou de la femme politique : libre d’agir ou contraint d’agir ? Imposer au peuple sa volonté bien pensée et réfléchie ou se conduire avec bassesse en cédant à la vox populi ?
Ah) Si mon philosophe préféré, HEGEL le chantre de la philosophie politique, l’auteur de La philosophie du droit était parmi les auditeurs de ce discours de Harvard, lui aussi aurait applaudi Angela, debout, les larmes aux yeux…
Ce fut un grand moment, un moment de grâce (en hébreu : et ratson). Au fond, les Allemands sont comme les Juifs, un peuple de Dieu, un peuple qui puise son inspiration et son action (presque toujours) dans la parole de Dieu. Mais Angela est allée encore plus loin, elle a admis dans son propos alles was Menschenantlitz trägt… Tout ce qui porte sur le visage les traits de l’humain.
A n’en pas douter, le philosophe Hermann Cohen (ob. 1918) avait raison : le protestantisme a du bon