L’infirmière, la famille royale bruitannique et des journalistes australiens : la frontière entre le bien et le mal…
Le monde entier a entendu parler de cette tragique méprise qui a vraisemblablement coûté la vie à une jeune infirmière. Comment une telle chose a t elle pu se produire ? Toujours le même schéma : deux journalistes inconscients, à la recherche de ce qu’ils imaginaient être un scoop mondial, se font passer au téléphone pour la reine Elisabeth II et le prince Philip. Ils appellent l’hôpital où la princesse a été admise suite à des nausées en relation avec son début de grossesse. L’infirmière qui prend l’appel croit vraiment avoir affaire au couple royal et les renseigne en toute bonne foi. Sans penser à mal mais fiers de leur mauvais coup, et surtout sans imaginer ce qui allait se produire par la suite, les deux journalistes publient la nouvelle qui fait le tour du monde. Entretemps, le corps inanimé de la jeune infirmière est découvert, non loin de son lieu de travail…
Il faut laisser à l’enquête en cours le temps de déterminer s’il y a un rapport de cause à effet entre les deux faits : le coup de fil mensonger et la mort de la jeune infirmière. Il n’est pas question d’accuser ici qui que ce soit, mais simplement d’attirer l’attention sur la nécessité d’instiller dans l’exercice de toute profession un minimum d’éthique, sans quoi aucun rapport authentiquement humain ne pourra plus exister dans nos sociétés. En termes plus clairs, nos sociétés, d’humaines deviendraient inhumaines.
Comprenez moi bien. Ce matin, je voulais poursuivre mon analyse de la situation en Egypte lorsque le cas de cette jeune femme, si injustement arrachée à l’affection des siens, m’a interpellé au point de décider de changer mes plans et de rendre hommage à sa mémoire.
Mais je dirais aussi quelque chose sur l’exercice de la profession de journaliste dans notre monde. Comme nos sociétés ont perdu tout sens de la mesure, que le succès et la réussite, même outrageusement acquis, sont rois, les journalistes se croient tout permis et ne reculent devant rien pour retenir notre attention, se faire voir et valoir… Bref une sorte d’anarchie morale caractérisée.
Discutez avec des journalistes et ils vous diront ceci : si ce n’est pas moi qui le fais, d’autres le feront et obtiendront le succès derrière lequel je cours désespérément depuis si longtemps… Une telle argumentation est lamentable. Car il n’y a plus d’autorité morale dans nos sociétés, l’éthique elle-même a tendance faire sourire ceux qu’i s’en réclament ou calquent leur attitude et leur présence au monde sur ses principes.
Mais franchement, en quoi la santé de telle ou telle princesse ou membre de la famille royale nous intéresse t elle ? Comme le disait Ernest Renan, l’humanité est incurablement dupe et son existence est d’une vacuité abyssale. Pourquoi ne pas sculpter sa statue intérieure au lieu de se focaliser sur la vie d’autrui, qui, souvent, n’est guère un si haut exemple dont il conviendrait de s’inspirer. Les journalistes devraient tout de même faire preuve d’un peu de retenue à défaut d’être éthiques : le droit à l’information n’est pas sacro-saint, au nom de quoi peut-on saccager des vies lorsqu’on croit disposer d’informations exceptionnelles ?
Voyez comment certains journalistes font la chasse aux hommes politiques : il y a quelque temps, c’était tel ou tel ancien président soupçonné d’avoir eu un compte bancaire dans de lointaines contrées, aujourd’hui c’est un ministre soupçonné des mêmes faits mais que son principal accusateur s’ingénie à laver de toute accusation… Et les journalistes à l’origine de l’affaire se prévalent d’un droit absolu d’informer, se drapant dans une dignité plutôt douteuse.
Aujourd’hui, dès qu’une personnalité connue a un problème avec la justice, le secret de l’instruction vole en éclats et la presse s’en donne à cœur joie pour nous inonder de nouvelles, plus ou moins vérifiées. Le malheur est que la couverture médiatique se rétrécit comme peau de chagrin lorsque l’intéressé ou l’accusé bénéficie d’un non-lieu ou d’une relaxe.
Mais dans ce cas, au moins, l’irréparable n’est pas commis. Ce qui, hélas, n’est pas le cas de la jeune infirmière, si tant est que le canular tragique est à l’origine de sa disparition.
.Respectons la présomption d’innocence mais lançons un appel à la retenue et à la conduite morale.
Après tout, la morale est ce qui séparée l’humanité de l’animalité.
Maurice-Ruben Hayoun
In Tribune de Genève du 8 décembre 2012