Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Vu de la place Victor-Hugo - Page 233

  • De la résilience dans la tradition juive : Le jour de la Shoah, le jour du souvenir, le jour de l’indépendance…

                     De la résilience dans la tradition juive :

    Le jour de la Shoah, le jour du souvenir, le jour de l’indépendance…

    Ce texte m’a été soufflé, pour ainsi dire, par une réflexion émue sur les commémorations célébrées ces derniers jours au sein de l’Etat d’Israël. Cérémonies très émouvantes magnifiquement diffusées par la télévision I24News dont le siège se trouve dans le port de Jaffa.

    Je me suis posé la question de l’ordre dans lequel les trois journées marquantes indiquées dans le titre sont célébrées. Et ma réflexion a abouti à montrer que même les Israéliens les plus laïcs n’en demeurent pas moins très attachés à leur tradition religieuse originelle, en l’occurrence la Bible hébraïque et le Talmud, présenté comme la quintessence de l’effort exégétique multiséculaire des Sages. Qu’ils en soient ou non conscients, leurs racines s’imposent à leur esprit quand il s’agit de prendre de grandes décisions.

    Lire la suite

  • L'islamophobie, und discours victimaire?

    Philippe d’Iribarne, Islamophobie. Intoxication idéologique, Albin Michel, 2019

     

    Directeur de recherches au CNRS, ce qui lui confère un incontestable label de sérieux et de qualité, l’auteur de cet ouvrage, si solidement documenté, s’attaque à un sujet qui occupe la plume et l’esprit des journalistes et des chroniqueurs depuis au moins les attentats du 11 septembre…

     

    Pour l’auteur, qui affiche ses convictions autant que ses intentions dès la page de garde, il s’agit de dénoncer un fait imaginaire qui n’existe que dans l’imagination victimaire de certains… On lit intoxication idéologique, mais aussi en blanc sur fond rouge la mention suivante : Anatomie d’une imposture. Nous voilà prévenus, nous savons à quoi nous attendre : selon l’auteur qui a effectué un véritable travail de recherche, puisant tant à des sources nationales (think tank, assemblée nationale, fondations diverses) qu’internationales (ONU, Conseil de l’Europe, parlement britannique, etc).

     

    L’auteur avance, étendard déployé devant lui et ne mâche pas ses mots : l’islam et les musulmans se disent victimes d’un mal qui n’existe pas, et qui, lorsque sa présence est avérée, reflète les réactions des citoyens de l’Occident réagissant à une tentative d’islamisation du pays. Tout est passé au crible : le foulard islamique, la discrimination à l’embauche, les préjugés des recruteurs et des employeurs, les persécutions les plus fantaisistes, bref tout le registre qui explique (que ce soit vrai ou faux) pourquoi le monde occidental résiste à l’imposition d’un ordre social, aux antipodes de sa philosophie politique et de ses valeurs morales.

     

    Ce livre va susciter bien des réactions tant enthousiastes que franchement hostiles. Je cite en exemple le titre d’un des chapitres les plus denses de l’ouvrage : Occidentaux diabolisés et musulmans idéalisés.

     

    Le discours victimaire, jugé ainsi par l’auteur, est récusé par lui qui estime qu’on ne tient pas assez compte de la situation sociale concrète, telle qu’elle existe dans ce que l’on nomme les quartiers. Il cite même les déclarations d’un ancien ministre de l’intérieur qui, avant de quitter son poste, a lancé des cris d’alarme très inquiétants : il a parlé de la nécessité d’une reconquête de certains territoires où des fondamentalistes imposent leur loi à leurs coreligionnaires.

     

    En fait, nous nous trouvons au sein d’un débat philosophico-religieux dont on peine à saisir les éléments fondamentaux. Quels sont les joueurs, les forces agissantes ? On n’en a qu’une connaissance superficielle. Voici un exemple : les historiens des religions, les spécialistes de la science des religions comparées (deux disciplines traditionnellement plus fortes et plus développées en Allemagne qu’en France) parviennent à définir l’essence véritable de deux religions monothéistes sur… trois ! Que cela corresponde ou non à la réalité vécue, il est généralement admis que le judaïsme est considéré comme la religion de la loi, de la lettre littérale (sic), le christianisme comme la religion de l’amour et du pardon, tandis que pour l’islam nous ne disposons pas de ce type de caractéristiques.

     

    En effet, s’il est permis de poser la question, sans arrière-pensée polémique : quelle est donc l’essence de l’islam ? Cette interrogation demeurée sans réponse gît au fondement du problème.

     

    Est ce un reproche, une critique ? Non point. On note simplement une inadéquation à entrer dans les schémas mentaux, les moules idéologiques de l’Occident judéo-chrétien. Et c’est là que s’originent tous nos problèmes d’acceptation, d’intégration ou d’assimilation. Judaïsme et christianisme dérivent de la même source, en dépit de deux millénaires de sanglantes persécutions. Ils prennent leur source dans la littérature biblique dont la version chrétienne a irrigué toute l’Europe faisant de celle-ci plus une culture qu’un continent.

     

    En histoire des religions, cela s’appelle le judéo-christianisme, même si nous ignorons les données précises de ce mélange, de cette mixture. On relève simplement que sous l’impulsion de l’Apôtre Paul, le volet juridico-légal, la législation, le corpus juri a disparu. C’est ce qu’ l’on nomme l’antinomisme paulinien, selon lequel Jésus s’est sacrifié pour tous les hommes, son sang les a lavés de toute souillure et dans ce cas, plus besoin de lois. C’est, en gros, l’énergique leçon que Paul administre aux Galates qui remirent la circoncision à l’ordre du jour… L’Apôtre clame sa déception : on ne retombe pas dans la chair une fois qu’on a goûté au spirituel.

     

    En ce qui concerne l’islam et les musulmans, les observateurs extérieurs commettent souvent une confusion en assimilant les trois piliers de cette religion : prière, jeune, aumône, à l’essence de cette religion. En outre, il faudrait s’entendre sur le champ sémantique du terme religion… Juifs et chrétiens d’une part, et musulmans de l’autre, ne placent les mêmes notions derrière ce concept.

     

    La Bible hébraïque qui sert de matrice aux Evangiles parvient (laborieusement) à faire le départ entre le spirituel et le temporel. Mais la monarchie reste une monarchie de droit divin (Saül, David, Salomon, etc…) C’est le prophète, l’envoyé de Dieu, qui oint d’une huile sacrée celui que le Seigneur a choisi. Mais après cela, les tâches sont nettement séparées : au roi, les affaires civiles, au prophète, le rôle de voyant et de superviseur. Mais voilà : ici aussi les affaires civiles ont une certaine coloration religieuse. Et si Juifs et chrétiens ont réussi à faire le départ entre ces deux ordres, l’islam, lui, n’y consent pas et ne parvient pas à concevoir l’idée de laïcité. Pour lui, toute séparation entre ces deux règnes est arbitraire et ne doit pas avoir cours dans la cité musulmane…

     

    Or, l’épine dorsale de la culture et de la civilisation françaises (l’art de vivre français) est justement constitué par cette séparation vécue comme un déchirement par celles et ceux qui défendent un certain port vestimentaire qui signe leurs origines et leurs croyances religieuses. En dépit d’une législation ad hoc adoptée par le corps législatif.

     

    Tout en n’ignorant pas les grands mérites de la laïcité, notamment en ce qui concerne le vivre ensemble, Il faut bien admettre que la France est l’un des rares pays à penser ainsi : les Allemands ne le font pas, les Britanniques ne le font pas non plus, ni d’ailleurs, les Américains. Mais voilà la France a le droit d’adopter le mode de vie qu’elle veut et tous les sondages montrent, sans le moindre doute, que les citoyens français sont très attachés à une chose : quand on vit chez eux, on vit comme eux, A Rome comme les Romains…

     

    L’interrogation qui sous-tend tout l’édifice dont nous parlons, est la suivante : il y a une compatibilité entre l’identité juive ou chrétienne et la culture européenne. En est il de même en Islam ?

     

    La femme musulmane qui s’estime discriminée quand on lui interdit un certain port vestimentaire sur la voie publique devrait aussi faire un effort et comprendre que son attitude la place en marge de la société. De son côté, la majorité de la population, si l’on en croit les sondages, fait de la conformité à ses mœurs une exigence quasi absolue. Quand on fait valoir les valeurs de la société française ou européenne, les personnes concernées ou rappelées à l’ordre tiennent alors un discours victimaire qui ne fait qu’aggraver l’incompréhension, la majorité de la population déclare ne pas comprendre une telle réaction.

     

    Bien pire encore : la population autochtone reproche alors aux musulmans non seulement de refuser de s’intégrer mais d’ériger une contresociété arcboutée sur des valeurs islamiques. Toutes ces incompréhensions, mises bout à bout, ont provoqué des effets contre productifs, comme dans le cas suivant : dans certaines banlieues, des musulmanes attachées à leurs traditions religieuses ou parareligieuses ont déploré le départ de groupes entiers et non musulmans, au point que ces derniers se sont retrouvés entre eux… L’ordre social nouveau excluait bien des commerces et des divertissements que ces mêmes personnes regrettaient ensuite.

     

    Que faire pour remédier enfin à cette situation qui risque de conduire à des explosions ? Il faut procéder à une réévaluation honnête des rencontres entre l’islam et l’Occident : comment expliquer ou justifier les croisades, la reconquista et la colonisation ? Des terroristes comme Ben Laden ont eu beau jeu d’exalter le discours victimaire d’un islam bafoué, rejeté, discriminé et stigmatisé.

     

    L’auteur de cet ouvrage que je recense ici relève justement que les aspects spirituels de l’islam font bonne impression sur la population française. Il s’agit de deux idées présentes aussi dans les autres monothéismes : le jeûne et la prière. Mais ces deux notions excluent tout ordre social islamique, toute coercition de nature religieuse. L’une des solutions à ce conflit larvé serait de mettre en avant ces deux aspects spirituels, de nature à fortifier un humanisme coranique comme il existe un humanisme biblique et évangélique.. Monsieur D’Iribarne cite quelques hautes personnalités musulmanes, qui surent allier leur fidélité à la religion avec leur patriotisme français. Notamment Malek Chebel et Abd al-wahab Meddeb, deux éminents collègues, prématurément disparus, hélas.

     

    Certains chrétiens d’Orient qui eurent à subir les horreurs de l’Etat islamique préconisent une triple approche permettant à la religion musulmane de ressembler aux deux autres branches du tronc monothéiste : accepter une stricte égalité entre l’homme et la femme ; accepter la critique textuelle du Coran, et renoncer à tout exclusivisme religieux. En somme, parcourir le même chemin que l’Europe depuis le Siècle des Lumières.

     

    La religion est meilleure quand elle est éclairée par la philosophie, c’est l’antidote du fanatisme. Et au cours du Moyen Age, Al-Farabi, Avicenne et Averroès, sans oublier ibn Tufayl, l’ont démontré amplement. A t on eu les Lumières avant le Moyen Age ?

     

    Dans sa conclusion, l’auteur de ce livre fait preuve de modération et tout en insistant sur la fausse idée d’une islamophobie générale, propose aux musulmans de mettre l’accent sur ce qui les rapproche des autres au sein même de leur propre culte : la prière et le jeûne, les actes de contrition.

     

    Ces mêmes complaintes rappellent le fameux débat opposant Edward Saïd au professeur Bernard Lewis au sujet de l’orientalisme et du respect de l’islam, de ses valeurs culturelles et religieuses.

     

    Le XIXe siècle a connu une interminable question juive (Judenfrage) il ne faudrait pas que le XXIe siècle connaisse une Araber- ou Muslimfrage.

     

    Mais peut on dire que l’islmophobie n’existe pas du tout ? J’en doute, mais assurément elle n’est pas aussi présente ni aussi vivace que certains veulent nous le faire croire. Saluons ce livre qui nous apporte tant de points à verser au dossier.

     

     

     

     

    Philippe d’Iribarne, Islamophobie. Intoxication idéologique, Albin Michel, 2019

     

    Directeur de recherches au CNRS, ce qui lui confère un incontestable label de sérieux et de qualité, l’auteur de cet ouvrage, si solidement documenté, s’attaque à un sujet qui occupe la plume et l’esprit des journalistes et des chroniqueurs depuis au moins les attentats du 11 septembre…

     

    Pour l’auteur, qui affiche ses convictions autant que ses intentions dès la page de garde, il s’agit de dénoncer un fait imaginaire qui n’existe que dans l’imagination victimaire de certains… On lit intoxication idéologique, mais aussi en blanc sur fond rouge la mention suivante : Anatomie d’une imposture. Nous voilà prévenus, nous savons à quoi nous attendre : selon l’auteur qui a effectué un véritable travail de recherche, puisant tant à des sources nationales (think tank, assemblée nationale, fondations diverses) qu’internationales (ONU, Conseil de l’Europe, parlement britannique, etc).

     

    L’auteur avance, étendard déployé devant lui et ne mâche pas ses mots : l’islam et les musulmans se disent victimes d’un mal qui n’existe pas, et qui, lorsque sa présence est avérée, reflète les réactions des citoyens de l’Occident réagissant à une tentative d’islamisation du pays. Tout est passé au crible : le foulard islamique, la discrimination à l’embauche, les préjugés des recruteurs et des employeurs, les persécutions les plus fantaisistes, bref tout le registre qui explique (que ce soit vrai ou faux) pourquoi le monde occidental résiste à l’imposition d’un ordre social, aux antipodes de sa philosophie politique et de ses valeurs morales.

     

    Ce livre va susciter bien des réactions tant enthousiastes que franchement hostiles. Je cite en exemple le titre d’un des chapitres les plus denses de l’ouvrage : Occidentaux diabolisés et musulmans idéalisés.

     

    Le discours victimaire, jugé ainsi par l’auteur, est récusé par lui qui estime qu’on ne tient pas assez compte de la situation sociale concrète, telle qu’elle existe dans ce que l’on nomme les quartiers. Il cite même les déclarations d’un ancien ministre de l’intérieur qui, avant de quitter son poste, a lancé des cris d’alarme très inquiétants : il a parlé de la nécessité d’une reconquête de certains territoires où des fondamentalistes imposent leur loi à leurs coreligionnaires.

     

    En fait, nous nous trouvons au sein d’un débat philosophico-religieux dont on peine à saisir les éléments fondamentaux. Quels sont les joueurs, les forces agissantes ? On n’en a qu’une connaissance superficielle. Voici un exemple : les historiens des religions, les spécialistes de la science des religions comparées (deux disciplines traditionnellement plus fortes et plus développées en Allemagne qu’en France) parviennent à définir l’essence véritable de deux religions monothéistes sur… trois ! Que cela corresponde ou non à la réalité vécue, il est généralement admis que le judaïsme est considéré comme la religion de la loi, de la lettre littérale (sic), le christianisme comme la religion de l’amour et du pardon, tandis que pour l’islam nous ne disposons pas de ce type de caractéristiques.

     

    En effet, s’il est permis de poser la question, sans arrière-pensée polémique : quelle est donc l’essence de l’islam ? Cette interrogation demeurée sans réponse gît au fondement du problème.

     

    Est ce un reproche, une critique ? Non point. On note simplement une inadéquation à entrer dans les schémas mentaux, les moules idéologiques de l’Occident judéo-chrétien. Et c’est là que s’originent tous nos problèmes d’acceptation, d’intégration ou d’assimilation. Judaïsme et christianisme dérivent de la même source, en dépit de deux millénaires de sanglantes persécutions. Ils prennent leur source dans la littérature biblique dont la version chrétienne a irrigué toute l’Europe faisant de celle-ci plus une culture qu’un continent.

     

    En histoire des religions, cela s’appelle le judéo-christianisme, même si nous ignorons les données précises de ce mélange, de cette mixture. On relève simplement que sous l’impulsion de l’Apôtre Paul, le volet juridico-légal, la législation, le corpus juri a disparu. C’est ce qu’ l’on nomme l’antinomisme paulinien, selon lequel Jésus s’est sacrifié pour tous les hommes, son sang les a lavés de toute souillure et dans ce cas, plus besoin de lois. C’est, en gros, l’énergique leçon que Paul administre aux Galates qui remirent la circoncision à l’ordre du jour… L’Apôtre clame sa déception : on ne retombe pas dans la chair une fois qu’on a goûté au spirituel.

     

    En ce qui concerne l’islam et les musulmans, les observateurs extérieurs commettent souvent une confusion en assimilant les trois piliers de cette religion : prière, jeune, aumône, à l’essence de cette religion. En outre, il faudrait s’entendre sur le champ sémantique du terme religion… Juifs et chrétiens d’une part, et musulmans de l’autre, ne placent les mêmes notions derrière ce concept.

     

    La Bible hébraïque qui sert de matrice aux Evangiles parvient (laborieusement) à faire le départ entre le spirituel et le temporel. Mais la monarchie reste une monarchie de droit divin (Saül, David, Salomon, etc…) C’est le prophète, l’envoyé de Dieu, qui oint d’une huile sacrée celui que le Seigneur a choisi. Mais après cela, les tâches sont nettement séparées : au roi, les affaires civiles, au prophète, le rôle de voyant et de superviseur. Mais voilà : ici aussi les affaires civiles ont une certaine coloration religieuse. Et si Juifs et chrétiens ont réussi à faire le départ entre ces deux ordres, l’islam, lui, n’y consent pas et ne parvient pas à concevoir l’idée de laïcité. Pour lui, toute séparation entre ces deux règnes est arbitraire et ne doit pas avoir cours dans la cité musulmane…

     

    Or, l’épine dorsale de la culture et de la civilisation françaises (l’art de vivre français) est justement constitué par cette séparation vécue comme un déchirement par celles et ceux qui défendent un certain port vestimentaire qui signe leurs origines et leurs croyances religieuses. En dépit d’une législation ad hoc adoptée par le corps législatif.

     

    Tout en n’ignorant pas les grands mérites de la laïcité, notamment en ce qui concerne le vivre ensemble, Il faut bien admettre que la France est l’un des rares pays à penser ainsi : les Allemands ne le font pas, les Britanniques ne le font pas non plus, ni d’ailleurs, les Américains. Mais voilà la France a le droit d’adopter le mode de vie qu’elle veut et tous les sondages montrent, sans le moindre doute, que les citoyens français sont très attachés à une chose : quand on vit chez eux, on vit comme eux, A Rome comme les Romains…

     

    L’interrogation qui sous-tend tout l’édifice dont nous parlons, est la suivante : il y a une compatibilité entre l’identité juive ou chrétienne et la culture européenne. En est il de même en Islam ?

     

    La femme musulmane qui s’estime discriminée quand on lui interdit un certain port vestimentaire sur la voie publique devrait aussi faire un effort et comprendre que son attitude la place en marge de la société. De son côté, la majorité de la population, si l’on en croit les sondages, fait de la conformité à ses mœurs une exigence quasi absolue. Quand on fait valoir les valeurs de la société française ou européenne, les personnes concernées ou rappelées à l’ordre tiennent alors un discours victimaire qui ne fait qu’aggraver l’incompréhension, la majorité de la population déclare ne pas comprendre une telle réaction.

     

    Bien pire encore : la population autochtone reproche alors aux musulmans non seulement de refuser de s’intégrer mais d’ériger une contresociété arcboutée sur des valeurs islamiques. Toutes ces incompréhensions, mises bout à bout, ont provoqué des effets contre productifs, comme dans le cas suivant : dans certaines banlieues, des musulmanes attachées à leurs traditions religieuses ou parareligieuses ont déploré le départ de groupes entiers et non musulmans, au point que ces derniers se sont retrouvés entre eux… L’ordre social nouveau excluait bien des commerces et des divertissements que ces mêmes personnes regrettaient ensuite.

     

    Que faire pour remédier enfin à cette situation qui risque de conduire à des explosions ? Il faut procéder à une réévaluation honnête des rencontres entre l’islam et l’Occident : comment expliquer ou justifier les croisades, la reconquista et la colonisation ? Des terroristes comme Ben Laden ont eu beau jeu d’exalter le discours victimaire d’un islam bafoué, rejeté, discriminé et stigmatisé.

     

    L’auteur de cet ouvrage que je recense ici relève justement que les aspects spirituels de l’islam font bonne impression sur la population française. Il s’agit de deux idées présentes aussi dans les autres monothéismes : le jeûne et la prière. Mais ces deux notions excluent tout ordre social islamique, toute coercition de nature religieuse. L’une des solutions à ce conflit larvé serait de mettre en avant ces deux aspects spirituels, de nature à fortifier un humanisme coranique comme il existe un humanisme biblique et évangélique.. Monsieur D’Iribarne cite quelques hautes personnalités musulmanes, qui surent allier leur fidélité à la religion avec leur patriotisme français. Notamment Malek Chebel et Abd al-wahab Meddeb, deux éminents collègues, prématurément disparus, hélas.

     

    Certains chrétiens d’Orient qui eurent à subir les horreurs de l’Etat islamique préconisent une triple approche permettant à la religion musulmane de ressembler aux deux autres branches du tronc monothéiste : accepter une stricte égalité entre l’homme et la femme ; accepter la critique textuelle du Coran, et renoncer à tout exclusivisme religieux. En somme, parcourir le même chemin que l’Europe depuis le Siècle des Lumières.

     

    La religion est meilleure quand elle est éclairée par la philosophie, c’est l’antidote du fanatisme. Et au cours du Moyen Age, Al-Farabi, Avicenne et Averroès, sans oublier ibn Tufayl, l’ont démontré amplement. A t on eu les Lumières avant le Moyen Age ?

     

    Dans sa conclusion, l’auteur de ce livre fait preuve de modération et tout en insistant sur la fausse idée d’une islamophobie générale, propose aux musulmans de mettre l’accent sur ce qui les rapproche des autres au sein même de leur propre culte : la prière et le jeûne, les actes de contrition.

     

    Ces mêmes complaintes rappellent le fameux débat opposant Edward Saïd au professeur Bernard Lewis au sujet de l’orientalisme et du respect de l’islam, de ses valeurs culturelles et religieuses.

     

    Le XIXe siècle a connu une interminable question juive (Judenfrage) il ne faudrait pas que le XXIe siècle connaisse une Araber- ou Muslimfrage.

     

    Mais peut on dire que l’islmophobie n’existe pas du tout ? J’en doute, mais assurément elle n’est pas aussi présente ni aussi vivace que certains veulent nous le faire croire. Saluons ce livre qui nous apporte tant de points à verser au dossier.

     

     

     

     

  • Sur L'erreur et l'orgueil de Roger Scruton

    Roger Scruton : L’erreur et l’orgueil / Penseurs de la gauche moderne. Editions L’artilleur, 2019

     

    En fait, cet important ouvrage écrit par un auteur qui a eu du mal à imposer ses idées allant à contre-courant du politiquement correct, se résume à une seule question à laquelle il répond de manière très tranchée par la négative : La gauche a t elle l’apanage exclusif de la vie intellectuelle ? Pourquoi toute idée ou personnalité de droite est automatiquement considérée comme un pestiféré ou un déviant condamnable ? D’ailleurs, ce volumineux ouvrage se clôt avec un long chapitre intitulé : Quest-ce que la droite ?

     

    C’est donc à une talentueuse déconstruction de ce système bâtie par la pensée politique de gauche que se livre Roger Scruton qui affirme lui-même, dans les pages introductives de son livre, avoir été la cible d’intimidations et de calomnies de la part de ses adversaires idéologiques. Il évoque même des pressions exercées sur son éditeur afin de torpiller ses propres publications, faute de quoi sa maison d’édition serait ostracisée…

     

    Il est vrai que sur près de cinq cents pages Scruton démolit patiemment et consciencieusement les la plupart des thèses des économistes, des sociologues et des philosophes de la gauche ; il n’épargne personne ni aux USA, ni au Royaume Uni, ni même en Italie et en France où Sartre et Foucault, sans oublier Deleuze , Lacan et Simonne de Beauvoir sont soumis à rude épreuve.

     

    Scruton commence par poser une question : Qu’est ce que la Gauche ? Voici une partie de sa réponse : … «la justice sociale» est un objectif d’une importance si prépondérante, si incontestablement supérieure aux intérêts établis qui vont à son encontre, qu’elle purifie toute action faite en son nom. (p 19). Deux thèmes majeurs sont à l’affiche : l’émancipation et la justice sociale qui ont été bureaucratisées par la gauche qui s’en sert pour séduire ses adeptes et réduire au silence ses adversaires. Et pour y parvenir, la gauche se sert de la novlangue qui organise une sorte de système binaire où la classe ouvrière qui n’a rien d’autre à offrir que sa capacité de travail est opposée à son irréductible ennemi, la bourgeoisie qui dispose du capital et qui affirme son hégémonie sur la société grâce à son contrôle des moyens de production… Elle sait aussi exercer une influence intéressée sur la superstructure en se servant de l’infrastructure. Et cette ruse met à mal la thèse marxiste du matérialisme historique puisque l’esprit, l’intellect agit victorieusement sur les choses qu’il détermine dans un sens qui lui est favorable.

     

    Scruton va reprocher à tous ces intellectuels de gauche qui ont lourdement pesé sur l’idéologie de notre temps, de tout contester, tout remettre en question afin de soumettre le réel à leur idéologie. Il va même jusqu’à citer la célèbre formule de Méphistophélès dans le Faust de Goethe : Je suis l’esprit qui toujours nie… Scruton parle de négativité fondamentale.

     

    Pourtant, on ne peut pas s’élever contre une telle distorsion de la réalité et de la vie, car les crimes commis par la gauche ne sont pas considérés comme tels et on trouve toujours de bonnes raisons de les excuser. Et de citer le cas emblématique de David Irving, le célèbre négationniste de la Shoah. C’est le marxisme qui se livre opportunément à l’invention du passé et qui ne parle jamais d’hommes ou de femmes, mais de forces, de classes et des ismes. La lutte des classes est presque devenue un dogme de la théologie marxiste : l’ouvrier doit voir en son employeur ou patron l’ennemi juré dont les intérêts sont radicalement opposés aux siens ; quant à l’intellectuel, il doit se ranger aux côtés de celui qui est exploité par le capital et marquer sa solidarité avec ses luttes pour démanteler l’économie capitaliste. C’est un douloureux tête à tête entre l’argent, d’une part, et les cerveaux, de l’autre.

    Mais la doxa marxiste semble être restée la même depuis le XIXe siècle livrant l’image d’un entrepreneur impitoyable, obnubilé par son seul profit et soumettant le salarié qui ne peut pas refuser ce qu’on lui impose. Scruton épingle même des sommités comme Galbraith et Dworkin qui ont favorisé en Amérique l’émergence d’un «establishment de gauche belliqueux.». Voici la conclusion de ce chapitre sur les USA et le Royaume Uni : Malgré toute leur ingéniosité, ils ont laissé, là où ils les ont trouvées, les questions intellectuelles véritables, ce qui est tout de même un jugement par trop tranché…

     

    Le chapitre suivant consacré à Sartre et à Foucault n’est guère plus tendre. En page 171, l’auteur rappelle que Sartre avait légitimé en quelque sorte le meurtre des sportifs israéliens à Munich en 1972, ce qui n’avait pas manqué de troubler nombre de ses lecteurs ou adeptes. En 1982, un volume intitulé Le testament de Sartre fut publié, reprenant de tels débordements de l’auteur. Scruton parle d’orgueil lorsque Sartre décida de refuser le Prix Nobel qui lui fut décerné. Mais en dépit de toutes ces critiques, Scruton reconnaît les mérites de ce grand penseur du XXe siècle.

     

    La transition menant vers Michel Foucault était toute trouvée. Scruton le place en tête de la génération suivante : philosophe social et historien des idées qui reprit le flambeau de la rhétorique antibourgeoise de Sartre et en fit un élément fondamental des programmes scolaires, d’abord en France, puis dans le reste du monde, notamment en Amérique. (p 178)

     

    Foucault a marqué aussi son temps par cette question cruciale qui a contribué à lui gagner bien des lecteurs et des adeptes : D’où parles tu ? C’est la phrase qui est à la racine de sa quête des structures secrètes du pouvoir. A ses yeux, un même principe directeur régit les structures de la vie sociale : … Quoi d’étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux, qui tous ressemblent aux prisons. Derrière toutes ces institutions, Foucault recherche ce noyau de pouvoir caché… (p 193) Mais Scruton n’accepte pas de voir la réalité subordonnée à la pensée. C’est un peu sa ligne directrice dans ce livre intitulé L’erreur et l’orgueil. Foucault subodore dans le moindre acte de nature sociale la marque de la domination bourgeoise.

     

    Les penseurs à la mode outre-Rhin ne sont pas oubliés, notamment Théodore Wiesengrund Adorno et Jürgen Habermas. Adorno tente de comprendre l’utopie par l’art et il critique aussi vertement la culture de masse qui contribue à l’asservissement de l’individu. Cette lutte contre les idoles modernes prend sa source, selon Scruton, dans la Torah qui commande de bannir toutes sortes d’idoles. Mais Scruton précise bien que le philosophe (d’origine juive) ne s’est jamais donné la peine d’étudier les documents révélés du judaïsme.

     

    En ce qui concerne Habermas et quelques autres, abordés un peu plus loin, Scruton dénonce un langage prisonnier d’un jargon dénué de sens. C’est peut-être un peu dur, voire même injuste mais cela arrive souvent : le panorama exploré dans ce chapitre nous a permis d’assister à un remarquable travail d’annihilation (p 269).

     

    Des auteurs à la mode ne comprennent probablement pas eux-mêmes ce qu’ils font lire aux autres… Et ils les enferment dans un concept à usage multiple, la bourgeoisie, qui fait figure d’ennemi social sempiternel.

     

    Le chapitre suivant augure bien de son contenu : Non-sens à Paris : Althusser, Lacan et Deleuze. Pour l’auteur, tous ces intellectuels brillent par une production idéologique en faveur des ouvriers au moment même où cette classe sociale est en train de disparaître. Inutile de revenir sur le rôle majeur et par la suite la fin tragique d’Althusser dont l’idée majeure était que le but ultime de toute entreprise intellectuelle était la révolution.. Scruton a beau jeu de produire certaines citations de tous ces intellectuels de gauche qui ne voulaient absolument rien dire et qui sont même incompréhensibles pour des esprits normalement constitués. Le meilleur exemple nous est livré par Staline en personne, qui, il est vrai, n’était pas vraiment un intellectuel : Les théories de Marx sont vraies parce qu’elles sont exactes… (p 345) Pour dénoncer de telles escroqueries intellectuelles, Scruton parle de machine à non sens.

     

    L’auteur reconnaît que ce travail de dénonciation est très vaste et qu’il ne peut l’entreprendre que dans une mesure très limitée. Tant l’emprise sur les esprits est forte et bien enracinée.

     

    Dans ce livre, l’auteur veut montrer que la gauche a lancé une véritable OPA sur l’esprit des intellectuels occidentaux au point qu’aucun d’entre eux ne pouvait se défaire de cette emprise sans risquer de perdre son statut de philosophe ou de penseur. Cette gauche a pris possession de la culture, excluant quiconque osait contester ses valeurs issues d’une certaine interprétation (biaisée) de l’Histoire.

     

    Dans les dernières pages de l’ouvrage ici présenté, l’auteur résume ce qu’il a développé tout au long de son enquête. Redonnons lui la parole : Nous ne savons rien de l’avenir socliaste, si ce n’est qu’il est à la fois nécessaire et attrayant. Notre préoccupation première est l’argumentation «convaincante» contre le présent, qui nous amène à détruire ce que nous ne pouvons remplacer, par méconnaissance. (p 465).

     

    Scruton n’admet pas la négativité de la gauche intellectuelle mais que devrait faire la droite pour agir contre ce pessimisme de la culture, même si la période historique envisagée n’est pas la même… La réponse est : il faut sauver le langage de la politique, faire barrage à la novlangue. Mais bien au-delà de cela, le cœur du débat est de savoir comment ériger une société sans classes, contrairement au communisme qui prétend libérer la classe ouvrière en l’asservissant au régime du parti unique qui confond allégrement l’Etat et la société civile, bafoue les règles du droit et ne tolère aucun opposition. Mais n’est ce pas une utopie que de vouloir créer une telle société idéale ? Voici une citation de Kenneth Minogue : le ver de la domination réside au cœur de la nature humaine et la conclusion qui s’impose à nous est que toute tentative de renverser la domination… est une tentative de détruire l’humanité. (P 470)

     

    Toute l’histoire de la philosophie politique a consisté à remplacer le prix des chose par la valeur des choses.. Et cet itinéraire passe par la religion, l’art et la culture. Il faut aussi sauvegarder la démocratie représentative et le droit, deux principes que la gauche extrême ne préserve pas dans les démocraties dites populaire.

     

    Comment conclure ? Ce livre nous a beaucoup appris, il se soucie comme d’une guigne du politiquement correct. Il conteste légitimement une sorte de terrorisme intellectuel dont une certaine gauche, pas toute la gauche, s’est fait une spécialité…