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  • Les Disparus de Daniel MENDELSOHN (Flammarion, 2006)

     

       Daniel   MENDELSOHN, Les disparus. Paris, 2006, Flammarion.

    C’est vraiment un très bel ouvrage, un très beau récit, attachant, palpitant et grave à la fois, dont l’auteur nous fait ici l’aubaine. De quoi s’agit-il ? De tout sauf d’un roman ! Il s’agit d’un jeune homme, né de parents et de grands parents émigrés d’Europe de l’est, venus s’installer aux USA pour fuir une Europe dominée par le totalitarisme raciste national-socialiste. Comme ses parents, Mendelsohn est né aux Etats Unis mais son grand père maternel qui joue dans ce livre un rôle crucial, a exercé sur son petit fils une influence des plus marquantes. C’est à l’ombre de ce vieil homme, maintes fois remarié, grand observant des interdits alimentaires et des prescriptions rituelles (prières matinales, observance des rites religieux de toutes sortes etc…), que le petit Daniel fait son apprentissage d’enfant et d’adolescent, c’est lui qui lui explique les expériences les plus marquantes de l’existence, le renseigne sur les origines de la famille dans une bourgade d’Ukraine, Bolechow.
    Mais le drame se noue d’une curieuse manière puisque c’est une circonstance absolument fortuite qui enracinera le petit Daniel au cœur d’une aventure incroyable à laquelle il participera, comme mu par une force extérieure.
    Daniel avait remarqué que lorsqu’il apparaissait dans une pièce où se trouvaient réunis les membres les plus âgés de la famille de sa mère, ces hommes et ces femmes, de la même génération que son grand père, se mettaient soudainement à pleurer et à chuchoter des mots en yddish que l’auteur ne comprenait guère. Rendu plus attentif à cette étrange situation, il finira par comprendre : c’est sa ressemblance frappante avec le frère de son grand père, Shmiel Jäger, assassiné à Bolechow avec ses quatre filles par les Nazis, qui provoquait ces accès de tristesse et ces crises de larmes.  Au lieu de considérer que cet héritage était trop difficile à porter, le jeune homme se sent, au contraire, investi d’une mission : partir sur les traces de ce grand oncle, savoir ce qui s’est vraiment passé, se rendre à Bolechow (Ukraine), en Israël, en Australie, au Danemark, en Suède et interviewer tous les survivants de cette bourgade qui résidaient alors à New York.
    Ce qui m’a frappé dans ce livre et a retenu toute mon attention, c’est le découpage du plan : en cinq parties, comme le Pentateuque, Mendelsohn enchâsse dans ses développements des passages des péricopes hebdomadaires, lues le samedi à la synagogue, et s’en réfère aux commentaires ad locum de Rashi, le plus célèbre commentateur judéo-français du XIIe siècle. Il commence par la péricope de Be-réshit (au commencement) et évoque ainsi la naissance de la lignée familiale. Ensuite, il s’attarde sur les passages qui parlent du premier couple fraternel, Caïn et Abel, et émaille les propos de Rashi de considérations personnelles, reflétant les relations que lui-même a pu entretenir avec sa propre fratrie.
    Dans ce contexte précis, un fait grave, voire tragique, mérite d’être souligné : Daniel a exhumé des lettres de ce grand oncle Shmiel qui implorait jusqu’au milieu de l’année 1939 (le mot n’est pas trop fort) l’aide du grand père et du reste de la famille pour pouvoir émigrer aux USA. Sans chercher à résumer ces tragiques péripéties, on dira simplement que l’aide n’est pas venue, que le persécuté a vu arriver les Nazis et leurs sbires ukrainiens sans pouvoir se sauver ni sauver sa famille. Son sort fut, en quelque sorte scellée, avec l’assentiment, ou plutôt en raison de la non assistance de ses proches.
    Il faut lire ces lettres à la fois brèves et émouvantes où il décrit la beauté et la grâce de ces quatre filles (violées et ensuite tuées par les Nazis), se lamente sur son commerce qui périclite et se prépare à mourir… Daniel découvre dans le porte feuille du grand père une photo de cet homme, le regard droit, bien de sa personne, l’air assuré et de bonne prestance. Sur le dos de la photographie une inscription manuscrite en allemand : mon cher frère Shmiel tué par les Nazis…   On pourrait presque  parler ici de ce phénomène, dit trans-générationnel, qui fait, selon les psychanalystes, que les enfants et les petits enfants vivent, encore plus douloureusement que les victimes elles-mêmes, les souffrances infligées par les bourreaux.
    La catastrophe de la guerre et de la Shoah qui s’ensuivit est placée sous le signe de la péricope biblique consacrée à Noé, le renouveau d’une humanité régénérée après le Déluge que Dieu précipita sur une terre devenue corrompue et irrattrapable ;  en filigrane, alors qu’il résume bien les développements de Rashi et les compare à ceux d’un sagace rabbin américain contemporain, Friedmann, l’auteur s’interroge sur le silence de Dieu pendant ces années noires. Comment ce Dieu créateur des cieux et de la terre qui avait si énergiquement réagi devant un océan d’injustice, allant jusqu’à annihiler sa propre création, pouvait-il laisser les assassins nazis mener leur sinistre entreprise sans être inquiétés ? Comment expliquer, sans même dire justifier, cette éclipse de Dieu ? A l’image de ce qui arriva à l’ensemble de l’Europe, la petite bourgade de Bolechow a subi un véritable déluge lors des différentes Aktionen (attaques contre les Juifs), un déluge presque aussi exterminateur que  le cataclysme dont nous entretient la Bible…
    On a l’impression que l’œuvre de la création –avec, à sa tête, l’homme- échappe de fait à son auteur qui ne trouve pas d’autre moyen pour réformer son œuvre, désormais gravement déviante,  que de la détruire ! Cette quasi-impuissance divine face à la méchanceté humaine rend encore plus fascinante l’insertion des épisodes bibliques dans l’hisoire de Mendelsohn… Si même Dieu ne parvient pas à juguler le mal dans la nature humaine, comment s’étonner des atrocités nazies à l’encontre des Juifs ?
    La quatrième partie est placée sous le signe de la péricope Lekh lekha, l’ordre donné à Abraham de quitter sa ville natale, sa famille, la maison paternelle, etc… pour se laisser guider par le choix imposé par la volonté divine. L’ordre des développements est clair : on commence par l’humanité à l’aube de la création, on passe à un homme Noë qui incarne avec quelques autres le germe d’une engeance humaine rédimée et régénérée, on en arrive au patriarche Abraham, diadème de sa génération, et on entame ensuite l’histoire d’un peuple, le peuple d’Israël.
    La cinquième partie est placée sous le signe de la péricope wa-yéra, qui relate la vision d’Abraham… Sur un mode un peu ironique, Mendelsohn dit qu’il n’a pas pousser plus loin ses études bibliques ou hébraïques, préférant s’en retourner aux textes tout aussi vénérables d’Homère…
    Quelles leçons tirer d’un si volumineux ouvrage, si bien écrit et traduit ? D’abord, l’art et la délicatesse avec lesquels l’auteur a su mêler les fils du récit de l’enquête à des épisodes bibliques, habilement rehaussés d’une exégèse actualisante. Certaines considérations de l’auteur ne laisseront pas indifférent le lecteur attentif. On a parfois l’impression que ce que les juifs d’Europe ont vécu durant la seconde guerre mondiale était un peu préfiguré, sinon annoncé dans les récits bibliques, source intarissable d’inspiration et d’enseignements. Il y a aussi quelques interrogation, demeurées sans réponse depuis que l’humanité pensante et/ou croyante vit sur cette terre : pourquoi telle chose se passe-t-elle et pas telle autre ? Peut-on croire que la divine Providence confie en d’humaine mains le sort des mortels, même si cela nous paraît incompréhensible ? Pourquoi donc Shmiel, qui était précédemment venu aux USA, les a-t-il quittés pour s’en retourner dans la bourgade  où il allait être tué, un quart de siècle plus tard ?
    Quelle émotion, lorsque Daniel se tient tout près de la cachette souterraine où son grand oncle avait vécu claustré avec sa dernière fille, avant d’être dénoncés par un traître ? Comment Dieu a-t-il pu permettre que ce pauvre homme dont la famille avait déjà été détruite fût exécuté avec son enfant dans le jardinet de la maison, leurs corps ensanglantés gisant à même  le sol, dans l’attente d’être emmenés au cimetière juif, un jour de 1944 !!
    Les morts, se demande l’auteur, nous conduisent-ils inexorablement vers eux afin de découvrir les circonstances exactes de leur mort violente ?  Oui,les choses ont-elles, elles aussi, des larmes, sunt lacrimae rerum ? Après tout, c’est sur cette phrase célèbre que s’ouvre ce livre dont nous recommandons vivement la lecture.

     

  • La paciifcation de l'Irak

     

      Dans la mesure où il est permis de faire des paris sur l'avenir, on peut dire que l'Amérique est en train de tirer son épingle du jeu en Irak. Si on laisse l'idéologie de côté et que l'on regarde ce qui se passe sur le terrain, on relève des indices qui vont décisivement dans le bon sens:

     a) la réduction des morts du côté américain

     b) la réduction des attentats contre la population civile au point qu'on peut parler de terrorisme résiduel

      c) l'arrestation par les autorités de nombreux émirs d'Al-Quaida et la destruction de multiples caches d'armes.

      d) La reprise de la vie tout court à Bagdad: les cortèges nuptiaux dans les rues, les danses le soir de la Saint Sylvestre, le retour de plus de 50.000 exilés ayant fui le pays, suite aux troubles et à l'insécurité.

        La strétégie du général Petraeus a payé; il a fini par comprendre qu'un peu de politique pouvait aider à gagner ce type de guerre, dans une région où tout s'achète.  Mais ce qui frappe le plus et qui montre qu'Al-Quaida est sur la défensive, c'est sa mise en garde à l'encontre de ceux qui accepteraient de faire partie d'un gouvernement d'union nationale… En effet, cela sonnerait invinciblement le glas du terrorisme.

       
        Certes, c'est un processus fragile mais c'est la vie: avant de devenir des adultes grands et forts, nous devons, en tant que nourrissons, échapper aux maladies infantiles. Et le terrorisme en est une.

     

  • Le discours du Latran de Nicolas Sarkozy

     

        La lecture d'une excellente tribune de Jean-Miguel Garrigues, parue dans Le Figaro des 5-6 janvier, en page 14, m'incite à revenir sur ce thème que j'avais déjà évoqué précédemment.  Ce texte est très bon et met à nu certaines hypocrisies de la laïcité française tout en faisant ressortir le caractère novateur du discours du Président.

      L'auteur montre que tout en claironnant un attachement sans faille mais aussi sans discernement à une laïcité fermée et hermétique, la République reconnaît, en fait, à la fois l'Etat du Vatican mais aussi le Saint-Siège (et en effet, nous avons un ambassadeur auprès du Saint-Siège). Celui-ci n'est autre que l'autorité suprêle de la religion catholique à travers l'univers… Première entorse donc à une laïcité de façade.

      L'auteur souligne que le discours de Nicolas Sarkozy est celui d'un homme d'Etat et non point celui d'un diplomate ou d'un fonctionnaire. En effet, ces deux dernières catégories, éminemment respectables et honorables, ne sont pas vraiment libres puisqu'astreintes à l'obligation de réserve. Le président, lui, n'a de compte à rendre à personne, si ce n'est à la Constitution de la République et aux souhaits des électeurs. Or, ces derniers l'ont élu, en pleine connaissance de son programme.

        Le théologien conclut son brillant article par une analogie un peu osée; si, dit-il, les économistes pronostiquent une relance de la consommation à la suite de nos victoires aux matchs de foot-ball, pourquoi reprocher au Président d'en faire autant avec la foi et la croyance?

        Bel exemple de raisonnement par analogie, dit le philosophe; bel argument de plaidoirie, diraient les avocats…