On m’a posé sur ce blog hier soir une question importante avec une demande d’ répondre assez rapidement. Je tente ici même. Y a-t-il un sionisme autre que religieux. Je renvoie évidemment au grand historien du sionisme Walter Laqueur dont l’ouvrage est disponible en français.
Faisons une brève rétrospective. La question de l’internaute est compréhensible : comme le judaïsme se présente avant tout comme une religion révélée, comme une entité de nature essentiellement religieuse, comment parler de sionisme politique ou laïque ? Ce raisonnement se tient et l’étonnement est compréhensible. On pourrait même dire que le premier sioniste (religieux, évidemment) fut Abraham qui reçut une triple promesse : la garantie d’une divinité tutélaire (Je serai ton D-, tes descendants seront mon peuple), une descendance fort nombreuse et la terre de promission qui pose depuis les origines tant de problèmes. Les chapitres de la Genèse ( de 12 à 25, chapitre couvrant la décès du patriarche) reprennent l’antienne d’un héritage supposant l’enracinement dans cette terre et un retour en cas d’expulsion ou d’exil. On peut y voir les racines mêmes de ce sionisme religieux dont Abraham serait l’archétype
En raison des drames et des vicissitudes de l’histoire juive, je pense notamment aux destructions des deux Temples dont le jour anniversaire tombe justement ce soir et demain. Ls habitants de cette terre durent prendre le chemin de l’exil. Dans ce sillage naquit une littérature essentiellement religieuse et en langue hébraïque, réclamant à cor et à cri le retour en Terre sainte, la Terre d’Israël, telle que nous pouvons en prendre connaissance dans les écrits prophétiques.
Pendant la période médiévale, par exemple, des poètes religieux comme Juda ha=Lévi (XIIe siècle) se rendit célèbre, entre autres, par ses Sionides ; tous les Israéliens connaissent ces premiers vers (Libbi ba-mizrah wa-ani be-sof ma’arav) : Mon cœur est en Orient alors que je me trouve, moi, au fin fond de l’Occident). Jamais la nostalgie de Sion n’a trouvé meilleure formulation.
Pour faire bref, sautons quelques siècles et arrivons au XIXe siècle où pend corps une autre formulation, plus politique et donc laïque, de la volonté de s’en retourner sur la terre ancestrale. Forcément les adeptes de cette nouvelle forme de sionisme durent laïciser des thèmes et transformer des idéaux dont l’origine était absolument religieuse. Ils le firent en usant parfois de subterfuges dont le plus célèbre est celui vantant la terre où coulent le lait et le miel ou encore en allant chercher en avion les Juifs du Yémen qui ignoraient encore tout du transport aérien. Les envoyés de l’Agence Juive se servirent du même langage religieux pour convaincre leurs auditeurs qu’ils étaient les envoyés du Ciel. Un passage biblique énonce clairement (wa-essa étkhém al kanfé nesharim waavi étkhém élay) : je vous chargerai sur les ailes des aigles et vous conduirai jusqu’à moi. Aux yeux de pauvres juifs yémenites, la ressemblance entre un avion ou un hélicoptère et un aigle est indéniable…. Et jusqu’à moi, cela signifie nécessairement Jérusalem puisque le Seigneur d’Israël y réside…
Un autre élément, peut-être le plus déterminant dans cette affaire, a accompli son effet, c’est l’antisémitisme. Les pogromes, notamment en Russie et dans les pays voisins, portèrent l’espérance juive à son paroxysme. Léo Pinsker, médecin de son état, écrivit un texte fondateur intitulé Auo-Emancipation. La solution à la question juive (Judenfrage, quelle expression affreuse) consiste à retourner en Terre sainte, à faire renaître de ses cendres l’ancien Etat juif et à y vivre. Ce n’est plus une croyance religieuse, c’est un programme politique dont le fondement et la genèse sont de nature religieuse.
J’ai déjà eu l’occasion de rendre longuement compte du volume consacré aux soixante ans d’Israël ; on y é voquait l’éloignement de David Ben Gourion de tout sentiment religieux digne de ce nom. Et n’oublions pas le grand absent, Théodore Herzl, fondateur du renouveau national, qui était un Juif bourgeois très assimilé de Vienne. Il faut relire certains passages de son Etat des Juifs pour s’en rendre compte.
Quant à Ben Gourion, son propre épouse Paula n’était pas d’origine juive (ce qui est son droit le plus absolu) et il consentit à mettre les pieds dans une synagogue que lors de la Déclaration d’Indépendance. On cryait un précédent célèbre : Paris vaut bien une messe…
Enfin, il faut signaler que des juifs très religieux se sont mus en adversaires, voire en ennemis farcouhes du sionisme politique, arguant que c’est D- en personne, qui refondera l’Etat juif et fera reconstruire le Temple. Personne d’autres. Certains adeptes de cette théorie refusent de se faire enrôler dans l’armée, et parfois même (pour les plus radicaux ) aident les Palestiniens dans leur vie quotidienne.
Cette étrange cohabitation entre religion et politique entre sionisme laïque et sionisme religieux me fait penser à l’Aufhebung de Hegel qui nous enseigne (ce que reprendra Karl Marx) que l’Histoire avance par contradiction surmonte. Aufheben voulant dire à la fois dépasser et supprimer.
Quiconque comprend cela se fait une représentation juste du conflit opposant les laïcs aux religieux dans ce pays. Le plus tonnant, c’est que même divorcés, ces deux partis de la culture juive veulent vivre ensemble. Tout en s’engueulant copieusement (si l’on permet à un professeur une expression aussi triviale)