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  • La France tente de panser ses blessures : qu’ils reposent en paix ceux qui nous ont quittés…

     

     

     

    La France tente de panser ses blessures : qu’ils reposent en paix ceux qui nous ont quittés…

    En fait, le papier de ce matin devait porter sur la tension entre l’Iran et l’Arabie, une tension capable de mettre toute la région à feu et à sang. Et je pèse mes mots : ces deux pays aux visées hégémoniques opposées sont déjà en guerre par d’autres pays interposées : la Syrie, l’Irak, Bahreïn, etc… Ryad a déjà constitué une énorme coalition anti-Daésh (presque 35 pays), mais cette coalition est aussi une barrière contre l’influence grandissante du pays des Mollahs.

    La France, aujourd’hui, par la voix de son autorité suprême, veut rendre hommage aux victimes du terrorisme. Je suis moi-même très ému. J’ai vu hier un reportage montrant une jeune femme juive, devenue veuve car son mari était allé faire des courses à l’Hyper cacher de Vincennes. Il n’est plus jamais revenu. Son époux est enterré à Jérusalem, je n’ai pas pu regarder le reportage jusqu’au bout, mais j’ai entendu les sanglots de cette jeune femme et surtout cette phrase qui m’a anéanti : cela fait un an, c’est comme si c’était hier, j’ai l’impression qu’il est toujours là…

    Et justement depuis un peu plus d’un an, la France mène une guerre qui va hélas s’intensifier, car l’EI sera vaincu et incitera tous ses partisans de par le monde à commettre des actes de terrorisme isolé. Le président de la République a eu l’honnêteté de le reconnaître : la France n’en a pas fini avec le terrorisme. A son humble niveau, elle ne peut pas faire grand chose, surtout tant qu’Obama est à la Maison Blanche, un homme qui se refuse à employer sa superpuissance militaire et préfère laisser le mal se poursuivre.

    La France se penche donc sur son passé récent et hautement douloureux. Les partis politiques durcissent les lois existantes dans un sens plus répressif et plus sécuritaire. Cela se comprend puisque la population demande qu’on la protège tant contre les dangers extérieurs qu’intérieurs. Même Schengen est enterré et ne ressuscitera plus : Madame Merkel se trompe si elle croit que les problèmes de son pays sont aussi ceux de toute l’Union Européenne… La chancelière sait qu’elle aura un déficit de 7 à 8 millions d’hommes et que cela pourrait entraîner la ruine d’une économie allemande florissante… Derrière la face rayonnante de l’accueil des réfugiés se cache une analyse froide et déterminée des intérêts bien compris de son pays. Mais elle feint d’ignorer tous les problèmes que va susciter dans les années qui viennent, cet afflux massif des réfugiés. Le cas français devrait lui servir d’exemple. Elle avait déjà sous les yeux la cas du Kreuzberg à Berlin

    La semaine qui s’annonce va être très triste pour la France. Dix-sept morts pour le premier attentat de l’année écoulée et cent trente pour celui de novembre. Même dans ses opérations extérieures, même sur le champ de bataille, au Main ou ailleurs, le pays n’a pas eu autant de pertes.

    Mais laissons filtrer un message, une lueur d’espoir. Il ne faut pas que la morosité l’emporte. Si elle sait faire les bons choix, si elle sait éloigner d’elle les éléments qui menacent sa cohésion, elle vaincra. Et les beaux jours, ceux de l’insouciance et de la gaieté, reviendront. Et comme le disait l’authentique prophète du VIIIe siècle avant JC, Isaïe, et vous puiserez l’eau dans l’allégresse à partir des fontaines du salut…

    Maurice-Ruben HAYOUN in TDG du 5 janvier 2016.

  • Le mois de janvier 2016, une cascade de commémorations…

    Le mois de janvier 2016, une cascade de commémorations…

    On a l’impression dans ce pays que les années se suivent et se ressemblent : ce sont les attentats terroristes qui ont imposé ce changement crucial dans la vie de la Franc et des Français. De janvier à novembre 2015, ce pays a été frappé au cœur, des assassins, au nombre de plusieurs dizaines (chaque jour la Belgique voisine en inculpe de nouveaux) ont pu franchir les frontières, circuler dans Paris en mitraillant de pauvres gens attablés aux terrasses des cafés ou écoutant sagement un concert. Et les autorités n’ont rien vu venir. Il leur reste juste la compassion, la commémoration et le recueillement.

    Je soutiens la mesure consistant à inscrire ces douloureux événements dans la mémoire de la collectivité nationale ; il ne faut pas oublier ; il faut rendre hommage à celles et à ceux qui furent arrachés à la vie et au bonheur alors qu’ils ne cherchaient rien d’autre qu’à être heureux. Mais le pays et ses dirigeants courent un risque majeur : sombrer dans les célébrations funéraires, devenir les sacristains de la République.

    En fait, nous sortons d’un deuil pour entrer dans un autre, à force de s’y plier, la sincérité de ces actes s’en trouve considérablement affaiblie… Vous vous souvenez de ces déplacements officiels, de ces défilés dans la cour d’honneur des Invalides, de ces réceptions à l’Elysée…

    En revanche, les décorations sont amplement méritées, notamment celles décernées à titre posthume aux victimes de Charlie Hebdo. Et parlons de ce journal satirique qui incarne à lui seul toute une sensibilité française, une façon de sentir et de penser (pour reprendre l’expression allemande das Denken und Fühlen) typiquement française. J’ai vu ce matin que la polémique a repris en raison de l’éditorial du journal qui tire ce numéro-anniversaire à un million d’exemplaires.

    Avec Charlie-Hebdo, on peut être ou ne pas être d’accord, mais quelle que soit la caricature, cela ne mérite la mise à mort : en France, depuis Voltaire et même avant, et surtout depuis, la caricature, l’ironie et l ‘humour (de bon ou de mauvais goût) ont toujours été présents dans notre socio-culture.

    Or, depuis la disparition de l’homogénéité de la société française, des voix, de plus en plus nombreuses se font entendre pour pointer violemment des désaccords avec le courant principal de l’opinion. Je n’ai pas besoin d’être plus précis : ce ne sont ni des Finlandais, ni des Norvégiens qui nous posent problème. Et, pour faire court, je comprends la mesure proposée par Alain Juppé en vue de réprimer les entraves à la laïcité.

    Mais le problème que les autorités ne comprennent pas, en raison de la formation stéréotypée des hauts fonctionnaires, calquée sur un même moule qui refuse d’évoluer, c’est que derrière ce débat sur la place de la laïcité se cache tout un massif de questions ultimes : quel est le but de l’existence sur terre ? A quoi devons nous aspirer ? Qu’est ce qui compte le plus, l’en-deçà ou l’au-delà ? Quelle attitude adopter vis-à-vis de ceux qui prient, croient et pensent autrement ? Pour être plus clair, la place du religieux dans la vie de tous les jours.

    Je précis que j’adhère de toutes les fibres de mon être aux lois de la laïcité qui permettent le vivre ensemble et protègent les minorités ethniques ou religieuses. Mais chaque fois que je me suis aventuré à expliquer à quelques très hauts fonctionnaires de mes amis, la façon de penser de nos compatriotes islamiques ils calent, changent de sujet ou restent muets. Comment voulez vous, dans ces conditions, que les choses avancent ?

    Et cette impéritie, pour ne pas dire cette infirmité, est aggravée par le fait que ces élites veillent jalousement sur le recrutement des postes les plus importants. Elles ne tolèrent pas du tout la moindre diversité. Si vous voulez accéder à ces hautes charges, il y a un cursus qui ne souffre pas d’exception : d’abord sciences-po, et ensuite l’ENA…

    Après six, voire sept décennies de règne sans partage, on voit où nous a menés cette politique, guidée par des hommes et des femmes dont les compétences auraient mérité d’être enrichies par d’autres, venus d’autres horizons, tout aussi prestigieux, quoique moins reconnus.

    Terminons par une note philosophique empruntée à Kant mais qui illustre bien ce problème : Voulant spécifier la nature exacte de l’intellect humain, par opposition à l’intellect divin   (s’agit-il d’une différence de nature ou simplement de degré ?) Kant , après quelques hésitations, finira par opter pour la solution suivante : l’intellect humain est un intellect ectype, c’est-à-dire qu’il est un peu la copie que l’on obtient grâce à du papier carbone… Une imitation, une reproduction. Un calque, rien de plus.

    Or, si tous les esprits qui nous gouvernent ont une nature ectype, comment voulez vous qu’on sorte des sentiers battus, qu’on renouvelle l’approche des problèmes ?

    C’est là, tout le problème !

  • Gloire tardive d’Arthur Schnitzler ou L’histoire d’un poète âgé (Albin MIchel)

     

     

    Gloire tardive d’Arthur Schnitzler ou L’histoire d’un poète âgé (Albin MIchel)

    Voici un ouvrage du célèbre romancier viennois Arthur Schnitzler qui provient de ses œuvres posthumes et dont la traduction française est enfin publiée. Sa lecture nous plonge dans un univers presque intimiste d’un homme écartelé entre deux mondes, deux vies, deux désirs… La caractéristique majeure de cet homme qui me semble être le sosie moral de l’auteur lui-même, d’ailleurs le nom de ce personnage commence et finit par les mêmes lettres que celui de SchnitzleR : SaxbergeR, tient en un mot, une idée, voire une obsession : la vieillesse, aggravée par la nostalgie d’un succès, d’une renommée qui tardent à venir. D’où l’autre titre de cette même nouvelle, un peu longue (et qui n’a pas du tout le même rythme nerveux que les écrits de son compatriote Stefan Zweig) : Histoire d’un poète âgé…

    Il est évident que l’auteur du Chemin de la liberté (Der Weg ins Freie) a été obsédé par son devenir d’écrivain et par une réflexion assez angoissée sur la fugacité des choses de ce monde, et notamment la gloire qui s’attache ou ne s’attache pas au nom d’un artiste, d’un créateur, d’un romancier ou d’un poète. Et là, nous entrons dans le cœur de cette vie que nous conte Schnitzler : un homme, partagé entre deux existences, celle d’un fonctionnaire menant une vie bien réglée, avec une sécurité de l’emploi, et celle d’un créateur, d’un poète, qui avait commis dans ses années de jeunesse un recueil de poèmes, passé pratiquement inaperçu. Des décennies durant, cet homme, le fameux Monsieur Saxberger, n’a plus jamais rien écrit, pas un poème, pas une ligne… Comme il habite seul dans une petite chambre, pratiquement sans vie sociale, il lui arrive de jeter un regard rétrospectif sur toutes ces années au cours desquelles il a vainement attendu un signe de reconnaissance de la part de ses contemporains, englués dans la routine quotidienne et peu sensibles à la poésie.

    Dans ce milieu de philistins de la culture, cet homme attend, il attend vainement qu’on le remarque, qu’on reconnaisse son génie qu’il est convaincu d’avoir illustré jadis dans ce petit recueil intitulé Promenades. Mais la gloire, même fugitive, tarde à venir. L’homme le dit lui-même, il rêve, il a passé son temps à rêver sa vie au lieu de la vivre et de prendre les choses comme elles venaient.. Il se sent oublié, comme si la vie ne lui avait rien apporté, lui qui croit fermement en sa différence par rapport à ses contemporains.

    Il lui arrive même d’exprimer l’interrogation suivante : sait-on qui je suis ? C’est donc un auteur qui se croit méconnu, victime de l’indifférence de ses contemporains, s’imaginant vivre dans univers dont il serait le seul occupant. Quand un jour…

    Rentrant chez lui après une journée triste et morne comme toutes les précédentes, on lui annonce qu’un jeune Monsieur (nous sommes à Vienne où les titres, le savoir-vivre, l’élégance et la délicatesse ont une importance cardinale) l’attend dans sa chambre pour lui parler de ce recueil de poèmes que son auteur croyait oublié de tous.

    Schnitzler insiste sur l’obséquiosité du jeune homme pour mieux marquer le revirement, la chute à l’avant-dernière page du livre. Là aussi, on perçoit nettement l’opposition entre la vieillesse du poète rentré et la jeunesse de ce visiteur et admirateur. Ce dernier veut introduire ce poète qu’il juge génial dans un cénacle composé de jeunes gens qui se piquent de poésie et qui, eux aussi, se croient méconnus par le milieu ambiant.

    Saxberger ne parvient pas à y croire : enfin un peu de considération, de gloire, très tardive, certes, mais tout de même, bien visible dans les propos dithyrambiques et le regard brillant de ce jeune homme. De nouveau, c’est la jeunesse qui rend hommage vibrant ( mais est il sincère ?) à l’âge. Le vieil homme n’hésite pas longtemps avant d’accepter l’invitation à rejoindre les membres du cénacle. Quand il fait leur connaissance, c’est la révélation : les jeunes n’en reviennent pas d’avoir à leurs côtés celui qu’ils considèrent comme le plus grand poète de sa génération. Chemin faisant, Schnitzler s’inspire des piliers des cafés viennois de son époque, entre autres Peter Altenberg… On a droit à des descriptions assez ironiques des confrères ou collègues de Schnitzler.

    Au terme de cette première rencontre avec les membres de ce cénacle qui se nomme, en toute modestie, Exaltation, l’enthousiasme est général ; et au moment où le vieil homme veut se retirer, c’est tout le groupe qui se propose de lui faire cortège. Quel honneur ! Les jeunes attendent que leur idole se montre à la fenêtre pour lui crier trois ou quatre fois ; Hourra !

    Petit à petit, le vieux monsieur devient un habitué des rencontres nocturnes de cénacle. Mais de l’ombre se glisse progressivement dans le tableau. Leur comportement change, certains signes de familiarité font leur apparition, les jeunes accompagnent encore le vieil homme chez lui, mais cette fois-ci pas de hourra et ils n’attendent même plus qu’il se montre à la fenêtre…

    Il y a un personnage féminin auquel Schnitzler accorde une certaine importance. Selon les spécialistes dont je ne suis pas, ce serait une maîtresse de l’auteur qui aurait inspiré ce personnage, assez imbue d’elle-même et qui se pique d’être une comédienne. Visiblement, cette femme semble avoir obsédé l’auteur puisqu’il consent à ce qu’elle soit sa récitante, celle qui va, lors d’une grande soirée littéraire, dire deux ou trois de ses poèmes. Un hommage qu’il attendait depuis si longtemps.

    Cette soirée littéraire dont il semble être la vedette incontestée, promet d’être le tournant de sa vie, enfin un peu de considération, des applaudissements qu’il attend depuis plus de trente ans, au point d’en désespérer à tout jamais. Ici, Schnitzler n’a eu qu’à dépeindre les réactions épidermiques de ses collègues viennois qui se vexaient ou s’emportaient pour un rien… Mais le pire est à venir.

    Alors que la salle se lance dans un crépitement d’applaudissements, une voix, derrière le vieux Saxberger prononce cette phrase traumatisante pour l’auteur : Quel pauvre diable ! Cette déclaration glace le sang du vieux poète qui en parle sur des pages et se demande ce qui a bien pu provoquer une telle remarque. Là encore, Schnitzler s’en prend à la susceptibilité maladive de ses collègues écrivains ; la moindre remarque les blesse au plus profond d’eux-mêmes…

    Mais le pire est à venir ; les jeunes qui se font des illusions sur tout ce qu’ils entreprennent, s’attendaient à ce que la presse leur fasse un triomphe, or l’écrasante majorité des feuilletons les ignore et le seul à les mentionner le fait dans un style très offensant : il parle du moût qui tardera à se transformer en vin capiteux (verbatim).

    Le vieil homme qui pensait naïvement que cette soirée littéraire allait lui apporter la fortune et la gloire va sombrer dans une dépression absolument inattendue : l’un des plus jeunes membres du cénacle l’accompagne sur le chemin de la maison, mais il est tellement discret que le poète-fonctionnaire ne s’aperçoit que très tardivement de sa présence… Et le jeune homme demande à celui qu’il vénère, la chose suivante : pensez vous que j’ai du talent ? Ai je l’étoffe d’un poète ? Schnitzler a placé cet échange poignant à la toute dernière page de ce livre. Pour quelle raison ? Pour montrer l’hypocrisie et la haine que les gens se vouent.

    Le jeune homme confesse qu’aucun membre du cénacle, y compris lui-même, n’a jamais lu Promenades…

    On imagine la réaction du vieil homme ; son univers s‘effondre, ensevelissant tous ses espoirs. il se rend compte que la jeunesse n’est pas gage de pureté et d’innocence et qu’il a été victime d’une mystification intégrale. On s’est servi de lui de manière éhontée, flattant sa vanité de poète méconnu, pour se lancer soi-même dans le monde de la littérature.

    C’est un tableau assez pessimiste mais qui reflète un peu aussi la réalité. Sic transit gloria mundi.