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  • Franz Rosenzweig, Il est grand temps... (suite et fin)

     

    Il sera aux côtés du rabbin, autonome, formé théologiquement et aussi compétent que lui. Mais il sera différent de lui dans la plupart des cas puisque son activité scientifique soutenue au sein de l’académie suscitera  en lui une certaine fécondité intellectuelle. Comme ses obligations d’enseignant, comparées à celles d’un professeur de lycée, lui laissent pas mal de temps libre et ne le mobilisent que les après midis, il sera donc particulièrement disponible pour le travail scientifique. Son activité externe reposera moins sur sa charge d’enseignant attaché à un établissement scolaire que sur son appartenance à une éminente corporation d’érudits englobant l’ensemble du Reich, voire même, si la paix réglait enfin la situation de notre continent, la totalité de l’Europe centrale. En sa qualité de membre de l’académie il pourra prendre en main l’ensemble des conférences au sein de la communauté, soit en les donnant lui-même soit en les organisant ; et ainsi, sera introduit dans les cercles littéraires l’air frais et vivifiant d’une puissante activité scientifique. Il pourra même irradier sur les communautés avoisinantes en y prononçant des conférences ; et au fil des ans, on verra émerger un public  intéressé et vivant, constitué par ses propres élèves qui auront profité de son enseignement. On assistera alors partout au développement de bibliothèques communautaires pourvues de salles de lecture qui nous donnerons l’impression d’être chez nous, comme c’est le cas ici à Berlin,  la capitale du Reich qui a pris beaucoup d’avance sur les autres centres juifs. Et cela est d’autant plus facile, que ce qui fait problème ici ce n’est pas le manque d’infrastructure mais plutôt la volonté et l’envie de participer; car, aujourd’hui, on a surtout besoin d’un regroupement courageux des stocks d’ouvrages, d’une bonne politique d’acquisition des fonds, d’un aménagement intelligent des heures d’ouverture et de consultation, avec des bénévoles pour assurer la surveillance et les prêts à domicile, si l’on veut, m$eme modestement pour commencer, suivre l’exemple berlinois. Ainsi, le maître sera à même de représenter la communauté vis-à-vis de l’extérieur, au plan spirituel, il sera donc en meilleure position que le rabbin pour s’acquitter de cette tâche. Dans la plupart des villes moyennes non dotées d’universités, il pourra faire fonction d’«orientaliste» aux yeux des élites scientifiques locales : voilà une position qu’il pourra occuper, précisément parce qu’il n’est pas totalement accaparé par son activité d’enseignant, aux côtés  des directeurs de la galerie d’art, du musée mocal, de la bibliothèque municipale, peut-être aussi aux côtés de tel professeur de lycée ou de tel autre,, d’un pasteur intéressé par l’activité scientifique,  voire du directeur du théâtre municipal ou du chef des chœurs. Que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, le maître  pourra insuffler une vitalité nouvelle à l’existence communautaire.

     

     

     

    Nous avons besoin de cette vitalité nouvelle. L’espoir des juifs d’Allemagne qui avaient vu dans la déclaration de guerre l’aube d’une ère nouvelle, s’est évanoui, emportant avec lui tout optimisme. Si l’on considère avec sérieux ce fait d’un point de vue juif, c’est plutôt une bonne chose. Pour l’homme vaillant, les grandes mutations ne tombent pas du ciel ni ne proviennent de l’extérieur. L’époque ne pourra jamais lui offrir ce à quoi il ne s’est pas lui-même préparé. Cette apparente égalité des droits sur laquelle on avait fondé tant d’espoirs aurait été un cadeau de cette nature. Nous aurions alors reçu en tant qu’individus ce qui aurait fait défaut à la communauté ; ce qui signifie en fait que la situation en Allemagne n’aurait pas changé, à cette différence près que ce qui n’avait été accordé qu’à un petit nombre, est aujourd’hui accessible à beaucoup de juifs, voire à la majorité d’entre eux. Mais beaucoup d’individus, voire même l’ensemble de ces individus, cela ne constitue toujours pas la communauté.[1] A certains moments, cette dernière est en de meilleures mains quand il s’agit d’un petit nombre plutôt que d’un grand. Contrairement à ce qu’elle pense, la communauté n’a pas à acquérir ou à ne pas acquérir cette égalité des droits par le combat mais bien par le travail et l’effort.  Si nous commençons par obtenir une égalité des droits  pour la communauté, pour le judaïsme, l’égalité des individus, de tous les juifs suivra d’elle-même. Mais voilà le chemin de l’égalité des droits pour toute la communauté passe par l’organisation. Elle constitue le point par lequel le travail ciblé de l’individu accède enfin à l’esprit de la communauté. Lorsqu’on commença, dès la première moitié du siècle passé, à nous inviter à prendre part à la vie commune du peuple et de l’Etat, les choses furent organisées de la manière suivante : on commença à annuler par des dispositions juridiques les barrières qui empêcherait le juif de participer à la vie publique. Mais le fait que l’individu qu’on cherchait à émanciper était lui-même empêtré dans des liens provenant de sa propre vie ou existence communautaire, passait, dans le meilleur des cas, pour une difficulté mineure.  Il suffisait de lui donner accès aux grandes institutions nationales pour que les chaînes, le reliant à  sa vieille appartenance à une communauté raciale et spirituelle, tombent d’elles-mêmes. Jadis, seules les forces réactionnaires étaient d’un avis différent. Les lois régissant les juifs, conçues par Frédéric Guillaume IV, avaient elles aussi l’intention,  selon sa propre idée, d’offrir aux juifs de participer à la vie publique, mais sur la base d’un droit ouvert à l’individu mais selon une constitution corporative de la «juiverie». Ceci était conforme à la pensée politique de tous ces cercles désireux de réorganiser le peuple en groupes corporatifs ; concernant  les juif s et la voie  librement suivie en vue de s’instruire, et choisie au cours des dernières décennies, les manœuvres pour ralentir tout ce processus étaient trop visibles en dépit  de l’habillage fourni par une pensée politique.. Ces plans là n’ont pas été couronnés de succès jadis. Aujourd’hui encore, aucun juif avisé ne voudrait les voir ressusciter.

     

     L’époque a aussi pris ses distances avec  ces idées visant à émanciper l’individu, bien qu’elles aient donné l’impression d’avoir eu gain de cause, du moins sur le papier. Nous avons appris que la consécration des droits de l’individu n’apportait pas grand’ chose. Aussi lo,ngtemps que l’on voudra faire participer un individu en tant que tel, sous certaines conditions, mais tout en ignorant consciemment son appartenance communautaire, tout ce que  cet individu obtient, même sans renier son appartenance à notre groupe, ne représente pas, matériellement, un avantage pour la communauté mais idéalement un dommage,.  Grâce à sa cohésion impressionnante, la communauté doit être efficace à l’intérieur, et déployer une grande visibilité à l’extérieur, afin que nous ne soyons pas considérés par le monde extérieur, dans le meilleur des cas, comme une tare sans gravité, et ce, aussi bien en cas de fidélité ou de défection. Certes, ce n’est pas la juiverie qu’il convient de transformer en corporations, comme le souhaitaient les forces réactionnaires du milieu du XIXe siècle, mais bien le judaïsme. Ce sont des organisations spirituelles juives qu’il faut créer et non des corporations. L’esprit du judaïsme réclame des foyers et des établissements caritatifs juifs. Le problème de l’éducation juive à tous les niveaux et sous toutes ses formes, telle  est la question vitale du judaïsme de notre temps. Oui, de notre temps, car le verset (Psaume 119 ; 126) dit bien : il est temps d’agir pour D-, ils ont renversé ta loi.

     

    Franz ROSENZWEIG en 1917

     

     

     

    Traduit de l’allemand et annoté par Maurice-Ruben Hayoun (uin 2014)

     



    [1]  Dans tout ce passage, Rosenzweig veut nous expliquer que l’on a émancipé les juifs en tant qu’individus isolés sans jamais en faire de même pour le judaïsme. En somme, sans le dire, on espérait émanciper les juifs de leur judaïsme. Ce qui explique le désert juridico-légal entourant les communautés en tant personne morales..

     

  • Franz ROSENZWEIG, Il est grand temps, traduit de l'allemand et annoté par Maurice-Ruben Hayoun

      Il est grand temps…  (Ps. 119 ; 126)

     

     

                   Considérations sur l’éducation juive d’aujourd’hui (1917)

     

     

     

     

     

     

     

                                        (Lettre ouverte à Hermann Cohen)[1]

     

     

     

     

     

     

     

                                               Par Franz ROSENZWEIG

     

     

     

     

     

     

     

    Si je vous présente aujourd’hui par écrit ces pensées et ces considérations, c’est parce que je ne suis pas certain de pouvoir vous les exposer oralement dans un avenir proche[2]. Et je ne pouvais plus les conserver par devers moi car la vie est brève et chaque instant  précieux. Je les remets donc entre vos mains, vous qu’une écrasante majorité des juifs d’Allemagne qui voit l’avenir de son judaïsme dans le cadre de la communauté nationale allemande, honore toujours comme son guide spirituel. Car que cette conception soit ou non justifiée, elle n’en demeure pas moins la seule hypothèse valable pour prendre connaissance des exigences de l’heure. Et c’est seulement dans le cadre des circonstances actuelles, que les idées clairement exposées ici pourront ou devront recevoir une traduction politique[3].

     

     

     

     

     

     

     

    Dans l’état actuel de l’Allemagne, l’éducation juive dans ce pays se limite, à ce jour,  au cours d’instruction religieuse. En raison de l’urbanisation et de la stratification considérable de la majeure partie  de la population  juive,  ce cours se résume, à son tour, principalement au problème suivant : l’enseignement de la religion juive au lycée, au lycée technique et au lycée professionnel[4]. Mais dans les plupart des milieux, et notamment les plus influents, les choses ont pris une tournure telle que ces deux programmes de «cours de religion» qui ne sont suivis que durant peu d’années, constituent, avec quelques sermons prononcés à la synagogue lors des grandes fêtes religieuses, l’unique source de «savoir juif», glané par les élèves-juristes, et par ceux qui se destinent aux professions de santé et du commerce[5]. La nécessité d’y remédier est connue depuis longtemps et l’on s’y emploie sérieusement depuis quelque temps sans, toutefois, avoir pleinement pris conscience de la spécificité de ce problème, et par voie de conséquence,  avec peu de clairvoyance et d’efficacité.

     

     

     

     

     

     

     

    Les résolutions adoptées lors du congrès rabbinique[6] de l’été 1916 à ce sujet éveillent  l’impression, consciente ou inconsciente,  sans même parler des carences d’une organisation extérieure, que l’on fait face à une difficulté majeure, propre au cours de religion chrétienne, à savoir : comment développer la sensibilité religieuse avec des moyens pédagogiques susceptibles d’agir sur l’entendement ? En vérité, la question de l’enseignement religieux du judaïsme se pose de façon totalement différente. L’enjeu, ici, n’est pas la création d’un domaine où seraient circonscrites les questions mondaines et auquel les autres matières enseignées pourraient introduire l’élève ; ici, l’objectif est de placer l’élève dans une «sphère spécifiquement juive», nettement distincte d’un autre environnement culturel. Pour la population juive d’Allemagne dont il est question ici et qui a, depuis ces trois dernières générations, perdu le sens de ce qu’est un foyer juif, cette sphère n’est disponible que dans le cadre synagogal.  Par conséquent, la tâche qui incombe à l’enseignement de la religion juive ne peut être que celle-ci : recréer entre les prières synagogales et l’individu un contact qui n’est plus automatique puisqu’il n’est plus fourni par son foyer de naissance.[7]

     

     

     

     

     

     

     

    A l’aune de ce noble concept qu’est l’instruction religieuse, un tel objectif apparaît à la fois petit et limité. Mais celui qui connaît le rôle de filtre et de réceptacle joué par notre liturgie[8] synagogale, et combien tout ceci, d’un point de vue juif, s’est révélé profitable et   bénéfique dans notre histoire intellectuelle vieille de trois millénaires, comprendra que tout ce que nous souhaitons se trouve résumé dans ce petit espace. Admettons, pour en rester à des comparaisons littéraires, que le corpus biblique antique constitue la source et le fondement de tout judaïsme vivant, admettons que les textes talmudico-rabbiniques en soient l’encyclopédie d’une époque ultérieure et que sa période philosophique en représente l’idéalisation la plus raffinée, eh bien la quintessence et le compendium, le  manuel et le mémorial de tout ce judaïsme historique n’en restent pas moins le siddour (rituel de prières quotidiennes) et les mahzorim (les rituels des jours de fêtes).[9]  Celui pour lequel ces deux volumes ne sont pas un livre scellé, celui-là a fait plus que saisir «l’essence du judaïsme», il en a pris possession, un peu comme on incorpore de la vie à son être le plus profond, oui, cet homme là possède un «univers juif».

     

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  • L'étrange silence des media français sur l'affaire de l'enlèvement de jeunes Israéliens

    Pourquoi ce silence assourdissant des médias français sur l'enlèvement des trois lycéens israéliens? Même des hauts fonctionnaires de l'Etat s'en étonnent, pour ne pas dire, s'en émeuvent. Certes, il y a cette horrible coupe du monde de football qui cannibalise tout le reste: on ne parle plus de la Syrie, ni du Mali, ni du Sahel, juste un peu de l'Irak où tout va mal et pour lequel Barack Obama, fidèle à son tempérament, tergiverse, au point que les médias US se demandent s'il existe vraiment une politique américaine au Proche Orient, tandis la Chine et l'Asie revendiquent exclusivement l'attention de l'unique hyperpuissance au monde.

    Les médias de l'Hexagone se taisent, pourquoi? Est ce in nouveau revirement à l'égard de la politique d'Israël? Est ce une manière de dire que faut de pourparlers de paix, les extrémistes se livrent à ce genre d'exactions? Dans ce cas, ce serait une analyste trop simpliste. Les Israéliens ont autant besoin de la paix que leurs voisins palestiniens. Quoiqu'il arrive, ces deux peuples seront amenés un jour, que je souhaite proche, à vivre en paix et à coopérer. Mais les embûches sur ce chemin vers la paix sont très nombreuses.

    J'en retiendrai deux, principalement: le statut de la ville de Jérusalem et les réfugiés. Voila deux points sur lesquels, les Palestiniens, aiguillonnés par leurs frères arabes, font de la surenchère.

    J'ai déjà eu l'occasion de citer cette phrase d'une grand historien judéo-français concernant Jérusalem: s'il faut rendre Jérusalem à quelqu'un, ce serait aux Jébuséens! Allusion à la conquête de cette ville, qui n'était alors qu'un simple petit village de quelques centaines de personnes, juché sur un piton rocheux, complètement aride… Comme l'atteste la Bible, cette affaire remonte à plus de trois mille ans, or David a les dates suivantes= 1040-970 avent l'ère chrétienne. Où étaient l'Islam à ce moment là?

    Certes, il faut laisser une place aux deux autres religions monothéistes, issus du tronc commun juif ou hébraïque. Et je pense que cela est envisageable.

    La question du retour des réfugiés est nettement plus délicate en raison du risque de changement d'équilibre. La Realpolitik dicte le constat suivant: au sein des frontières reconnues d'Israël vivent près d'1,300.000 israéliens arabes Au sein d'un Etat qui se veut un Etat juif, cela pourrait poser des problèmes à la longue. Mais même cette affaire n'est pas insoluble. Un fait de nature majeure et presque passé inaperçu, mérite la mention: la volont de recruter, sur la base du volontariat, des Arabes chrétiens (pour le moment) au sein de Tsahal. Cele crée une brèche dans ce front du refus absolu qui tenait à contster Israël du sein même d'Israël. Voila une démarche risquée.

    Quant aux musulmans dotés d'un passeport israélien, il eut été très cruel de l'intimer l'ordre de se battre contre ceux qu'ils considèrent comme leurs frères, par la culture, la religion et l'histoire.

    Mais serait il vraiment impossible d'aller de l'avant? Il faut garder espoir.