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Vu de la place Victor-Hugo - Page 362

  • Face au chantage des Turcs, peut on encore croire à un avenir pour l’Europe?

    Face au chantage des Turcs, peut on encore croire à un avenir pour l’Europe?

    Nous sommes vraiment en droit de nous poser la question, sans chauvinisme ni esprit xénophobe à l’égard d’une nation qui est composée à 97% de musulmans et qui ne permet pas facilement l’érection d’églises ou d’établissements scolaires chrétiens… Récemment le président de la commission européenne a prétendu qu’il ne fallait pas rompre les discussions d’adhésion de la Turquie à l’UE, mais à quoi cela sert-il, puisque chacun sait que la Turquie ne sera pas admise en notre sein et que ces pseudo-négociations sont un miroir aux alouettes ?

    Aujourd’hui, la Turquie agite contre l’Europe un double chantage : aux réfugiés et aux visas. Erdogan voudrait la suppression des visas pour les Turcs désireux de voyager en Europe ; or une telle facilité serait suicidaire. Mais même s’il prétend qu’il s’agit d’hommes d’affaires turcs, désireux de faciliter leurs fréquents déplacements sur notre continent, on ne pourra jamais les contraindre à rentrer chez eux après les l’écoulement des trois mois prévus par le visa. Il suffit de voir ce qui se passe avec les immigrants venus d’Afrique. Les sans papiers finissent par demander et par obtenir la régularisation de leur situation. Et pour les Turcs cela équivaudrait à une adhésion à l’UE dans les faits, une adhésion qui ne dira pas son nom mais qui n’en sera pas moins réelle…

    A la lumière des terribles événements récents ayant eu lieu dans plusieurs pays d’Europe, il semble que les gouvernements et même les populations ont désormais une meilleure appréciation de la situation. On se rend compte que le processus d’assimilation culturelle ou politique n’est pas une mince affaire, surtout quand on voit que même les enfants de la quatrième génération reprochent aux pays d’accueil des griefs imaginaires et prétendent se sentir rejetés. Ils ne voient pas comment des pays comme la France, la Belgique et tant d’autres ont accueilli leurs parents, les ont socialisés, leur ont donné une nationalité, bref ont été une chance pour eux, une chance que les jeunes ne veulent plus saisir.

    Nous avons eu le Brexit qui s’explique principalement par la crainte très justifiée d’une immigration massive par les Britanniques. Ils ont voulu, à juste titre, sortir de ce carcan qui leur imposait de recevoir le monde entier chez eux. Et Bruxelles qui souffre d’autisme aggravé ne les a pas écoutés. Eh bien, ils ont claqué la porte et Bruxelles se retrouve face à un défi à nul autre pareil. L’Allemagne, elle-même, commence à ressentir les graves conséquences d’une politique d’immigration sans discernement (unbesonnene Einwanderungspolitik) par la chancelière Merkel qui accuse une grave crise d’impopularité : mais comment une femme d’Etat de son acabit a t elle pu se tromper à ce point ?

    Alors que faire avec la Turquie ? Il faut, certes, alléger le fardeau que constitue l’accueil et le traitement humain des réfugiés. Il faut aider les Turcs en leur donnant au moins un milliard d ‘Euros pour cela. Mais il faut maintenir les visas, faute de quoi la situation deviendrait incontrôlable. On sait comment on commence et on ne sait jamais comment cela finit. En fait, il faut, comme le disait jadis Walter Rathenau au Kronprinz, finasser (finassieren).

    Même les membres fondateurs de l’UE se posent des questions sur l’avenir de notre continent qui a déjà tant de mal à unifier culturellement des nations si proches et adhérant à des valeurs communes parce qu’elles ont des sources communes. Il ne suffit pas de dire qu’il faut un dialogue des cultures, il faut vérifier soigneusement qu’il est viable, pratique et à notre portée. En d’autres termes, si les conditions d’un tel dialogue sont réunies ou pas.

    Pour le cas de la Turquie, les récents événements dramatiques servent de révélateur. A la suite d’un coup d’Etat manqué qui prouve avant tout que le régime est mal assuré et instable, on voit bien que l’Etat de droit n’existe pas, un seul homme décide de tout, suspend les libertés individuelles, veut rétablir la peine de mort et se prend pour Soliman le magnifique, à la tête de la sublime porte ( al-bab al-‘ali)…

    Est il concevable d’admettre un tel pays ? Lequel a, par ailleurs, tant de problèmes avec les Kurdes dont certains ont pris les armes pour y combattre le régime ? Est-il possible de recevoir un pays qui a une longue frontière commune avec la Syrie et l’Irak ?

    A force de louvoyer et de biaiser, l’UE, devenue l’affaire des technocrates,, n’intéresse plus personne. Les peuples n’y croient plus et il est à craindre que si cela ne change pas, la situation ira en empirant. Il faut le dire aux Turcs. Clairement et simplement.

    Maurice-Ruben HAYOUN in TDG

  • Erdogan au lendemain du putsch manqué…

    Erdogan au lendemain du putsch manqué…

    On ne dira pas, ce serait présomptueux, que ce blog avait attiré l’attention, bien des semaines avant le putsch, sur de possibles réactions de l’armée turque, tant la méthode d’Erdogan était arrogante et hégémonique. L’homme qui, aujourd’hui, se fait appeler le généralissime, après s’être comporté comme un sultan ottoman, n’a décidément rien compris à ce qui se passe : certes, il a échappé au putsch, certes, il a sauvé sa vie, mais les purges qu’il a entreprises dans sa joyeuse prise de possession de tous les pouvoirs, pourraient lui réserver des surprises dans l’avenir. Réfléchissons : il a de nouveau décapité l’armée, laquelle se sent méprisée, affaiblie et surtout surveillée, il a licencié des milliers de fonctionnaires d’Etat dans l’éducation, la justice, la magistrature, etc… il a fait fermer des chaînes de télévision, des journaux, des radios, des écoles, des universités, et le tout au motif que ces institutions étaient, de près ou de loin, l’émanation de son ennemi juré Fathulac Güllen !

    Il faut comprendre la topographie et mesurer l’impact de cet imam-homme d’affaires sur la vie de la Turquie et de ses habitants. Nous pouvons le voir en analysant la confession d’un haut gradé de l’armée qui avait pactisé avec les putschistes : je suis, dit-il après avoir été sérieusement malmené par les enquêteurs, le fils d’un paysan pauvre d’Anatolie ; sans l’aide de l’imam Güllen je n’aurais jamais fait d’études et ma condition sociale serait restée la même que celle de mon père… Et il expliquait que sans l’aide financière de l’imam réfugié dans le New Jersey, une grande majorité de Turcs se débattraient dans la misère sans jamais en sortir…

    C’est à la misère de son pays et de ses habitants qu’Erdogan devrait s’en prendre et non point à ses opposants ou à la Russie ou à Israël !

    D’ailleurs, en emprisonnant, en excluant, en ostracisant et en rejetant des milliers de ses compatriotes au motif qu’ils s’opposent à lui, Erdogan prépare lui-même les coups d’Etat de demain. Car, que font faire tous ces réprouvés, ces mis au ban de la société ? Ils vont s’unir, devenir une force et mieux préparer leur coup. Malheureusement, Erdogan ne croit qu’à la force et au lieu de profiter de ce grand bouleversement pour engager un authentique dialogue, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Turquie, il bannit et exclut tous azimuts, se préparant ainsi de douloureux lendemains.

    C’est le caractère même de l’homme qui est en cause : devons nous nous répéter ? Il s’est mis tout le monde à dos : les Arabes, les Kurdes, la Syrie, L’Egypte, l’Iran, Israël, la Russie, l’Union Européenne, les USA (qu’il accuse d’avoir soutenu le coup d’Etat, ce qui n’est pas faux car la CIA le savait et n’a pas prévenu Erdogan)… C’est seulement récemment qu’il eut un éclair de lucidité, voyant que cet isolement croissant le conduirait à sa perte. C’est alors que survint le coup d’Etat avec les conséquences et surtout l’amateurisme que l’on sait.

    Que va t il se passer désormais ? Erdogan n’ira pas jusqu’à rétablir la peine de mort, et s’il le fait et que des hauts gradés sont condamnés à la peine capitale, il les graciera. Mais, pour le reste du monde qui le surveille comme le lait sur le feu, ce sera un test. Et pas uniquement pour l’Union Européenne qui sait pertinemment bien que la Turquie n’est pas une nation européenne, les pseudo négociations d’adhésion sont menées en trompe-l’œil. Comment admettre un tel pays avec un tel président et qui plus est, frontalier de la Syrie ; et qui nous fait un chantage aux visas en brandissant l’afflux de réfugiés ?

    Les mois suivants seront un test. Est ce que l’armée ou ce qu’il en reste, va se tenir tranquille ? Est-ce que la lutte contre le PKK va prendre de l’ampleur ? Est-ce que l’Etat Islamique avec ses cellules dormantes va commettre encore des attentats ? Voilà bien des inconnues qui pèsent sur le proche avenir.

    Mais si Erdogan se décidait enfin à entamer un vaste dialogue national, il conjurerait tous les dangers. Le fera t il ? J’en doute, tant cet homme est assoiffé de pouvoir.

    Quand on dirige un pays aussi compliqué que la Turquie, on gouverne selon un consensus. Et pas seul contre tous.

  • De l’exclusivisme au dialogue

    De l’exclusivisme au dialogue

    Oui, de l’exclusivisme religieux au dialogue interreligieux ! La mort ignominieuse de ce pauvre prêtre catholique, Jacques HAMEL, aura peut-être eu, parallèlement au drame incommensurable qu’elle représente, au moins un effet positif, et on peut dire qu’il est de taille, s’il comporte, ce que nous espérons, la dose requise de sincérité : que des musulmans croyants se rendent enfin dans des églises et que des chrétiens soient, à leur tour, reçus dans des mosquées durant l’office religieux.

    Il faut se méfier de la sensiblerie, de l’optimisme béat et des bons sentiments en général. Ce ne sera pas la panacée mais, sauf erreur de ma part, depuis de nombreuses décennies, c’est bien la première fois que l’organe officiel des arabo-musulmans de France lance un tel appel, notamment à se rendre dans des églises ! Ce n’est pas rien, surtout qu’l ne s’agit plus de la présence convenue de quelques officiels, blanchis sous le harnais, qui effectuent mécaniquement un rite. Non point. Cette fois-ci, c’est un appel, sans ambiguïté aucune (ce qui est un progrès) au musulman lambda, l’encourageant à se rendre compte, de ses propres yeux, de ce qui se passe dans les églises…

    Si l’appel est suivi d’effet, et à moins que tout ne trompe, il devrait l’être, cela sera une véritable révolution copernicienne au sein de la représentation arabo-musulmane du christianisme. Pourquoi ? Faisons une brève rétrospective historique, sans toutefois tomber dans la cuistrerie. Allons au fond des choses et découvrons la vérité historique sur la naissance de l’islam.

    L’islam est né principalement pour contrer la sainte Trinité ; il est né parce que l’époque ne pouvait pas s’accommoder de la divinité trine que les bédouins et les chameliers du désert d’Arabie assimilaient à un trithéisme. Or, comme nous le rappelle le grand Ernest Renan dans ses écrits, le cri de ralliement de l’islam : Dieu est Un et il est unique. Le terme arabe ALLAH n’est que la vocalisation arabe d’un terme sémitique ancien désignant la divinité et qui se trouve présent dans trois grandes langues sœurs du sémitique nord : l’arabe, l’hébreu et l’araméen…

    Allons plus loin. Les musulmans ont fait de l’unité divine absolue la pierre de touche de leurs croyances religieuses, ce qui, presque automatiquement, les mettait en conflit avec le christianisme qui parlait du Fils et de la Mère (la sainte Vierge) de Dieu…… Or, dans le Coran même, il est spécifié que cette conception n’est pas véridique, qu’elle ne correspond pas à la représentation que se faisait de Dieu le premier et le père de tous les croyants (mu’minim), le patriarche Abraham. Il est même écrit que Dieu n’engendre pas ni n’est engendré (la youlid wa-la youlad). Partant, ceux qui professent la sainte Trinité et adorent la sainte Vierge Marie passaient nécessairement pour des kouffar, des infidèles et des mécréants. La racine de ce terme redoutable se retrouve en hébreu et connote la même idée : ruiner les fondements de la foi (kaffar ba-‘ikkar).

    Tous mes lecteurs comprendront dès lors qu’avec cette invitation à aller voir au moins une fois ce qui se passe dans les églises on a franchi une barrière infranchissable. J’ai vu, quand j’était professeur à l’Université de Heidelberg un imam, refusant de toucher un missel gentiment offert par le prêtre du diocèse. Quel chemin parcouru, alors que le religieux catholique avait de bonne grâce, accepté le Coran qui lui était offert.

    A quand remonte cet ostracisme infondé à l’égard de la religion chrétienne ? Dès les premiers siècles de l’ère chrétienne, alors que l’église commençait à peine à consolider ses bases théologiques (naissance virginale, forme divino-humaine de Jésus, parousie, etc…), l’islam jugeait qu’il devait combattre une foi qui, à ses yeux, ne respectait pas le dogme intangible de l’unité divine.

    Posons nous la question suivante qui demeure au centre même de la controverse : est ce l’on sait de quoi l’on parle quand on se penche sur la sainte Trinité ? Sans même parler du cardinal qui réunit en conclave les meilleurs théologiens de son temps afin qu’ils lui donnent la réponse tant attendue et qui répondirent après bien des sessions : non possumus (Nous ne pouvons pas), on doit s’en référer à un théologien juif du Moyen Age, ennemi de la philosophie néo-aristotélicienne qu’il avait pourtant bien assimilée sans jamais y adhérer.

    Juda ha-Lévi (1079-1141), l’auteur du Cusari, portait sur le christianisme un regard étonnamment favorable et positif. Au sujet de la Trinité il écrit que les Chrétiens pensent Un tout en disant trois. Cela paraît anodin mais c’est gigantesque car, avec une telle remarque il lavait la religion chrétienne de tout soupçon d’impiété. Il l’extrayait du polythéisme pour l’insérer dans le giron du monothéisme.

    Mais voilà, ce théologien juif écrivait dans la langue philosophique de son temps, à savoir l’arabe et il n’est pas exclu que des théologiens musulmans aient eu vent de cela. Ha-Lévi ajoutait aussi un détail fondamental : les deux autres monothéismes, écrivait-il, le christianisme et l’islam déploient eux aussi de louables efforts pour hâter la venue de la Rédemption sur cette terre…

    On comprend mieux, je l’espère, ce qui sa cache derrière cette heureuse initiative des Arabes de se rendre dans les églises et de considérer ceux qui y prient comme des croyants à part entière, comme leurs frères en humanité, partie prenante de la filiation spirituelle abrahamique. La liturgie musulmane accorde une large part à ces prières abrahamiques (salawat ibrahimiya) où elle prie pour le Prophète, ses amis et tous ceux qui se reconnaissent en ce patriarche fondateur du monothéisme éthique. N’oublions pas que selon les premiers chapitre du livre de la Genèse (ch. 12 au ch. 25) Abraham a tout fait pour sauver de la destruction les deux villes pécheresses Sodome et Gomorrhe… Il s’est prévalu de l’ordre éthique universel : le juge suprême (Dieu) de toute la terre ne pratiquerait-il pas le justice ? Incroyable : Abraham qui fait la leçon à Dieu !!

    Une dernière remarque : en écoutant la réaction de la haute hiérarchie catholique, tant en France qu’à Rome, j’ai réalisé que dans cette terrible épreuve elle a appelé au jeûne et à la prière… Cette attitude est intrinsèquement juive ! Le couronnement de cette pratique est incarné par la journée de kippour où l’on implore Dieu d’accorder la rémission des péchés en priant et en jeûnant. Les Arabes aussi jeûnent durant le mois de Ramadan. Tant il est vrai que les hommes ont à leur disposition tous les moyens de vivre en paix, s’ils le voulaient.

    Quand on a le même héritage biblique on a aussi les mêmes valeurs universelles.

    Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 30 juillet 2016