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  • Hommage à André Chouraqui ( à paraître dans un volume d'hommage)

     

     

     
            André Chouraqui ou une vie sous le signe de la grâce…

                  Ce fut un don du Ciel de rencontrer un être aussi charismatique qu’André Chouraqui ! J’ai tenté de me souvenir du contexte au sein duquel j’entendis prononcer son nom pour la première fois. Hormis les journaux parlant soit l’Alliance Israélite Universelle, soit d’Israël et de la ville de Jérusalem. Ce fut, si ma mamoire ne me trompe, de la bouche de mon maître Georges (Yehuda Aryé) Vajda, l’éminent spécialiste de la philosophie médiévale juive, notamment judéo-arabe. Vajda évoqua devant mes condisciples et moi-même le nom d’André Chouraqui, traducteur de l’Introduction aux devoirs des cœurs de Bahyé ibn Paquda de Saragosse…  Je revécus cet épisode plus de trois décennies plus tard, lorsque André et Annette, devenus nos amis, me remettait une réédition superbe de sa belle traduction française de ce grand moraliste juif du Xe siècle dont l’œuvre maîtresse continue d’être présente dans toute bonne bibliothèque…
             Vajda n’était pas toujours d’accord avec cette traduction si bien menée ; en sombre philologue judéo-hongrois qu’il était, il privilégiait nettement les traductions claquées sur l’original, la langue française dût-elle en souffrir gravement. Mais je savais qu’une profonde amitié unissait ces deux grands hommes que j’admirais déjà.  Au cours du dîner mentionné supra, André me narra certains épisodes de sa vie avec Vajda et quelques autres, durant la geurre au Chambon sur Lignon. De son côté, mon maître Vajda me fit quelques confidences lorsque je devins professeur des universités et après que j’avais soutenu mes thèses… Il me confia que André lui avait un cadeau, la Bible de Stuttgart éditée par Rudolf Kittel et Paul Kahle. Il ajouta même, je m’en souviens :  c’est le genre de cadeau que l’on n’oublie pas…
            Quant à André, lorsqu’il présenta sa traduction de la Bible dans une belle tribune du journal Le Monde, il écrivit, parlant de la traduction d’un verset du Cantique des Cantiques (u-lekhi lakh) : et le plus érudit d’entre nous, Georges Vajda opte pour la version suivante : et viens t’en…
                Enfin, il y eut la participation d’André à ma propre formation intellectuelle, comme à celle, d’ailleurs, de centaines de milliers d’étudiants et de lecteurs francophones de ses Que sais-je ? sur La pensée juive et l’Etat d’Israël. 
          Mais ces évocations sont loin d’épuiser le sujet ; mais comme on ne peut pas tout dire, il faut se limiter à l’essentiel. Notre première rencontre se fit dans un cadre très spécifique : Dans le cadre de ses anciennes fonctions à l’AIU, André avait eu à diriger la collection SINAÏ aux Presses Universitaires de France… Comme toutes les collections portant sur le judaïsme, cette série, si prometteuse à l’origine,  cessa de produire des publications nouvelles. Devenu moi-même dès 1983 le directeur de la collection Patrimoines-Judaïsme, j’envisageai alors de reprendre les volumes de la Social and Relgious History of the Jews déjà parus dans la collection SINAÏ et d’en poursuivre la traduction française…  C’est ce projet qui me permit de rencontrer André pour la première fois dans son appartement de Neuilly sur Seine. Le projet n’aboutit jamais, faute de moyens, mais cette rencontre fut pour moi une révélation : cet homme que je considérais alors comme l’un des pionniers de la reconstruction d’un judaïsme français était là assis à m’écouter et à me prodiguer des encouragements.
        Comme je lui avais apporté un exemplaire des deux volumes de mes Lumières de Cordoue à Berlin, il m’interrogea longuement sur ce qu’il qualifiait de tropisme germanique… Pourquoi, me dit-il, un brin provocateur, êtes vous devenu un  Maghrébin germaniste ?  L’expression me parut un peu cavalière et produisit sur moi un effet  peu favorable… Mais tel était le but recherché par André ; et lorsqu’il me montra le bel compte-rendu de ce livre qu’il destinait au Figaro, j’eus les plus grandes peines du monde à lui faire barrer cette mention de Maghrébin germaniste…
        Après cet épisode, nous nous revîmes en famille et nos relations devinrent franchement cordiales.
          Je souhaite à présent dire un mot de l’auobiographie d’André que je dévorais et dont je rendis même compte jadis, à la fois dans L’Arche et dans le Mondes Livres. Ces mémoires sont exemplaires et paradigmatiques à la fois car elles permettent à chaque juif natif d’Afrique du Nord et réimplanté en France métropolitaine de revivre ses propres expériences, son vécu, à travers celui d’André. C’est un peu l’histoire de la rencontre entre l’identité juive et la culture européenne.
               
    D'Aïn-Temouchent à Jérusalem, tel pourrait bien être la trame principale de cette volumineuse mais si attachante autobiographie d'un homme dont l'histoire personnelle se confond presque avec le judaïsme de notre siècle. Né en 1917, année de la Déclaration Balfour, ainsi qu'il le souligne lui-même, André Natan Chouraqui  -qui tient beaucoup à son prénom hébraïque-  est originaire d'un monde qui n'est plus et qui jamais ne ressuscitera. C'est un peu Le monde d'hier (Die Welt von gestern) de Stefan Zweig, un monde englouti par l'Histoire, par l'oubli d'où l'auteur l'a opportunément sorti et sauvé. Enfin, cette œuvre, plus de cinq cents bonnes pages écrites avec cœur et chaleur, se lit presque d'une traite sans jamais se lasser, tant l'auteur a su éviter les pièges de l'introspection et du récit intimiste.
    André Chouraqui nous parle de son Algérie natale qui l'a vu naître et qu'il a tant aimée, lui qui traduisit les documents sacrés des trois grandes religions, juive, chrétienne et musulmane. La société coloniale est, certes, critiquée et l'auteur n'a jamais repris à son compte, tout sioniste qu'il soit, le moindre racisme anti-arabe qui fut longtemps le discutable apanage des pieds-noirs. La société juive qu'il dépeint est encore inentamée, marquée par un attachement sourcilleux aux traditions, scandée par les trois prières quotidiennes et par l'observance scrupuleuse des règles du chabbat. Les portraits brossés par André enfant sont pétris d'émotion et d'amour. Je pense même  -et ce sont les nombreuses références de l'auteur lui-même à cette triade que constituent à ces yeux la Bible, le Talmud et la kabbale-  qu'une phrase placée dans la bouche de rabbi Siméon ben Yohaï résume admirablement son propos: ana ba-havivuta talya milleta  : pour nous, tout tient à l'amour! Cet amour qui a même donné son titre à cette autobiographie , L'amour fort comme la mort  (Cantique des Cantiques 8; 6).
    Et pourtant, le livre s'ouvre par une profonde réflexion sur la mort. Des considérations graves mais point maussades nous présentent un André Chouraqui conscient de ce que l'aventure humaine ne peut déboucher que sur la mort, une mort dont le corollaire semble bien être la résurrection, une sorte de passage obligé avant de renaître à l'éternité: des êtres qui n'ont jamais été aussi vivants que depuis leur mort… écrit l'auteur! 
    Le lecteur doit savoir que ce prélude sur la mort fraye la voie vers la vie: ne lira-t-il pas avec quelque étonnement l'épitaphe que l'auteur a lui-même écrit: mort de joie?! Une telle inscription n'étonne plus lorsque l'on prend connaissance de la paralysie qui frappa le tout jeune adolescent, momentanément privé de l'usage de certains membres qu'il retrouvera, cependant, à force de volonté et de persévérance. Mais cette infirmité n'avait pas atteint les facultés intellectuelles de l'enfant que ses institutrices destinaient à de très belles études: le jeune André découvrira au Lycée de garçons d'Oran que son monde, celui de la tradition ancestrale, n'était pas le Monde, que la nourriture n'y était pas cacher et qu'il convenait désormais de devenir un fils digne et reconnaissant de la mère patrie… André Chouraqui vécut lui aussi ce traumatisme de l'acculturation et du modernisme qui le prépara, pour ainsi dire, à ce qui l'attendait à Paris où il débarqua en 1935 et où il décida, parallèlement à ses études de droit, de suivre les cours de l'Ecole Rabbinique de France.  La foi naïve des tendres années n'avait pas disparu sans laisser quelques traces: le jeune homme, éveillé à l'amour mais aussi à la connaissance et à la réflexion philosophique, souhaitait découvrir l'essence du judaïsme et mieux comprendre ce que ses ennemis lui reprochaient. L'école française, écrit-il avec une implacable lucidité, du jardin d'enfants à l'université, m'avait coupé de mes racines ancestrales ( p 155).
    Mais la France, c'était aussi la femme française et le jeune André se verra un jour présenter Colette, belle chrétienne entièrement spiritualisée, qu'il découvrira, pour la première fois souffrante et alitée. 
    Tout dans cette autobiographie est passionnant et digne de mention, mais faute d'espace il faut se cantonner à l'essentiel. Durant les sombres années d'occupation, lorsque l'Ecole Rabbinique se replie sur Chamalières, Chouraqui côtoie certains maîtres rencontrés rue Vauquelin. Il cite le rabbin Back, l"orientaliste Georges Vajda, (voir supra) le théologien Jacob Gordin et le Grand Rabbin Maurice Liber qui lui tint un intéressant discours sur la vocation rabbinique… Enfin, et dans un tout autre registre, Marc Chagall qui s'apprêtait alors à faire ses superbes œuvres bibliques. Mais il ne faut pas omettre les rencontres et les conversations avec Albert Camus qui travaillait jadis à  La peste  et L'étranger . L'écrivain demanda un jour au bibliste en herbe de lui parler des références scripturaires à la peste. Chouraqui nomme  dévér  pour dire la peste en hébreu et signale que la même racine a donné  davar, la parole. Et Camus d'observer:  Ainsi la peste serait la conséquence d'une déformation de la parole… ( (p 243).   
    L'heure de la Libération ayant sonné, Chouraqui ne peut plus résister à une terrible dépression consécutive à tant d'années de privations et de souffrances aussi bien physiques que morales: les souvenirs  m'assaillent de jour comme de nuit.: je ne dors pas, je mange à peine.  Les épisodes atroces des quatre dernières années, vigoureusement refoulés, m'assaillent, ne me laissant plus de reste. Les alertes aériennes, les bombardements,  les cadavres sur le bord des routes, l'odeur des cadavres, leurs regards glauques , nos routes aveugles ne menant nulle part, la voix démente de Hitler, les gémissements d'agonie de ses victimes, le râle des juifs étouffés dans les chambres à gaz, mon enfant mort dans mes bras, l'avortement de Colette,… les affamés, les évadés, des camps ou des villes…  (p 246).  Mais une telle crise, même passée, entraîne nécessairement des changements: Chouraqui embrasse temporairement la carrière juridique, Colette s'en va   -non sans lui écrire de merveilleuses lettres d'amour-,  Annette apparaît, belle brune aux yeux verts. Désormais, Chouraqui a trouvé son éshét né'urim, elle l'accompagnera à Jérusalem où ils fonderont une belle famille et bâtiront une splendide demeure à Eyn Roguél. A Jérusalem, André apprend  à connaître la rugueuse réalité israélienne; certes, il attire l'attention de David Ben Gourion qui en fait son conseiller. Cette situation était inouïe puisqu'en ces années là, les sefarades étaient presque entièrement bannies des sphères dirigeantes et constituaient ce que l'on a appelé le second Israël.
    Et pourtant, l'action de Chouraqui sera relevée même par un observateur aussi illustre et aussi attentif que le roi Hassan II du Maroc qui l'invitera à Marrakech pour s'entretenir avec lui de paix mais aussi de la situation de ses anciens sujets établis en Israël. La réaction de l'establishment politique israélien est prévisible: si le Roi veut nous parler il sait où et comment nous joindre… Une fois encore, Chouraqui bravera l'interdit et fera au Maroc un voyage mémorable…
    Les relations avec le Vatican et les différents papes ne sont pas oubliées dans cette autobiographie où elles occupent un important chapitre. On sait que les relations judéo-chrétiennes ont longtemps préoccupé l'auteur que ses traductions ont littéralement plébiscité dans ces milieux…                          
    Mais un homme, le penseur judéo-arabe du Xe siècle, mentionné au début, a marqué André Chouraqui par un livre de profonde piété qui affleure à travers toutes ces pages: il s'agit de Bahyé ibn Paquda que André traduisit en français durant les sombres années d'occupation sou le titre des Devoirs des cœurs (Hovot ha-Levavot). C'est probablement la spiritualité de ce penseur inoubliable qui grava dans le cœur d'André ces quelques lignes qui se lisent dans ce qu'il nomme  En guise d'épilogue :
    Je te cherchais en chacune de mes routes, en chacune des  lettres de ce livre, aimé de toute ma passion, parce qu'il est  le seuk au monde à chanter ton vrai Nom ---- l'Être qui a été, qui est, qui sera de toute éternité.  (p 479

                                                                           Maurice-Ruben HAYOUN

                                Professeur à l’Université de Genève                                                                                                                                                                                                                                                                              

     

  • Hommage à Aimé Césaire

        Hommage à Aimé Césaire

        Un grand homme nous quitte, après une vie bien remplie, une existence au service de son peuple, de l’homme en général et de l’humanisme. Certes, cet homme ne fut pas qu’un poète que tout le monde encense aujourd’hui ; ce fut aussi un combattant, un homme d’idées, entièrement tourné vers les aspirations et le combats d’hommes noirs, victimes de l’oppression et de la colonisation.
        Ce fut aussi un homme qui donna ses lettres de noblesse au concept de négritude à l’origine duquel on le retrouve, aux côtés de quelques rares compagnons de lutte. Comme, par exemple, Léopold Sedar Senghor… Hier ou avant hier, j’écoutais sur France-Info une interview d’Aimé Césaire parlant de son ami disparu, Senghor. Il précisait que chacun des deux avait son histoire propre. Senghor, disait-il, était un africain, moi, j’ai un autre vécu, un autre penser. Mais une amitié profonde et incontestable unissait les deux hommes dont les destins semblent parallèles : tous deux noirs, remarqués par leurs instituteurs, tous deux fréquentent les classes préparatoires, tous deux deviennent de fins lettrés que la situation de leurs peuples respectifs attire vers la politique. Enfin, Senghor acceptera d’être membre de l’Académie Française, ce que Césaire refusera obstinément…
        Que l’on soit ou non d’accord avec ses convictions idéologiques, on ne peut rester insensible aux qualités de cœur et à la puissante faculté de jugement d’un homme dont la vocation première fut la poésie. Issu d’un peuple chaleureux et rêveur, agité parfois par des aspirations contradictoires, voire même violentes, Césaire n’a jamais commis d’excès et sa parole, même militante, est restée empreinte d’un humanisme certain.
        Césaire sut, à sa façon, concilier l’identité créole et la culture européenne. Il parvint, non sans mal, à avoir une vision lucide de son état en se servant des valeurs que la France, l’Europe, l’homme blanc (si je puis dire) avaient mis à sa disposition. C’est ainsi qu’il réussiit à concilier le particulier et l’universel. Son combat personnel devenait celui des droits de l’homme en général.
        Aujourd’hui, tout le monde reconnaît en lui le père de la Martinique. Et même au delà. Les groupes ethniques minoritaires ou oppirmés ont parfois du mal à dépasser le cadre étroit de leur propre communauté, réduisant ainsi, et de manière drastique, la portée universelle de leur message. Selon moi, Césaire a évité ce piège dans lequel tombent les propagandistes et les idéologues. Il était bien plus que cela. C’est pourquoi il appartient au panthéon spirituel des grandes figures de l’humanité.
        Reposez en paix, cher Aimé Césaire, dans cette terre des Antilles qui vous a vu naître et à laquelle vous avez tant donné.
     

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  • Benoît XVI aux USA

     

     Benoît XVI aux USA
    La visite du pape Benoît XVI aux Etats Unis fera date. Ce pape que l’on disait si conservateur a eu le courage de recevoir des victimes de prêtres pédophiles et d’exprimer ses regrets à ce propos. Il doit en ce moment même prononcer un discours très attendu sur les droits de l’homme devant l’ONU. Mais ce n’est pas tout. Il a déjà reçu des délégations d’autres confessions et se prépare, dès demain, à rendre visite à l’une des plus vieilles synagogues des USA, fondée en 1888 !
    On se souvient de l’émoi suscité par une certaine prière catholique portant sur les Juifs que l’on souhaitait voir enfin «soustraits à l’aveuglement.» La communauté juive américaine, mais aussi italienne, avaient élevé de vives protestations et le pape avait dû faire (partiellement) droit à leurs demandes.
    Mais concernant la visite de la synagogue dont nous parlons, il faut savoir que son rabbin est un juif autrichien orthodoxe, rescapé de la Shoah. Et qu’il pourra parler avec le pape en allemand… Enfin, cette visite se déroulera quelques heures avant la commémoration de la Pâque juive, la fête de Pessah, censée rappeler la sortie d’Egypte.
    Pâque juive et Pâques chrétiennes : tout un symbole ! Là où les premiers chrétiens, qui étaient encore des juifs, introduisaient la notion de résurrection, les Juifs, demeurés fidèles à la tradition biblique, continuaient de marquer le souvenir de la sortie d’Egypte.
    Emettons le souhait que tous sortent enfin de cette Egypte mythique, symbole de l’impureté, des préjugés et des conceptions anciennes, pour aller vers un rivage de lumière et de paix. Une sorte de terre de Promission. Pure, pacifique, spirituelle.

     

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