Fin des chroniques d’Israël : Retour à Paris
Ce qui m’a le plus frappé en cette fin de séjour e l’impression d’ensemble qui s’impose à moi, c’est, contre toute attente, la volonté bien arrêtée de nombreux juifs français de venir s’installer ici, en Israël. Je dis : contre toute attente, car même le danger imminent d’une nouvelle guerre, de l’extension du conflit, par exemple avec les rebelles qui s’agitent en Syrie et qui ont tiré des obus de mortier contre Israël, tous ces sombres pressentiments ne dissuadent pas les candidats à l’immigration. Il y a aussi les incertitudes politiques en France et les récentes manifestations publiques d’antisémitisme qui ont gravement troublé les gens.
Sur la plage et même dans l’eau, des gens m’ont abordé, soit pour confier leurs propres impressions sur la série d’émissions télévisées de mon ami le Grand Rabbin Josy Eisenberg sur France 2, soit pour dire qu’ils lisaient le livre sur la kabbale, sur Martin Buber ou sur le roi David. Mais à la fin de ces mini-conférences sur le littoral, le même constat revenait : il faut venir en Israël.
Même si chez moi, dans mon propre foyer, on pense ainsi, j’adopte, en ce qui me concerne, une attitude un peu plus réservée. Mais cette quasi unanimité ne me laisse pas indifférent. C’est comme si une main invisible tirait, dans les coulisses, les ficelles de notre devenir, de notre histoire, sans que l’on s’en rende vraiment compte.. Lorsque j’ai publié en 2004 un Que sais-je ? sur L’historiographie juive avec mon ami le préfet Alain Boyer, j’ai présenté certains auteurs un peu fidéistes qui jugeaient que la divine Providence avait confié à d’humaines mains, de planifier, par des méandres incompréhensibles le soin de réaliser jusqu’à son terme, ce qui pourrait bien être le dessein divin. Je ne fais pas partie de cet horizon intellectuel qui voit dans l’Histoire l’accomplissement d’une volonté qui nous dépasse. Je n’admets pas cette explication supra rationnelle, mais je reconnais volontiers que certaines connections ou rapprochements nous dépassent largement. L’écrivain nationaliste allemand, Heinrich von Treitschke, le grand rival de l’historien juif Heinrich Grätz, utilisait le terme de Fügung, qui signifie un ensemble, une configuration, un agencement qui s’impose à nous sans qu’on sache comment. On peut le comprendre sans jamais réussir à l’expliquer tant le nexus de ces différentes choses nous échappe.
L’histoire juive, assimilée parfois à une martyrologie, regorge de telle Fügungen que les rabbins ou certains enthousiastes ou exaltés interprètent dans le sens qui leur convient. Ils y décèlent un vaste mouvement de rassemblement préfigurant l’époque messianique, une sorte d’aboutissement de cette guerre eschatologique entre Gog et Magog, dont nous ne savons rien, en réalité.
Mais tout ceci vole bien au dessus des capacités d’assimilation du coreligionnaire moyen.
Retenons plutôt que cette accumulation de nuages menaçants au dessus de communauté de Jacob donne à réfléchir, quelle que soit l’orientation religieuse ou philosophique de l’observateur.
Je dois avouer qu’hier soir, rentré peu avant minuit d’un gentil restaurant que je vous recommande, Kitchen Bar, près d’Ikéa à l’extérieur de Natanya, j’ai eu du mal à croire aux images que je voyais à la télévision : des dégâts sérieux causés sur le Golan à des kibboutzim par des tirs de rebelles syriens islamistes. L’impéritie ou l’incompétence de l’armée de Bachar el Assad a permis à ces extrémistes fous et sanguinaires de se retrouver aux portes d’Israël.
Israël a évidemment réagi avec force en neutralisant ces sources de feu, mais est ce à dire qu’on assiste à un réchauffement du front nord ? J’espère que non.
L’Israélien moyen est stupéfait par le rapprochement objectif entre l’Iran et la Syrie d’une part et les USA et Israël, d’autre part. Quand on a le même ennemi, l’Etat islamique, à combattre, on devient des alliés objectifs. C’est ainsi. Les gérontes d’Arabie Saoudite l’ont compris qui appellent le monde arabo-musulman à reconnaître enfin Israël. L’armée saoudienne monte la garde à la frontière irakienne, longue de plus de 800 km ; or de l’autre côté il y a les islamistes et il n’est pas sûr que les petites frappes US les dissuadent d’avancer. Certes, les Américains qui sont toujours partis en guerre pour les puis de pétrole ne permettront pas aux terroristes de s’emparer de tels puits. Rappelez vous de Saddam et du Koweït… La décision de faire la guerre fut instantanée..
Les Saoudiens sont les prochaines cibles.
Ce Moyen Orient qui vit l’éclosion du monothéisme éthique, la naissance du christianisme et l’irruption de l’islam ne connaîtra t il jamais la paix ? Cette interrogation angoissée et angoissante devient presque un refrain.
Mais que faire d’autre, sinon se battre et espérer ? A la fin d’une conférence, une dame d’un certain âge est venue me dire la phrase suivante : je suis une pessimiste qui espère.. Et l’espoir, dit le philosophe, fait vivre (Hoffen lässt leben).
Maurice-Ruben HAYOUN