Emmanuel Macron face à une classe politique rétive aux changements
Lorsque E. Macron avait quitté l’Elysée sans être propulsé à la tête de je ne sais quel grand organisme public ou entreprise d’Etat, comme cela est généralement le cas, la classe politique française ne se doutait pas que François Hollande avait en tête une petite arrière-pensée aux conséquences majeures : organiser le retour en force du partant, sans tambour ni trompette, et lui donner le portefeuille ministériel d’un membre du gouvernement qui commençait à être très embarrassant pour la politique que le chef de l’Etat entendait mener désormais.
Si je commence cet éditorial pour cette remarque faussement anodine, c’est parce que cette nomination et les premières manifestations politiques du nouveau promu prouvent que le chef de l’Etat et ses plus proches conseillers n’ont dévoilé que le premier étage de la fusée Macron. Il ne faut pas être grand clerc ni subtil talmudiste pour comprendre que François Hollande, au terme de presque trois années, difficiles, voire ardues, de gouvernement, a réalisé qu’il fallait rajeunir l’exécutif et prendre le taureau par les cornes. C’est exactement ce que fait le nouveau ministre qui tient bien le choc et ne craint pas de dire urbi et orbi qu’on «ne gouverne pas à l’applaudimètre.» Traduisez en clair : l’impopularité ne nous dictera pas de changer de politique, surtout si cette même politique, temporairement impopulaire, ne tardera pas à donner des fruits…
Si l’on considère les premiers pas de ce jeune ministre et leur impact dans l’opinion, on relève que ceux qui ont suscité, voire inspiré sa nomination, ont fait preuve d’un grand flair politique. Le ministre de l’économie, nouveau venu en politique, est nettement plus populaire et plus apprécié que son collègue des finances, pourtant très expérimenté et plus rompu aux subtilisé de l’exercice du pouvoir. Plus personne n’évoque son passé de banquier, comme si exercer cette profession avait quelque chose d’infamant !
Les lois dites lois Macron semblent recueillir l’agrément des Français, si l’on en croit un sondage de ce samedi matin ; et notamment les mesures qui hérissent fortement une partie du PS, à savoir l’élargissement de l’activité salariale (le travail dominical et nocturne). En effet, les Français font enfin preuve de maturité politique, comprenant qu’on doit s’adapter aux situations et faire preuve de flexibilité. Et c’est ici qu’apparaît un fossé entre une classe politique attachée à des habitudes héritées du passé et un jeune ministre qui a les yeux fixés sur l’avenir. Les salariés français sont parmi les mieux protégés au monde mais certaines modifications s’imposent car elles sont porteuses de bienfaits qui ne tarderont pas, en principe, à se faire sentir.
Certes, il faut veiller à ce que certaines clauses de la loi soient effectivement respectées et préserver la vie familiale. Il ne faut pas que des femmes soient contraintes d’assumer un service dominical ou nocturne contre leur gré.
Par delà cet aspect humain, les lois Macron bousculent fort heureusement un certain nombre de rentes de situation, de privilèges et de blocages dont la société française, fidèle à ses archaïsmes, s’est accommodée jusqu’ici.. Et les autres pays européens, en l’occurrence la Suisse, regardent avec une perplexité croissante ce qui se passe ici. Aucune réforme n’est jamais acceptée de gaieté de cœur. Aucun changement ne survient de manière indolore. Tout doit rester comme avant. Et quand on veut passer en force, des millions de manifestants défilent dans les rues des grandes villes. On a parfois l’impression que règne ici une sorte de monolithisme granitique digne de l’Egypte pharaonique. C’est le régime de «l’irréversibilité des avantages acquis» (pour reprendre une expression inventée par M. Yvon Gattaz, le père de l’actuel patron du Medef.) Et si l’Assemblée Nationale française venait à donner un coup d’arrêt à de telles réformes, ce serait le pire des signaux qu’elle enverrait au monde extérieur.
On nous parle souvent du modèle social français. Mais ce socle social est soumis, comme toutes les réalités sublunaires, aux lois d’airain de l’évolution historique. L’ignorer ne servirait à rien. Ce serait compromettre les chances d’un redressement tant espéré : certains experts prévoient même que la France pourrait, si elle consentait à se laisser réformer, devancer l’Allemagne dans… quinze ans ! Il est vrai, sans mauvais esprit de ma part, que c’est bien un grand philosophe allemand, en l’occurrence Hegel, qui a dit : l’espoir fait vivre… Alors, eséprons.
Ce pays est pris, comme tous les autres, dans le tourbillon de la mondialisation. Et dans ce monde nouveau, la soi-disant exception française (acceptable en matière culturelle, et encore pas vraiment) pèse d’un tout petit poids dans le monde économique et financier.
Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 13 décembre 2014 (TDG)