Deux nouvelles de Stefan Zweig :
Amok et Le joueur d’échecs
Comme chacun sait, Stefan Zweig fut un auteur judéo-autrichien prolifique dont les œuvres, principalement les nouvelles, ont fait le tour du monde, lui assurant, même en temps de pénurie et de crise économique mondiale, des revenus stables et confortables. Il n’a d’ailleurs jamais omis de voler au secours de ses collègues et amis dans le besoin. Notamment son coreligionnaire et compatriote, Joseph Roth (l’auteur, entre autres, du Poids de la grâce) auquel, depuis Londres où il résidait alors, il envoyait des subsides lui permettant de vivre.. En dépit de ces aides ponctuelles, Roth mourut à Paris en 1939, dans le plus grand dénuement. On ne put l’enterrer qu’au cimetière de Thiais, le moins onéreux la région parisienne. Mais depuis quelques années, c’est l’ambassade d’Autriche à Paris qui prend en charge l’entretien de sa tombe.. C’est dire que Zweig, en dépit de tous ses défauts (instabilité sentimentale, coureur de jupons et naturel suicidaire, etc) n’a jamais fait preuve d’égoïsme ni jalousé le succès de ses amis.
Si j’ai choisi de parler de ces deux nouvelles, Amok, d’une part, et Le joueur d’échecs, d’autre part, c’est parce qu’elle encadrent d’une certaine façon, des périodes importantes de sa vie : de 1922 pour la première nouvelle et peu de temps avant son suicide en 1942, pour la seconde.
Les spécialistes de l’œuvre de Zweig, dont je ne suis pas, n’étant pas un littéraire mais un philosophe, notent des contextes, des ambiances, des attitudes qui se retrouvent dans la quasi totalité de ses nouvelles. Il y a d’abord une curieuse dialectique entre le voilement et le dévoilement, une sorte d’atmosphère propice à un secret, un mystère que l’on retrouve, dans une mesure presque paroxystique, dans Angoisses, jadis traduit avec un autre titre La peur.. Il s’agit d’une femme qui, par ennui, se laisse aller à commettre un adultère qui ne lui a même pas apporté le plaisir qu’elle en escomptait, tant son amant est décevant et insignifiant ; elle se consume dans une angoisse de chaque instant.. Cette femme évolue dans une pénombre perpétuelle et même l’épaisse voilette noire qu’elle porte, conformément à son statut de femme appartenant à la bourgeoisie viennoise, lui confère une sorte de mystère qui ne disparaîtra qu’avec les toutes dernières lignes de la nouvelle. Donc, Zweig entretient le suspense, tient son lecteur en haleine et même le dénouement ne chasse pas l’obscurité tout en résolvant l’énigme.
Amok ne fut pas la première nouvelle publiée par l’auteur. Loin de là ; il avait déjà publié Angoisses en 1913 et Dans la neige dans le journal sioniste dirigé par Martin Buber, Die Welt. Mais tant dans Amok que dans l’autre nouvelle sur Le joueur d’échecs, il introduit une histoire dans l’histoire. Et dans le dernier cas, la seconde histoire dépasse en longueur et en style narratif le thème principal. Pourquoi cette technique littéraire ? Probablement la volonté de l’auteur de porter un masque, de s’identifier au narrateur tout en s’en distinguant.. Et aussi de se parler à lui-même.