Lire la Bible au pays de la Bible
C’est étrange, mais moi qui connais bien la littérature biblique, je ressens différemment les choses en lisant les péricopes hebdomadaires à la synagogue. Ici en Israël où un événement familial pas très réjouissant me cloue (pour ainsi dire) depuis quatre semaines.
J’ai déjà parlé dans un précédent blog de la journée commémorative de la destruction des deux Temples de Jérusalem, celui qui fut détruit par le tyran babylonien Nabuhodonsor (-586) et celui qui fut brûlé par Titus en 69/70.. Cela s’est passé jeudi dernier. Et c’est frappant de lire le rouleaux des Lamentations de Jérémie qui parle des malheurs de Jérusalem et de la détresse de ses habitants. Quand on lit ces chapitres à Genève ou à Paris, cela paraît très loin, mais ici, à moins de 100 km de Jérusalem, c’est autre chose. Les toponymes évoqués sont si près, on peut s’y rendre, respirer l’air respiré par les prophètes etc…
Ce samedi, on a lu à la synagogue le magnifique chapitre 40 du livre de Isaïe (VIIIe siècle avant JC). C’est à partir de ce chapitre que la critique biblique fait débuter l’activité littéraire du Deutéro-Isaïe. Quoi qu’il en soit, le texte est magnifique et commence par la célèbre adresse : Nahamou, Nahamou Ammi : Consolez, consolez, mon peuple. Il m’arrive parfois, par mon métier de faire des analyses historico-critiques de tous ces livres prophétiques ou tirés du Pentateuque. Mais je dois reconnaître que leur beauté est telle, leur puissance évocatrice si grande que j’hésite à les qualifier de fabriqués. Même ainsi, ils sont réellement inspiré, et en particulier ce livre du prophète d’Isaïe.
On lit actuellement le livre du Deutéronome à la synagogue, suivant le cycle des péricopes chabbatiques. La péricope de ce matin nous montre un Moïse qui résume sa vie au service de Dieu et du peuple d’Israël. Il évoque ce qui va se passer après le franchissement du Jourdain (auquel il ne prendra pas part) et multiplie les mises en garde contre d’éventuelles rechutes dans le syncrétisme païens des anciens occupants de la Terre sainte.
Autre remarque qui frappe : ici, tout le monde comprend ce que dit le rouleau sacré puisqu’il s’agit de la même langue, quoique dans un état ou un niveau différent, plus littéraire, plus ciselé. Mais c’est la même langue. Pour moi, cela n’a jamais posé le moindre problème, mais c’est le cas de 90% des gens à l’extérieur.
Curieux pays. ALTNEU Land, comme on disait jadis.
Vu de la place Victor-Hugo - Page 1190
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Lire la Bible au pays de la Bible
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Bonne santé, Monsieur le Président !
La santé des hommes qui nous gouvernent a toujours été entouré d’épais mystères. Un peu comme si ce que l’on nomme le corps mystique du roi ou du gouvernant était enfoui dans un halo de sacré et mystère. Pourtant, les hommes et les femmes qui nous gouvernent et détiennent une parcelle de pouvoir sont faits comme nous. Le petit malaise vagal qui a touché le président de la République française n’échappe pas à cette règle. Il ne s’agissait pourtant qu’un d’un excès de fatige, accentué par le régime sportif de Nicolas Sarkozy qui ne renonce pratiquement jamais à son jogging matinal. L’un plus l’autre ont provoqué cet émoi qui a retenu l’attention des journalistes, y compris ceux de Jerusalem Post qui se sont fendus d’un long article où ils revenaient sur la maladie grave de Georges Pompidou, le cancer de Fr Mitterrand et l’accident vasculaire cérébrale de Jacques Chirac. Nous sommes, D- soit loué, bien loin de tout cela : mais le président a compris qu’il devait se manger. C’est qu’en deux années de présidence, il a mené un rythme d’enfer. C’était nécessaire après les années d’inaction que l’on connaît. Alors, très bonne santé Monsieur le Président ! On dit que Nicolas Sarkozy a reçu des milliers de boîtes de chocolat de la part de Français attachés à sa santé. Gare, alors, aux indesgistions chocolatées. Et bonnes vacances, reposantes, Monsieur le Président.
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Glanes dans une bibliothèque d’êtres chers désormais disparus…
André Malraux a dit en substance qu’après la mort il ne restait de chacun de nous qu’un tas de petits secrets… Au fond, on pourrait ajouter la phrase suivante : Dis ce que tu lisais et je te dirais qui tu étais . C’est à peu de choses près ce que je ressens en débarrassant la bibliothèque des beaux parents disparus. J’ y trouvais quantité de livres, anciens et modernes, mais j’en ai sélectionné un tout petit nombre qui m’a fait impression. Ce couple est né et vivait en Algérie. Rapatriés en France, ils ont emporté avec eux une partie de leurs livres, lesquels furent envoyés dans leur nouvelle résidence, lorsqu’ils s’établirent à Natanya, petite station balnéaire d’Israël. Ces livres sont au nombre de quatre et vont de 1904 à 1065, dates de leur parution. Ils n’ont rien en commun, si ce n’est d’être présents dans la même bibliothèque privée : le premier est un manuel d’enseignement direct de l’arabe parlé, présenté par un docteur arabe du nom de Fatah : la première édition est de 1904 et la seconde, revue et augmentée est de 1911. Le second ouvrage, le plus étrange, s’intitule (en caractères latins et arabes) Mektoub (c’est écrit). Il serait d’un capitaine A et Yvon de Saint Gouric. Il y a fort à parier, eu égard au contenu de témoignage, que ce sont des noms d’emprunt. Le troisième livre, simple brochure d’une secte anglicane animée d’un grand zèle convertisseur en vue d’évangéliser les juifs. Cette plaquette s’intitue Que pensez vous du Christ ? Appel à la nation juive, de David Baron. Enfin, le dernier ouvrage est de Norman Mailer et s’intitule Un rêve américain (1967, Grasset). Il n’existe, je le répète, aucun lien entre ces quatre ouvrages sinon le propriétaire la bibliothèque qui les y a réunis. Le premier, le manuel d’arabe parlé, m’intéresse surtout par la personnalité de son auteur et l’idéologie qu’il défendait avec tant d’ardeur. Ecrivant sa préface le 15 mars 1904 il clame sa foi en un avenir lié indissolublement entre la France et l’Algérie : une langue bien comprise, écrit-il, dissipe les malentendus et aide les hommes à se parachever. (al-Lisan takamel al-insan). Cette idéologie se trouve violemment prise à parti partie par l’ouvrage suivant dont la lecture m’a littéralement stupéfait. Ce Mektoub, véritable pamphlet anti arabo-musulman publié en 1922 se divise en deux parties d’inégale longueur et se présente comme la confession d’une jeune fille de bonne famille, dont les bons sentiments à l’égard des noirs et des arabes combattant pour la France durant la grande guerre, causeront la perte et qui, par son témoignage, entendait éviter aux autres femmes de France de tomber dans le même piège (sic).. Ne reculant devant aucune formule manichéenne, l’ouvrage raconte la vie de la jeune fille dans le monde des gens civilisés (sic) et ensuite au bled où aucune humiliation ne lui sera épargnée. Je ne résumerai pas ici ce que raconte cette brave jeune fille qui, rejetant tous les conseils de prudence de ses proches, accepte de suivre un soldat blessé dans les tranchées qui lui promet de l’aimer plus que tout au monde. Parvenu dans on village en Algérie, il lui inflige les plus cruelles épreuves et l’humilie quotidiennement. Ce qui me frappe, c’est l’application avec laquelle la femme, revenue de sa longue captivité, relate les différences de civilisation et de culture, allant jusqu’à citer l’une des pages les plus étranges de l’œuvre d’Ernest Renan qui nourrissait sur les arabes et les musulmans les idées que l’on sait. Mais il y a plus ; je pense notamment au long discours que l’auteur met dans la bouche du père du soldat qui sonne comme une prophétie de ce qui va s’appeler les affres de la décolonisation. Un tel discours, si bien structuré et si bien construit, ne pouvait provenir qeu d’officines spécialisées dans la lutte anti-arabe et ne croyant nullement ni à une symbiose franco-algérienne ni à un simple dialogue entre les deux cultures. La maison d’édition de cet ouvrage si étrange s’appelle Maison du Mercure africain. J’avoue n’avoir encore jamais eu entre les mains un pamphlet d’une telle violence. Je ne dois pas oublier la citation de Camille Rousset, de l’Académie Française : Chacun le sait mais n’y croit, on n’y ajoutera foi que lorsqu’il sera trop tard. La brochure prosélytiste est d’un caractère plus sérieux, même si son genre demeure douteux. Il s’agit d’un juif qui a, dit-il, découvert la vérité du mystère chrétien et qui veut aider à sauver ceux de ses frères qui continuent de tâtonner dans le noir. La plaquette reprend les grands thèmes des contestations judéo-chrétiennes et accorde un avantage incontestable à la religion chrétienne. Nous sommes heureux de vivre désormais dans un monde où règne le dialogue judéo-chrétien et où un respect mutuel unit les deux grandes religions. Quand on lit des brochures telles que celle-ci, on ne peut qu’être admiratif du chemin parcouru par l’Eglise catholique qui a su réfréner des tendances qui semblaient incontrôlables. Le dernier ouvrage, Un rêve américain, est un livre étrange mais amusant. En le lisant, cela me changeait bien de mes recherches pour une biographie d’Averroès. Quelle orgie ! Que de beuveries ! Je croyais avoir tout vu et tout lu chez Phlip Roth, mais je me trompais. Norman Mailer, c’est bien pire. Voici des exemples de ce que l’on peut trouver dans les bibliothèques des gens, sans savoir ce qu’ils ont lu, aimé ou évité de lire. C’est un peu comme si l’on pénétrait dans un espace privé, interdit. Que diront ceux qui hériteront de nos livres et de nos dossiers ou archives. Ils découvriront de nous un aspect connu de nous seuls. Au fond, vivre est une chose étrange.