Joseph Roth, en reportage à travers la jeune URSS en 1926
Les éditions C.H. Beck de Munich ont eu l’excellente idée de commencer l’année 2015 par la publication, entre autres, d’un excellent petit volume contenant des articles rédigés par cet auteur judéo-autrichien presque oublié aujourd’hui, alors qu’il effectuait un voyage pour le compte du journal Frankfurter Zeitung en 1926 à travers la jeune URSS, moins de dix ans après la chute du régime tsariste et la victoire des Bolcheviques.
On sait qu’avec Arthur Schnitzler et Stefan Zweig dont j’ai maintes fois parlé dans ces colonnes, Joseph Roth fait partie d’un trio exceptionnel d’écrivains autrichiens dont l’œuvre a été abondamment traduite en français.
La question ukrainienne, déjà…
Cédant peut-être aux exigences de l’actualité présente, l’éditeur de ce livre, Jan Bürger, a commencé ce livre par un article consacré à l’Ukraine qui semble avoir été un thème à la mode dans le Berlin des années vingt. Le premier reportage parut dans la Neue Berliner Zeitung du 13 décembre 1920. Rappelons qu’en cette année là, le Reich wilhelmien n’existe plus depuis deux ans, que l’empereur Guillaume II a fui en Hollande où un exil lui fut offert et que la république de Weimar sort des limbes. Mais le plus grand changement est évidemment l’instauration du communisme en Russie et dans les états voisins pour former la nouvelle URSS. Ce sont tous ces changements, la mentalité de ses habitants, les transformations sociales et la NEP (Nouvelle politique économique) que Joseph Roth passe en revue dans ses articles.
Pour ce qui est de l’Ukraine, Roth parle même d’une Ukrainomanya à Berlin où l’on ne sait pas vraiment qui est ce peuple, quelles sont ses mœurs et sa spiritualité. Ce pays, situé entre le Caucase et les Carpates, est presque inconnu ici ; contrairement à la Russie dont d’anciens prisonniers allemands ont abondamment rendu compte, l’Ukraine, elle, reste entourée d’un halo de mystère, ce qui explique l’engouement que certains ressentent pour elle. Les habitants de Berlin se grisent de toutes ces opérettes pseudo-ukrainiennes, au point que toute musique ou tout refrain à la mode est automatiquement affublé d’Ukrainité. Et on y mêle aussi, pour faire bonne mesure, des éléments tatares, polonais et évidemment russes… Tout ceci s’explique par le fait que ce pays se trouve coincé entre la Pologne et la Russie qui estiment y avoir des droits. Décrivant le ballet Les souliers rouges, donné au Palais de glace de Berlin, Roth signale toutes les incohérences de la mise en scène : rien ne correspond à ce qui se présente comme typiquement ukrainien…