On parle souvent du danger qui menace Israël de l’extérieur, mais plus rarement de cette grave préoccupation qui pèse sur l’avenir des Israélien : dans quelle mesure, et jusqu’à quelles limites souhaitent ils vivre dans un Etat juif, juif absolument, c'est-à-dire régi par la loi religieuse ? Je ne reviens pas sur la difficulté à traduire le fameux titre du livre de Théodore Herzl, Der Judenstaat. Ce qui signifie l’Etat des Juifs et non pas der jüdische Staat qui signifie l’Etat juif, donc régi par la loi religieuse juive, la halacha.
Lorsque David Bengourion prit les choses en main avec la fermeté laïcisante qu’on lui connaît, il avait bien compris que ce serait une erreur fatale de laisser les religieux au dehors de la marche politique du pays. Il les a donc ménagés, leur a octroyé des avantages non négligeables (lui qui était a-religieux) et a pu compter sur leur concours un peu passif mais réel.
Aujourd’hui, 60 ans après la refondation de l’Etat d’Israël, le problème non résolu, ressurgi tous les jours et oppose deux camps, celui des laïcs et celui des religieux. Chacun observe l’autre, dénonce l’autre, sans excès, certes, mais pour l’observateur extérieur, la confrontation prend parfois (pas toujours) une tournure choquante.
On se défend mal de l’impression qu’il y a là deux Etats dans le même pays : la frange religieuse, elle-même, ne constitue pas un bloc homogène. Il y a des religieux qui ne veulent rien avoir à faire avec cet Etat qu’ils trouvent laïc et qui ne correspond pas à leurs rêves messianiques ; d’autres, plus ouverts, participent au jeu politique, ont créé des partis et disposent à la Knését d’une minorité de blocage qui leur permet de faire valoir et de défendre leurs idéaux. On l’a vu ces jours derniers où eut lieu le vote du budget : chaque année, c’est le même mélodrame, les députés refusent de voter les affectations budgétaires tant qu’ils ne sont pas assurés de recevoir les subsides pour leurs écoles et leurs institutions. Ces demandes sont légitimes, même lorsque certains abus sont vraiment criants. Aux élections, ces franges religieuses de la population se présentent en ordre dispersé, probablement pour ratisser le plus large possible.
Face à eux se dressent le camp des laïcs qui n’est pas moins désuni mais la représentativité est, de fait, la plus importante.
Cette dichotomie, véritable fracture interne, constitue une grave préoccupation pour l’avenir du pays. Certes, Israël est une démocratie parlementaire, la seule de toute la région, mais son histoire spécifique lui confère des aspects que les systèmes occidentaux assimilent un peu vite à des penchants théocratiques. A quoi, les défenseurs du système répondent que cet Etat est censé répondre aux besoins des juifs et que le système politique est une réalité non rigide mais bien plus souple qu’on ne le croit.
La question qui se pose et la suivante : est-ce que cette dualité ne va pas, un jour, se muer en dualisme, susceptible d’être fatal à l’avenir de ce pays ?
Quand on pense la question au plan théorique, la solution paraît introuvable et pourtant le pays fonctionne et avance. Si vous revenez dans une ville comme Béer Shéva, la métropole du sud, après une absence de deux ou trois décennies, la cité est méconnaissable. La même chose vaut d’Ashdod. La croissance naturelle est là, indéniablement présente. Les autoroutes se superposent les unes autres, les quartiers les plus reculés d’une ville ne sont plus à la périphérie mais presque au centre, etc…
Les Israéliens qui ont des opinions politiques opposées adorent les discussions, les confrontations d’idées à un point parfois étrange ; et peu après, ils se retrouvent autour de l’amour de leur patrie et de la terre d’Israël. C’est un peu comme si les vrais problèmes chassaient les faux et faisaient disparaître les apparences. Quand on pense que tout est bloqué, tout repart soudainement, comme par miracle.
Et après tout, c’est bien le pays des miracles. Cela fait penser à la célèbre phrase : Et pourtant, elle tourne !