Sigmund Freud et Romain Rolland : dialogue entre
Un juif athée et un chrétien sans église*
Voici un ouvrage hautement instructif, puissamment construit et très érudit qui met face à face deux personnalités marquantes du début du XXe siècle : le juif sans judaïsme, S. Freud, véritable Christophe Colomb d’un nouveau continent de l’esprit, et le prix Nobel de littérature de 1915, Romain Rolland, deux génies en quête de causes célèbres… Comment ces deux coryphées ont-ils fait pour se reconnaître, se rencontrer et se voir ? La grande guerre y est pour beaucoup, la dureté de l’époque ayant poussé quelques rares âmes sœurs à se rapprocher et à échanger sur la folie humaine, au point de coûter des millions et des millions de vies humaines. Au fond, la correspondance entre les deux grands hommes ne se monte qu’à dix-huit pièces et prend, matériellement, peu de place, même dans ce volumineux ouvrage si solidement documenté et si bien construit.
La comparaison entre la vie des deux hommes, certaines similitudes dans leur vie personnelle ou familiale, est bien menée, sans oublier les chevilles ouvrières qui ont permis le rapprochement. Dans ce conteste, la palme revient à Stefan Zweig que j’apprécie tant (mis à part ses obsessions sexuelles) qui fut très proche des deux hommes et s’employa à les mettre en contact l’un avec l’autre : Romain Rolland qu’il porta aux nues et considéra comme une sorte de divinité tutélaire de son esprit, et Sigmund Freud, issu de ce même judaïsme autrichien que lui, et résident dans la ville de Vienne, comme lui. L’approche de ces deux Juifs des choses de ce monde se rejoignait d’une certaine manière, même si Zweig peut être considéré comme le «vil instrument de la Providence». Cela ne rabaisse nullement l’auteur de la belle nouvelle Vingt-quatre heures dans la vie d’une femme mais veut montrer que parfois les grands événements, les rencontres les plus improbables sont causées par des personnalités que l’on ne soupçonnait guère… Un autre exemple : c’est dans l’appartement romain d’une de ses conquêtes féminines que Zweig, éternel coureur de jupons, a pris connaissance du grand roman de Rolland, Jean-Christophe, ce qui l’incita à se rapprocher de l’auteur et à lui déclarer sa flamme. Or, Freud avait lui aussi lu le roman, quoiqu’en d’autres circonstances, et rêvait d’entrer en contact avec son auteur.
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