Suite et fin des chroniques new yortkaises
Vu de la place Victor-Hugo - Page 334
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Suite et fin des chroniques new yorkaises
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Chroniques New Yorkaises: VII visite de la synagogue de Park Avenue
Chroniques new Yorkaises VII : le vendredi soir à la Park Avenue Synagogue
Vendredi peu avant 18heures : Danielle et moi sommes prêts pour nous rendre à la synagogue de Park Avenue qui est tout près : 10 minutes de marche à pied. Nous hésitons quelques instants sur l’adresse mais opportunément un taxi s’arrête et en descendent les membres d’une même famille qui viennent prier.
18h35 : nous franchissons le portail de la synagogue. Mon attention est attirée par l’absence de toute garde armée statique. A l’intérieur, on nous prie seulement de laisser nos portables à l’extérieur. Cela tombe bien car nous n’en avons pas sur nous.
Une voix féminine qui déclame les Psaumes du chabbat nous accueille : j’avais pourtant cru que cette synagogue était conservative mais je dois me rendre compte que conservative n’est pas orthodoxe… Car dans le talmud il est bien au sujet des femmes et de la prière : Qol ba isha erwa : la voix d’une femme est une nudité. Il est donc assez risqué de leur faire chanter des Psaumes le vendredi soir dans une synagogue. En ce qui me concerne, je n’en prends pas ombrage car je considère, sans démagogie, que la place dans la femme dans le culte juif doit être réévaluée.
Cette PAS (c’est son diminutif actuel) est bien organisée puisque dès que nous entrons, on nous remet un dépliant narrant l’historique de l’institution. Elle fut fondée en 1882. L’architecture est belle, quoiqu’un peu baroque, voire surchargée, avec des lumières très vives. Mais le public, un gros tiers des places est occupé, semble apprécier, et notamment ce petit orchestre qui accompagne la cantatrice, je veux dire la ministre officiante : un batteur, un guitariste, un pianiste, etc… Certes, on peut se réclamer de la harpe du roi David et dire que deux millénaires de persécutions ont conduit le judaïisme a se faire plus discret.
Le rabbin commence par faire venir à lui les jeunes qui viennent de célébrer leur bar mitswa, leur majorité religieuse. Ensuite il fait réciter un kaddish par les fidèles qui sont en deuil. Ensuite, on renoue avec la prière, pardon ici il est de bon ton de dire le culte (en bon anglais : to worship). On lit à haute voix le shema Israël, du moins la première partie, aux fidèles le soin de compléter le reste à voix basse. On se lève pour la amidah, de même que le rabbin prie les endeuillés de lever lors du kaddish.
En gros, rien de révolutionnaire mais un enrichissement pour moi au sujet du champ sémantique de conservatice judaism. Un détail, tous les hommes portent la kippah à la synagogue. C’est déjà ça… ,
J’ai tenu à me rendre à ce service religieux car, comme vous le savez probablement, j’ai écrit un livre sur Le judaïsme libéral mais aussi il y a quelques années un QSJ ? sur La liturgie juive. Et vu l’indigence du judaïsme libéral et réformé d’aujourd’hui, je me suis focalisé sur les racines allemandes de cette même tendance religieuse au sein du judaïsme. Et je dois dire qu’aux premières décennies du mouvement, quelle richesse, que de contenu, que de densité !
Je suis partagé entre deux tendances contradictoires : d’une part, je crois en l’évolution du processus historique auquel rien n’échappe et d’autre part, je suis hésitant face à des aménagements arbitraires venus de personnes non autorisées, non qualifiées, ni par leur savoir ni par leur culture. En gros, rien de révolutionnaire
Le débat autour d’un dépoussiérage du judaïsme remonte à de longues années. Je dois dire que je suis sidéré par la vacuité du discours de femmes rabbins, plutôt de rabbin journalistes qui font plus de public relations que de religion. Arguant que chacun a son judaïsme, que celui-ci est l’équivalent de la diversité, bref une forme moderne de bouddhisme ou plutôt une auberge espagnole.
Les sages du Talmud qui ne se disaient même pas rabbins alors qu’ils ont constitué l’ossature spirituelle d’Israël, eux qui ont formé la carapace défensive qui a permis aux juifs de traverser les siècles sans trop d’encombre… CVertes, à quel prix, mais tout de même.
Les gens devraient faire attention au discours que leur tiennent les non informés et les non savants. Ils ont le droit d’agir comme ils l’entendent mais ils doivent en savoir plus sur les sources. Chacun ou chacune a le droit de dire ce qu’il ou ce qu’elle veut. Mais doit s’entourer d’un minimum de précaution. Car à trop suivre la mode on parle de la mode exclusivement et les modes se démodent vite. Or, le judaïsme, depuis plus de deux millénaires, n’a pas cessé de changer tout en restant lui-même.
Mainte prière juive dont je ne saisissais pas l’impact jadis me semble aujourd’hui lumineuse. Il convient donc de prendre ses propres dimensions et d’être au clair sur ses propres capacités. ET ceci vaut pour nous tous et aussi pour ceux qui tentent par tous les moyens de sortir des rangs et d’attirer l’attention.
Me revient à l’esprit, malgré la fièvre de l’autre jour, une phrase tirée du corpus midrachique et talmudique : oy lahém la biryot mé élwonah shel Tora Malheur aux créatures qui offensent la Tora.
J’ajoute aussi, pour finir, Dieu leur pardonnera tant la miséricorde divine n’a pas de fin.
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chroniques new yorkaises, visite du Met
Chroniques new yorkaises VI : Visite du Metropolitan
Jeudi, le temps n’est plus aussi chaud à New York bien que le soleil brille. La veille, Sophie a préparé un grand dîner et moi j’ai jugé bon de dîner sur le balcon ; du coup j’ai pris froid puisque je ne portais ni veste ni pull
Ce jeudi nous devions nous rendre à Ground Zero pour avoir une pensée pour les victimes du 11 septembre. Mais Danielle change ses plans pour aller au Met qui est à dix minutes à pied d’ici. Il y une exposition chinoise qu’on aimerait voir. Et effectivement, l’exposition est magnifique.
J’ignore si vous êtes déjà venu ici mais le bâtiment est énorme et l’accès au musée est gratuit. Les gens, lunettes de soleil sur le nez, sont assis sur les gradins, dévorent des sandwichs et boivent du coca cola. Il règne une atmosphère, une ambiance, différente de celle de notre Louvre. A notre grande surprise nous tombons sur un personnel du Musée qui parle français. C’est encourageant et on nous dit comment accéder directement aux Chinois, depuis le IIe siècle avant JC jusqu’au II. siècle après JC.
Les objets, les animaux, les sarcophages qui s’offrent à ma vue sont incroyables.. On a l’impression que tous ces objets viennent d’être déterrés. Leur puissance d’expressivité est incroyable : que ce soit le soldat en position de tirer avec son arbalète, que ce soient les jeunes chevaux tirant l’attelage ou l’norme lion accroupi sur un beau piédestal, tout semble vivant et pourtant cela remonte à près de deux millénaires.
L’art, la musique, les sculptures, tout ce qui touche à l’esthétique, n’a jamais inspiré confiance à mes parents qui ont mis l’accent exclusivement sur la Torah et les commentaires mlidrachiques et talmudiques. Au fond, l’éthique prenait le pas sur l’esthétique. Cette dernière passait pour hévél wa rek : vanité et vacuité !! Dommage, car je n’ai jamais reçu de bonne éducation artistique. Même si j’ai bien étudié les analyses de Moïse Mendelssohn sur l’esthétique, je n’arrive pas à me focaliser là-dessus.
En revanche, je me rattrape en réfléchissant sur ce qui a poussé les peuples à s’adonner à l’art, comme une sorte de bouteille à la mer, pour témoigner, aux yeux des générations futures, de ce qu’ils furent, mais aussi de la culture produite. C’est à cela que je pense en contemplant les œuvres d’art.
Mais pourquoi donc les peuples et les civilisations ont-ils besoin de témoigner en faveur d’eux-mêmes ? Pourquoi ce rapport au temps ? Témoigner pour un temps qui ne sera plus le nôtre ? Cela me fait penser à des idées développées par Martin Heidegger dans Etre et temps (1927). L’être, dit-il, pour la mort (Sein zum Tode) pour la bonne raison que nul être ne peut priver la grande faucheuse de son dard. Donc, en transmettant à d’autres siècles sa propre culture, on tente de se survivre à soi-même.
Et en relisant L’humanisme de l’autre homme de Levinas, je trouve dans le paragraphe intitulé Avant la culture, les premières lignes suivantes : La morale n’appartient pas à la Culture : elle permet de la juger, elle découvre la dimension de la Hauteur. La hauteur ordonne l’être. Tout est dit en peu de mots, toujours les mêmes chez Levinas : l’antériorité du bien sur l’être, l’asservissement à l’autre par le truchement de la responsabilité, l’impossibilité de déléguer à un autre, à Autrui puisque c’est par et pour autrui que l’on existe.
Et au terme de ce même paragraphe, Levinas conclut en ces termes : Mais les normes de la morale ne sont pas embarquées dans l’histoire et la culture. Elles ne sont même pas des ilots qui en émergent car ils rendent possible toute signification, même culturelle, et permettent de juger les cultures…
Aucune culture, aucune civilisation ne saurait y échapper car après sa disparition, elle se soumet au jugement de l’Histoire, c’est-à-dire de l’éthique. Les juifs ont trop mis l’accent sur la morale et l’éthique. Un épisode biblique est peut être responsable de sa distance par rapport à l’art : la Tour de Babel qui a chèrement payé sa rivalité avec la divinité. Mais ce qui frappe le lecteur, c’est la motivation par les hommes de leur stupide entreprise : nous nous ferons un NOM de crainte d’être dispersés sur la surface de la terre. We na’assé lanou shem pen nafouts al péné kol ha arets
La encore, c’est témoigner, laisser une trace. La trace aussi a inspiré à Levinas un bel écrit où les notions d’être, de culture et de survie prédominent. Survivre à son propre temps. Témoigner pour un temps qui ne sera plus le nôtre puisque l’on n y sera pas ou plus.
En fait, c’est une lutte éperdue pour accéder à l’éternité.Passer de l’être au surêtre ou à l’autrement qu’être, où l’être n’est plus la modalité ontologique principale. C’est cela que les bâtisseurs de la Tour de Babel ont tenté de faire, eux qui n’avaient pas compris, comme Abraham Heschel, qu’il faut être des bâtisseurs du temps et non de l’espace.
Danielle me secoue alors que je suis plongé dans mes propres pensées, elle m’adjure de vivre l’instant et me dit que les tableaux sont beaux. C’est beau : toutes ces toiles de grands maîtres, toutes ces œuvres des siècles passés, tous ces talents humains que l’on continue d’admirer. Les tableaux sont vraiment très bien, mais il y a une chose qui m’a marqué, c’est le sarcophage chinois si différent du sarcophage égyptien classique. Je me suis demandé s’il y avait encore une momie à l’intérieur. Toujours cette aspiration à la durée, à l’éternité. Cette volonté de survivre à soi-même.
Au fond, c’est ce que cherchaient les Chinois en nous montrant des poteries, des parures, des armures de guerriers, des bovins, des ovins, des porcs et des animaux sauvages.
Oui, j’ai conscience d’être sorti du cadre, de parler plus du symbolisme artistique que de l’art en tant que tel. Au fond, Nietzsche avait peut-être raison, dans sa Généalogie de la morale (même si sa sœur Elisabeth Förster-Nietzsche a légèrement retouché les textes dans un sens douteux)… Il a expliqué que l’irruption de la morale dans les rapports humains a été le fait d’esclaves, désireux de miner la conscience des natures fortes et puissantes Mais je pense que Nietzsche s’est trompé, l’éthique est indispensable. Aucune société humaine ne peut s’en passer. Elle ne serait plus humaine si elle permettait que les forts écrasent impunément les faibles…
Ce sont les sources juives anciennes qui ont raison, ce sont elles qui sont le produit de siècles de sagesse et de réflexion. Ce sont elles qui décrivent bien le temps pré-originaire, le temps d’avant le temps. Le christianisme lui aussi, dans le sillage de la religion-mère, a donné un sens à la vie sur terre, apprenant aux hommes à mourir, c’est-à-dire leur enseignant que l’on ne quitte jamais cette terre sans laisser de traces… Qu’il y a autre chose après et non pas rien.
Mais le judaïsme a peut-être un défaut : il réfléchit sur la vie plus qu’il ne la vit dans l’immédiat. Comme le disait Gershom Scholem : la vie juive est une vie en vie en sursis (das Jüdische Leben ist ein Leben im Aufschub… C’est-)-dire qu’on repousse toujours les choses à plus tard… L’an prochain à Jérusalem en est la meilleure illustration et la preuve de son bien fondé puisque de nos jours cela est possible.
Ma prochaine chronique portera sur le chabbat dans la synagogue libérale-conservative de Park Avenue à deux blocs d’ici. Après tout j’ai écrit il y a deux ans un Judaïsme libéral aux éditions Hermann…
Maurice-Ruben HAYOUN