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Vu de la place Victor-Hugo - Page 650

  • Oradour sur glane: entre le pardon et l'oubli

                    Oradour sur Glane, presque soixante-dix ans après :

                                              Entre le pardon et l’oubli

    En France, mais aussi dans certains milieux allemands, mais pas partout, Oradour est devenu un symbole, celui de l’incroyable barbarie nazie commise par une division SS Das Reich, le 10 juin 1944, quelques jours après le débarquement allié en Normandie. Ivres d’une folie meurtrière, les SS avaient massacré l’ensemble de la population du village, plus de six cents personnes, hommes, femmes et enfants, sans la moindre pitié. Les survivants du massacre ne se comptent même pas sur les doigts d’une seule main.

    La raison de cette évocation nous vient de la visite conjointe des présidents français et allemand, François Hollande et Joachim Gauck, qui vont se rendre à Oradour cet après-midi même pour y prononcer des allocutions à la mémoire des victimes. Chacun se souvient de la visite conjointe de Fran çois Mitterrand et de Helmut Kohl à Verdun. Plus poignant encore et hautement symbolique, l’agenouillement du chancelier Willy Brandt devant le mémorial de Varsovie. Il y eut d’autres témoignages de demande de pardon, de reconnaissance de la faute et d’appel à la paix et à la sérénité.

    Cette affaire pose, aux plans théologique et philosophique, la question du pardon des crimes et des offenses, et celle de l’oubli. Pouvons nous pardonner sans oublier ? Et dans ce cas, quelle serait la portée et la valeur de ce pardon ? Peut on accorder la rémission des péchés ( en allemand Sündenvergebung) ? Et qui pourrait le faire, sinon les victimes elles mêmes, qui ne sont plus et dont les lèvres ne bougent plus, figées pour l’éternité ?

    Deux détails m’incitent à traiter de cette question en m’appuyant sur des références bibliques, attendu que le président allemand, contrairement à son homologue français, est un pasteur, donc un homme de religion dont l’autorité morale lui a valu le poste éminent qu’il occupe.

    La première question qui se pose est celle de la faute collective : peut-on parler de Kollektivschuld ? Absolument pas, cela irait à l’encontre de la théologie biblique telle qu’exposée dans le chapitre XVIII du livre d’Ezéchiel : le père ne paiera pas pour les fautes du fils ni le fils pour les crimes par son père. Ceci est absolument clair. D’ailleurs, pour bien illustrer son propos, le prophète Ezéchiel frappe une formule que l’on retrouve aussi chez Jérémie : Les pères ont mangé du verjus mais ce sont les dents des enfants qui en furent agacés.

    Mais bien avant Ezéchiel, contemporain de la destruction du premier temple de Jérusalem, au Vie siècle finissant, on lit dans les chapitres de la Genèse consacrés au patriarche Abraham cette confrontation entre ce dernier et Dieu qui se voit interdire d’anéantir le juste avec l’impie, l’innocent avec le coupable… Dieu se voit rappeler sa propre théodicée..

    Bref, il doit lui aussi respecter un principe fondamental de la conscience humaine, l’individualisme religieux. On ne paie pas pour les autres, pas de justice clanique, pas de loi du talion..

    Et puis, il existe le pardon qui intervient après la repentance. Les Allemands appellent cette repentance, le retour en soi, sur soi (Einkehr), un peu comme le dit le Deutéronome : reviens à ton cœur (en toi-même) et l’Eternel ton Dieu te reviendra. Très belle image.

    On ne peut pas oublier ce qui s’est passé mais on ne doit pas le reprocher ni l’imputer aux descendants de ceux qui l’ont commis. La République Fédérale est une Allemagne nouvelle, solidement ancrée dans le camp de la démocratie et de la liberté. Certes, il y eut, à certaines époques, des hésitations à poursuivre une dénazification rigoureuse, mais aujourd’hui l’Histoire a fait place nette.

    En prenant conjointement la parole à Oradour, les deux présidents ouvrent une page nouvelle dans l’histoire des relations entre les deux pays. Ce n’est pas rien, ce n’est pas une simple commémoration qui viendrait s’ajouter à tant d’autres. Non, c’est quelque chose d’absolument nouveau puisque ce fut, à ma connaissance, le seul exemple d’un vrai holocauste en miniature sur le sol français où de simples civils furent suppliciés pour assouvir la haine meurtrière de soldats en perdition.

    Par cette visite, le président allemand, le pasteur Gauck, remet à l’honneur les vraies valeurs morales de l’Allemagne spirituelle (das geistige Deutschland), celle qui a marqué  la constitution éthique de notre continent.

  • Réminiscences de la prime enfance: le Cantique des cantiques, cinquante ans après

    Réminiscences de la prime enfance :

           LE CANTIQUE DES CANTIQUES IL Y A PLUS DE 50 ANS

    Le titre peut égarer mes lecteurs, même habituels. Pourtant, c'est bien ce que je veux dire : j'ai vécu une expérience qui m'a rappelé le Cantique des Cantiques que je lisais aux côtés de mon regretté père à la synagogue de David Bohbot (Zal) à Agadir, avant le tremblement de terre, qui eut lieu en 1960/61.

    Les gens savent parler de la mémoire, des souvenirs de l'enfance et de l'adolescence. Renan lui-même nous a laissé un inoubliable ouvrage intitulé, Souvenirs d'enfance et de jeunesse, écrit à la demande de son fidèle éditeur Michel Lévy. Mais il y a plusieurs types de mémoires, la plus connue, la plus élémentaire est la mémoire visuelle, ensuite vient la mémoire olfactive. Mais rien ne vient concurrencer la mémoire auditive, celle que des mélodies de la tendre enfance éveillent en nous, même à l'âge adulte. C'est l'expérience que j'ai vécue ce vendredi soir, veille de chabbat, à la synagogue séfarade de Nataniya où les juifs issus du Maroc, d’Irak et de Libye sont largement majoritaires. Une obligation familiale de nature liturgique commandait ma présence dans ce lieu, car je devais réciter des prières spécifiques. En pénétrant dans la belle salle de prières, un peu surchargé et à l’ameublement un peu baroque, je ne me doutais pas que j'allais redécouvrir des choses profondément enfouies dans ma mémoire d'enfant. D'où la référence aux cinquante ans..

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  • La France et les menaces syriennes

    La France et les menaces syriennes

    C’est l’honneur de la France et de son gouvernement d’avoir pris la décision que l’on sait au sujet du conflit syrien. Au moment où même l’Europe se voile la face devant des cadavres d’enfants cruellement tués par des armes chimiques, la France, précédée par les USA, a dit non. Un mot de cette exhibition de petits cadavres, on avait l’impression qu’ils étaient pris dans un profond sommeil, un sommeil, hélas, dont ils ne réveilleront plus.

     L’Histoire ne pardonnera pas à ceux qui ont tergiversé pour gagner du temps en disant qu’on n’était pas certain de l’usage de telles armes et que si cela était avéré, on ne saurait toujours pas avec certitude qui en était l’auteur. Ceci est une offense à la mémoire des victimes. Et aussi un certain mépris pour ceux qui se battent et versent leur sang pour que d’autres vivent dans une Syrie libre et démocratique.

    Donc, le gouvernement français a pris une bonne décision. Mais il n’a pas eu la présence d’esprit (et c’est tout à son honneur)  de prévoir que le président US actuel amorcerait une sorte de danse médiévale, appelée drapier des lanciers (un pas en avant et trois pas en arrière). Ce qui a poussé une bonne partie de la presse française à parler d’un président français piégé par son homologue américain. J’ignore les sentiments exacts qui ont traversé le cœur de François Hollande quand il a appris la démarche assez sinueuse du président américain mais je suis prêt à parier qu’il ne fut pas submergé de joie. La France se retrouvait, seule, en première ligne, avec un allié américain qui promettait de faire ce qu’il hésitait à faire. Il y va, sans y aller, tout en y allant ! Je pastiche une formule du philosophe Hegel qui écrivait à propos de Dieu : il est, sans être, tout en étant.

    Mais M. Obama a t il jamais entendu parler de Hegel ?

    Les USA iront, c’est sûr, mais l’accompagnement médiatique et politique de leur engagement est calamiteux. J’en viens à présent aux menaces syriennes : ce pays dispose d’un bon nombre de diplomates compétents et acquis au régime baassiste. On notera que si le corps des officiers généraux a connu une véritable hémorragie depuis deux ans, les diplomates qui ont déserté se comptent sur les doigts des deux mains. Le ministre des affaires étrangères Mouallem intervient toujours avec circonspection, en choisissant ses mots et ne lançant jamais de menaces en l’air. Les Syriens ont donc décidé que dans la coalition laborieuse qui se constitue, la France représentait une sorte de maillon faible sur lequel on pouvait faire pression. Nul ne contestera la disparité des moyens militaires entre la France et les USA. François Hollande a rapatrié les forces combattantes d’Afghanistan, il a ordonné le retour d’une bonne partie du corps expéditionnaire français au Mali. Cette projection des forces françaises à l’extérieur (Opex) est remarquable mais ne saurait durer ni grossir indéfiniment, le budget des armées ne le permettrait pas.

    Tous ces paramètres sont connus de Damas où le régime ne s’embarrasse guère de scrupules : on l’a vu avec ce qui s’est passé le 21 août. Le plus grave, c’est qu’on s’est tous tu lors de précédents recours à ces armes chimiques, ce qui a encouragé Bachar à aller plus loin et à récidiver sur une large échelle.

    Alors que peut faire la Syrie contre les intérêts français, puisque ce sont les propres termes de son président ? Je ne suis pas un expert de la question, mais il semble évident que le contingent français de la Finul doit être en état d’alerte permanente le plus vite possible. On sait que le sud du Liban est un no man s land contrôlé par le Hezbollah auquel la cour pénale internationale reproche déjà de graves attentats dont le dernier en date a coûté la vie au premier ministre Rafic Hariri. Or, pour la milice terroriste chiite, le maintien au pouvoir de Bachar est une question de vie ou de mort. Et on ne parle même pas de l’allié iranien dont le concours actif et efficace a permis à l’armée syrienne de ne pas s’effondrer.  Cet arc chiite joue sa survie au Proche Orient : sans Bachar, plus de piton iranien dans la région et sans l’Iran plus de Hezbollah ! C’est cette imbrication qui constitue l’unique excuse pour les contorsions du président Obama. Mais les USA connaissent bien l’état de l’armement iranien : une flotte de guerre peu performante, une flotte aérienne qui n’est plus à la hauteur depuis longtemps, ce que toutes les rodomontades ne peuvent guère dissimuler. Cela pèse peu par rapport à l’armada américaine qui croise en Méditerranée orientale. Sans même parler des autres bases dans la région et des éléments pré-stationnés non loin du théâtre des opérations.

    Reste l’hypothèse de l’embrasement général de la région, mais dans ce cas Israël interviendra et ne fera pas preuve de la moindre retenue. Je pense que le nouveau président Rouhani en est conscient et commettra de faux pas qui pourrait mettre en danger son régime…

    En conclusion, il faut prendre très au sérieux les menaces syriennes car elles émanent d’un régime blessé et prêt à tout pour survivre. Et surtout qui se bat le dos au mur. Et enfin, comprendre que le Proche Orient, l’Orient en général, ne sera jamais cartésien. Et que la formation de nos diplomates mérité d’être sérieusement revue