Mais qui peut affirmer que la France est gouvernable ?
Oui, qui peut gouverner ce pays dont l’un des plus grands chefs, le général De Gaulle, affirmait dans une boutade que l’on comptait trop de sortes de fromages dans l’Hexagone… Sous entendu, il y a dans ce pays trop de variantes, trop de sensibilités, de divergences et donc de politiques envisageables… Ce genre de réflexion a le don de faire sourire un certain temps, mais quand cela perdure, on s’interroge sérieusement. Que se passe-t-il ?
Après des années d’immobilisme, de réformes gelées, de déficits accumulés et consolidés, un homme encore jeune qui croit en la France, clame urbi et orbi son désir de la diriger, de vivre pour elle et de la redresser, connaît, un an, jour pour jour, après son élection ce qu’il faut bien nommer un désamour !
Certes, le président Sarkozy a eu un problème d’ordre familial à régler qui eut le don de le préoccuper et de lui donner du fil à retordre. Ce qu’il faut juger, ce n’est pas une attitude mais une action, or celle-ci a été courageuse, soutenue et audacieuse. En un an, le pays a connu plus de réformes qu’il n’en a subi en une décennie : les retraites, la sécurité sociale, le contrat de travail, la fonction publique, le système de santé, l’organisation judiciaire, bref pas un secteur n’a échappé à la vigilance du chef de l’Etat. Et voilà que les Français pour lesquels tout ceci a été fait disent leur insatisfaction.
Mais alors que faut-il faire ? On a souvent rappelé ici même que ce pays et ses habitants sont rétifs aux réformes dont la France a pourtant grandement besoin. Alors que faire ? Laisser filer les déficits, s’accumuler les dettes, le pays aller à vau l’eau sans réagir ? Uniquement parce que la Belle endormie opte pour le rêve en fuyant la réalité ? Si un être humain souffre d’une maladie quelconque, il faut bien lui administrer un traitement pour le soigner. Existe-t-il une autre méthode ?
Les sciences politiques ne sont pas les sciences mathématiques et Winston Churchille disait bien que la politique c’est l’art du possible, mais tout de même ! En fait, la seule remarque sensée qui s’impose, c’est que les réformes massivement engagées ont sursaturé le paysage alors que les résultats ne sont pas encore là. Et dans ce cas, c’est la communication du gouvernement qu’il faut renforcer.
Il n’ y a pas de politique de rechange, il y a tout simplement un effort supplémentaire d’explication à fournir.
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La Pâque juive, le Pape et la Résurrection
La Pâque juive, Pessah, commence ce soir et dure jusqu'à dimanche en huit…
La pâque juive, le Pape et la Résurrection…
Cette année, la fête de Pessah, la Pâque juive, reçoit une connotation bien particulière qui montre combien la sortie d’Egypte, qu’elle est censée commémorer, doit être interprétée allégoriquement. Il s’agit bien évidemment d’une Egypte mythique, d’un territoire symbolique. Mais ce symbole, vieux de milliers d’années, vient de s’enrichir d’un nouvel aspect. C’est un symbole au sein d’un symbole, un miracle dans le miracle : Pour la première dans l’histoire des USA, un pape, et qui plus est un prélat d’origine allemande, s’est rendu dans une synagogue , la plus ancienne du pays puisque fondée en 1888, quelques heures seulement avant la célébration mondiale de la fête de Pessah, là où des millions de juifs à travers l’univers se réunissent pour la veillée pascale, évoquer leurs ancêtres esclaves en Egypte, saluer l’avènement d’une humanité libérée du joug de l’esclavage moral et spirituel, enfin libre de marcher d’un pas assuré vers la paix et le bonheur. C’est cela le message de Pessah. Même la suite milite dans le même sens : l’idée d’une terre de Promission était la meilleure façon de tenir ensemble un ramassis d’anciens esclaves, réputés indisciplinés et rebelles à toute autorité, d’où qu’elle vînt. En leur assignant un objectif commun, la terre de Canaan, on les investissait d’une mission. Il n’y a pas d’autre recette pour créer une nation. Quant à la fameuse traversée du désert, elle eut pour but d’aguerrir les hommes et de les confronter aux dures réalités de l’existence.
La tradition juive a jeté son dévolu sur cet épisode mythique dont elle fit avec succès un mythe fondateur : tout homme, à l’origine, était esclave, et Dieu lui offre la liberté la liberté en le tirant du creuset où même le fer fond, où se dissolvent les identités mais aussi là où elles se forgent. Dans un système religieux, nul ne s’étonnera que Dieu soit au sommet de la pyramide. Mais pourquoi donc avoir inventé cette histoire d’une Egypte qui n’a jamais existé en tant que telle dans l’Histoire ? Une Egypte esclavagiste nourrissant de noirs desseins à l’encontre d’un peuple étranger venu se protéger de la famine dans son territoire, comme nous l’enseigne la Bible : aucun témoignage externe ne vient conforter pareille chose Ceci au plan social et politique.
Mais même au plan religieux, les choses sont étonnantes puisque les racines du monothéisme se trouvent aussi en Egypte même si le jahwisme (de JAHWE) comporte des éléments absolument nouveaux qui donnèrent plus tard le monothéisme éthique dont les prophètes d’Israël se firent les hérauts.universels. Alors comment interpréter tous ces faits ?
Aux temps de la rédaction des livres bibliques, l’Egypte et l’Assyrie étaient les deux grandes puissances hégémoniques de la région. La petite Judée avec ses rois pusillanimes et ses prophètes turbulents tentaient de sauver la mise en naviguant avec plus ou moins de bonheur entre les différents écueils. Les fondateurs de la mémoire de l’Israël antique se posèrent la question des origines : où les situer ? Comment dire qu’on incarnait une réalité absolument nouvelle, comment faire naître une nation si différente de toutes les autres ? En mettant en scène un Dieu de l’univers qui fait une promesse à une figure charismatique de l’époque, Abraham, figure tutélaire de la future humanité monothéiste, celui-là qui introduira un culte sacrificiel plus doux puisqu’il substitue la bête à l’homme… C’est d’ailleurs ainsi que la Bible hébraïque fait dérivé le terme de Pessah : en plus du sacrifice de l’agneau pascal, la Bible nous dit que Dieu a enjambé (passah) les maison habitées par les Hébreux pour ne frapper que les premiers-nés egyptiens… Bel exemple d’étymologie populaire.
Peu de gens le savent mais, à l’origine, la fête de l’agneau pascal était distincte de celle des azymes ; mais comme elles tombaient toutes deux aux alentours du printemps, on les fit fusionner et l’agneau pascal devint le fidèle compagnon des pains azymes. Pour ce dernier rite, on dit que les Hébreux, pressés par les Egyptiens de quitter le pays, n’eurent pas le temps de laisser lever le pain qui devait leur servir de nourriture lors de leur pérégrination…
Mais les esprits les plus rassis comprirent qu’il s’agissait d’un levain spirituel : un pain qui a levé, rond et joufflu, symbolise l’orgueil, l’arrogance, une sorte de seigneurie de soi-même qui ne sied pas à l’humanité croyante ou pensante. Il s’agit assurément d’un levain spirituel qui nous renforce dans notre orgueil humain.
Le pape choisit donc ce moment de l’année liturgique pour se rendre dans une synagogue américaine. On sait que pour les chrétiens, la semaine pascale est la plus importante de l’année liturgique et célèbre la Résurrection du Christ. Il est très intéressant de relever que des juifs, il y a deux mille ans, ont changé la symbolique de la Pâque pour en faire l’apothéose d’une religion nouvelle. Ils se référent à un verset du prophète Osée (6 ;2) qui évoque clairement cette idée :il nous fera revivre après deux jours, au troisième jour il nous ressuscitera et nous vivrons devant lui…
Le pape, en sa qualité de chef spirituel d’une Eglise issue de la synagogue et en éminent théologien qu’il est, ne peut pas ne pas voir pensé à cette différence d’interprétation, fondatrice d’une identité nouvelle, le christianisme, et formatrice d’une opinion différente de celle léguée par une tradition pluriséculaire.
Maurice-Ruben HAYOUN
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Renan, la Bible et les Juifs (Paris, Arléa, 2008)
Renan, la Bible et les Juifs (Paris, Arléa, 2008) vient de paraître. Nous enf diffuons les bonnes pages en souhaitant à nos lecteurs et aux internautes de bonnes lectures…
Pourquoi Renan aujourd’hui ? Et plus particulièrement son voisinage avec la Bible et les juifs ? Mort en 1892, philosophe statufié par la IIIe République qui a donné son nom à tant de rues et d’avenues dans toutes les villes de France, l’auteur de la Vie de Jésus est probablement le Français le plus connu dans le monde des lettres…
Et pourtant, dans son propre pays, une série de malentendus s’est nouée autour de son nom. Notamment en ce qui concerne l’antisémitisme, les théories raciales et une germanophilie soutenue, confinant à la monomanie…
Ma rencontre avec Ernest Renan remonte à mes premières années d’étudiant à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (section des sciences religieuses) lorsque mon regrette maître Georges (Yehuda Arye) Vajda me recommanda d’étudier le tome XXXI de l’Histoire Littéraire de la France, publié par Renan avec l’aide décisive d’un érudit juif Adolphe Neubauer, Les écrivains juifs français du XIVe siècle. Je fus, à un si jeune âge, stupéfait par une connaissance si approfondie de la philosophie juive, de la langue hébraïque médiévale et de la littérature allemande. J’étais moi-même passionné par mes études hébraïques, philosophique est germaniques. Mon maître Vajda était jusqu’à me dire, par boutade, que l’allemand était la première des langues… sémitiques, rendant ainsi un hommage appuyé à l’orientalisme des savants germaniques.
Cela me rapprochait considérablement de l’illustre savant originaire de Tréguier… Il aimait l’allemand, l’hébreu, la Bible et la philosophie. Moi aussi. Je voyais comment il avait dévoré l’ouvrage que Johann Gottfried Herder avait consacré à la poésie sacrée des Hébreux, comment même son style français épousait les contours des phrases germaniques qui constituaient sa nourriture spirituelle quotidienne : Sa Vie de Jésus n’aurait probablement jamais vu le jour sans l’œuvre de David Friedrich Strauss (1835/36) sur le même sujet ; et la même remarque vaut de son Histoire du peuple d’Israël qui devait beaucoup à celle de son modèle allemand Heinrich Ewald…
J’étais moi aussi, je le suis toujours, fasciné par cette science germanique et ce dix-neuvième siècle allemand qui vit un essor considérable de la philosophie et de la science du judaïsme… Mais l’homme était Breton, à l’origine, et surtout issu d’un milieu très catholique au point d’avoir même songé à une vocation ecclésiastique… Or, cette époque là se situe bien avant le concile de Vatican II et n’avait aucune idée de l’encyclique Nostra Ætate. Et dans les églises, on priait encore pour «les juifs perfides»…
En bref, le cas Renan était soigneusement conservé dans un coin de mon esprit
Pour soutenir ma thèse de IIIe cycle sur La méthode d’interprétation allégorique dans la pensée juive du Moyen Age et ensuite ma thèse de doctorat d’Etat sur La philosophie et la théologie de Moïse de Narbonne (1300-1362), j’avais dû lire et relire assidûment les travaux de Renan sur ces mêmes philosophes juifs. J’ajoute que ma rencontre avec le regretté professeur André Caquot, titulaire de la chaire d’hébreu et d’araméen au Collège de France (lointain successeur de Renan à ce poste) et l’amitié que je nouais avec cet éminent hébraïsant renforcèrent ma curiosité. Lors de l’une de nos rencontres dans son bureau au Collège de France, André Caquot me prêta volontiers les volumes de l’Histoire du peuple d’Israël dont je fis mon profit. J’éprouvai alors ces sentiments mêlés qui assaillent tout lecteur attentif de Renan : une admiration sans bornes pour le style étincelant et l’étendue des connaissances, maintes fois contrariée, hélas, par des jugements à l’emporte-pièce sur certains aspects de l’histoire de l’antiquité juive…
Comme me l’avait appris une lecture attentive du Guide des égarés de Maimonide, je résolus de découvrir la pensée profonde de l’auteur. Et je préfère reconnaître d’emblée que je ne suis pas toujours sûr de l’avoir entièrement trouvée… Mais je suis au moins convaincu de ne pas m’être intégralement trompé. C’est de cette confrontation avec l’œuvre que naquit mon intérêt pour l’homme et ma décision de faire ce livre.
Pendant plusieurs années, je fis, grâce à Danielle, l’acquisition des œuvres de Renan que je lus et relus lentement, sans me fixer de limite dans le temps. Je lus la plupart des auteurs sérieux qui tentèrent d’élucider le sens de son œuvre. La suite se fit naturellement : durant toute une année je consacrais mes cours à l’Université de Genève au thème de livre, Renan, la Bible et les juifs. Car il m’apparut que l’unique manière d’éviter les contradictions et de trouver le fil d’Ariane dans ces innombrables déclarations contradictoires sur les juifs et le judaïsme était de «périodiser», de différencier entre la Bible, le Talmud, le Moyen Age et l’époque où Renan vivait… Restent assurément les préjugés ingérés durant l’enfance et l’adolescence, des âges où on ne pense pas encore par soi-même et où on absorbe sans difficulté les idées reçues. Il est incontestable que ces clichés rejaillissent parfois sous la plume de l’auteur et contribuent à le desservir fâcheusement. Il convient donc d’être prudent dans toute entreprise de «cacherisation» de Renan. L’une de mes auditrices à Genève, une grande dame de plus de 86 ans, m’assurait que du temps de sa jeunesse, Renan passait pour un antisémite frictionné…
Il y a aussi, éparpillées à travers toute l’œuvre, ces déclarations quelque peu inattendues sous la plume d’un savant de l’envergure de Renan, assurant, sans discernement suffisant, que le «christianisme était la vérité du judaïsme», ce qui était une reprise pure et simple de la fameuse théologie de la substitution dont même les franges les plus conservatrices de l’église catholique se sont prudemment démarquées depuis. J’avoue simplement que de tels passages, trop nombreux à mon goût, n’ont rien à faire dans une œuvre scientifique ; et on sait que Renan faisait, par ailleurs, grand cas de la méthode historico-critique, si prisée par les savant d’outre-Rhin qu’il admirait tant.
En 1936, un spécialiste suisse de la poésie de Goethe avait publié dans la Revue juive de Genève un article assez dur sur Renan. Sa lecture m’a bouleversé car il y disait que, certes, Renan n’était pas un antisémite mais que ses «thèses dûment germanisées» pourraient faire des ravages… Et ce fut le cas , même si Renan n’y était pour rien. Néanmoins, j’ai maintenu le cap, je n’ai pas interrompu mes recherches et ai poursuivi mes lectures sans a priori.
Cependant, un verset d’un traité talmudique, Les chapitres des pères (Pirké avot), véritable raison pratique du judaïsme rabbinique (pour parler comme Kant) me revient à l’esprit ; ce verset me fut enseigné par mon père alors que je n’avais pas encore sept ans : hakhamim ! hizzaharou be-divrékhém. Ce qui signifie : Sages, prenez garde à vos paroles. Et Renan ne l’a pas toujours fait.
Mais je ne finirai pas sur une noue pessimiste. Renan s’est beaucoup intéressé à la littérature sapientiale de la Bible. Voici ce qu’on peut lire dans le livre des Proverbes (10 ;12), véritable joyau de cette littérature : ‘al kol pesha’im tekhassé ahava : la haine suscite des querelles, mais l’amour couvre toutes les fautes.
Paris, février 2008
M-R.H
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