Les deux corps du roi par Ernst Kantorowicz, juif de Posnanie (Les Belles Lettres)
Dans nos pays d’Europe et du monde civilisé, il n’existe pas une seule personne qui n’ait jamais entendu parler, au sujet de l’essence propre à chaque monarque, de cette différence majeure, entre l’aspect normal, banal et ordinaire d’un simple mortel qu’est le roi, et le corps sacré, l’entité charismatique ; elle échappe à nos instruments de mesure et d’appréciation du roi, lequel semble provenir d’une région inaccessible au commun des mortels que nous sommes… D’où cette dissociation entre les deux corps du roi… Il y a là une sacralité dont l’auteur, E. Kantorowicz, a tant parlé dans sa biographie de ce monarque atypique que fut Frédéric II Hohenstaufen.
Les sociologues, les politologues, les anthropologues ont tous adopté cette différenciation établie par ce petit Juif autodidacte, originaire d’un petit patelin de Posnanie mais qui, à force de travail et de persévérance, a tout de même fini son existence dans la peau d’un éminent professeur de Princeton. Cette judéité se révéla être un véritable boulet. Ce Juif né dans l’aire culturelle germanique à laquelle, comme tant d’autres avant lui mais aussi après lui, a voulu devenir enfin un Allemand comme tous les autres, tout en étant et en restant l’adepte d’une autre religion … Vers la même époque, un autre Juif allemand, son exact contemporain, Gershom Scholem ne commettra pas ce leurre de soi-même et comprendra clairement que la socio-culture germanique n’était pas disposée à accueillir généreusement en son sein les fils et les filles d’une autre «tribu», celle d’Israël.