Hommage à Monsieur Jean-Louis BORLOO
Il ne faut jamais désespérer. Voici un homme que j’appréciais très modérément et dont j’avais soutenu le rival, François Fillon, lorsque Nicolas Sarkozy envisageait de changer de premier ministre. M. Borloo m’apparaissait alors comme un animal essentiellement politique, avide de pouvoir et sacrifiant tout à ses ambitions. Je pensais d’ailleurs, bien au-delà de ce cas individuel, que le monde politique était inamendable, que ces hommes et ces femmes avaient autant besoin de pouvoir que nous de l’air qu’on respire, bref, je pensais le plus grand mal des édiles, et tout a changé hier soir lorsque j’ai appris par la radio que M. Borloo, gravement malade, rendait tous ses mandats et se retirait de la vie politique pour se concentrer sur sa santé. En quelques minutes, tout a changé. Généralement, les hommes et les femmes politiques font tout pour cacher la vérité sur leur état de santé ; quand ils sont mis en examen, ils nient les évidences et s’accrochent à leur fauteuil. Et là, vous avez un homme que rien ni aucune loi ne forçait à démissionner et qui, avec panache, renonce, se retire avec dignité, rendant ainsi à la politique son aura platonicienne qu’elle avait perdue depuis fort longtemps. Voyez le cas de certains chefs d’Etat qui tiennent au pouvoir bien plus qu’à leur vie. Jean-Louis Borloo nous a donné une leçon de dignité et de grandeur morale qu’on attendait depuis longtemps. Quel panache ! Je suis sûr que si l’on donnait aux écoliers de Genève ou de France un tel sujet de dissertation, ils couvriraient d’éloges l’ancien maire de Valencienne, cette petite ville du nord que M. Borloo a sorti de la misère (près de 20% de chômeurs à l’époque !)… Or, cela fait bien longtemps que les hommes et les femmes politiques ont cessé d’être des modèles pour la jeunesse.
Dans la deuxième partie de ce papier qui se veut un hommage à un homme politique qui a placé avant son intérêt politique, une certaine conception de l’action publique, je voudrais, pour le dénoncer, m’en référer au vocabulaire animal, véritable bestiaire, en vogue dans ce monde si inhumain et si bestial des politiques. On parle de jeunes loups, de grands fauves, de l’absence d’amitié en politique, de larmes de crocodile, de chasser dans les mêmes eaux, de grandes phalènes, de couper les jarrets, le liste est interminable… Et pourtant, l’opinion accepte cela avec résignation, sans s’élever contre un registre lexical indigne. Tout à l’heure, j’ai écouté Pascal Lamy, un très haut fonctionnaire qui a fait ses preuves depuis l’époque de Jacques Delors, parler du cerveau reptilien d’un très haut, mais très, très haut personnage de l’Etat… Je pense que vous voyez de qui il s’agit.
Eh bien, M. Borloo vient de nous administrer la preuve du contraire : pour la première fois, un homme rompu aux combats inhumains de la politique, renonce, se retire, et se montre à nous sous son vrai jour avec une résolution non politique mais authentiquement humaine : réconcilier les valeurs de l’humain avec celles de la politique, qui se présente comme un combat animal, parfois bestial, où il n’y a qu’un fauteuil avec un trop plein de prétendants. Lesquels sont prêts à tout pour arracher la victoire ! Encore un terme indigne : arracher ! Personne, pas même Dieu, n’a le droit d’arracher quoi que ce soit…
Changer la politique présuppose que l’on change l’homme. Hier c’était impossible, depuis le cas de M. Borloo, on retrouve de l’espoir. Cela devient possible. Mais ne soyons pas naïfs, une hirondelle ne fait pas le printemps. Souvenez vous de deux présidents de la république très malades mais continuant à gouverner malgré un état de santé diminuée..
Du fond du cœur je souhaite à M. Jean-Louis Borloo un prompt et définitif rétablissement. Et je souhaite aussi, avec mon indéracinable naïveté de philosophe optimiste que toute la classe politique s’inspire d’un si haut exemple. Mais ce n’est pas gagné…