André Malraux a dit en substance qu’après la mort il ne restait de chacun de nous qu’un tas de petits secrets… Au fond, on pourrait ajouter la phrase suivante : Dis ce que tu lisais et je te dirais qui tu étais . C’est à peu de choses près ce que je ressens en débarrassant la bibliothèque des beaux parents disparus. J’ y trouvais quantité de livres, anciens et modernes, mais j’en ai sélectionné un tout petit nombre qui m’a fait impression. Ce couple est né et vivait en Algérie. Rapatriés en France, ils ont emporté avec eux une partie de leurs livres, lesquels furent envoyés dans leur nouvelle résidence, lorsqu’ils s’établirent à Natanya, petite station balnéaire d’Israël. Ces livres sont au nombre de quatre et vont de 1904 à 1065, dates de leur parution. Ils n’ont rien en commun, si ce n’est d’être présents dans la même bibliothèque privée : le premier est un manuel d’enseignement direct de l’arabe parlé, présenté par un docteur arabe du nom de Fatah : la première édition est de 1904 et la seconde, revue et augmentée est de 1911. Le second ouvrage, le plus étrange, s’intitule (en caractères latins et arabes) Mektoub (c’est écrit). Il serait d’un capitaine A et Yvon de Saint Gouric. Il y a fort à parier, eu égard au contenu de témoignage, que ce sont des noms d’emprunt. Le troisième livre, simple brochure d’une secte anglicane animée d’un grand zèle convertisseur en vue d’évangéliser les juifs. Cette plaquette s’intitue Que pensez vous du Christ ? Appel à la nation juive, de David Baron. Enfin, le dernier ouvrage est de Norman Mailer et s’intitule Un rêve américain (1967, Grasset). Il n’existe, je le répète, aucun lien entre ces quatre ouvrages sinon le propriétaire la bibliothèque qui les y a réunis. Le premier, le manuel d’arabe parlé, m’intéresse surtout par la personnalité de son auteur et l’idéologie qu’il défendait avec tant d’ardeur. Ecrivant sa préface le 15 mars 1904 il clame sa foi en un avenir lié indissolublement entre la France et l’Algérie : une langue bien comprise, écrit-il, dissipe les malentendus et aide les hommes à se parachever. (al-Lisan takamel al-insan). Cette idéologie se trouve violemment prise à parti partie par l’ouvrage suivant dont la lecture m’a littéralement stupéfait. Ce Mektoub, véritable pamphlet anti arabo-musulman publié en 1922 se divise en deux parties d’inégale longueur et se présente comme la confession d’une jeune fille de bonne famille, dont les bons sentiments à l’égard des noirs et des arabes combattant pour la France durant la grande guerre, causeront la perte et qui, par son témoignage, entendait éviter aux autres femmes de France de tomber dans le même piège (sic).. Ne reculant devant aucune formule manichéenne, l’ouvrage raconte la vie de la jeune fille dans le monde des gens civilisés (sic) et ensuite au bled où aucune humiliation ne lui sera épargnée. Je ne résumerai pas ici ce que raconte cette brave jeune fille qui, rejetant tous les conseils de prudence de ses proches, accepte de suivre un soldat blessé dans les tranchées qui lui promet de l’aimer plus que tout au monde. Parvenu dans on village en Algérie, il lui inflige les plus cruelles épreuves et l’humilie quotidiennement. Ce qui me frappe, c’est l’application avec laquelle la femme, revenue de sa longue captivité, relate les différences de civilisation et de culture, allant jusqu’à citer l’une des pages les plus étranges de l’œuvre d’Ernest Renan qui nourrissait sur les arabes et les musulmans les idées que l’on sait. Mais il y a plus ; je pense notamment au long discours que l’auteur met dans la bouche du père du soldat qui sonne comme une prophétie de ce qui va s’appeler les affres de la décolonisation. Un tel discours, si bien structuré et si bien construit, ne pouvait provenir qeu d’officines spécialisées dans la lutte anti-arabe et ne croyant nullement ni à une symbiose franco-algérienne ni à un simple dialogue entre les deux cultures. La maison d’édition de cet ouvrage si étrange s’appelle Maison du Mercure africain. J’avoue n’avoir encore jamais eu entre les mains un pamphlet d’une telle violence. Je ne dois pas oublier la citation de Camille Rousset, de l’Académie Française : Chacun le sait mais n’y croit, on n’y ajoutera foi que lorsqu’il sera trop tard. La brochure prosélytiste est d’un caractère plus sérieux, même si son genre demeure douteux. Il s’agit d’un juif qui a, dit-il, découvert la vérité du mystère chrétien et qui veut aider à sauver ceux de ses frères qui continuent de tâtonner dans le noir. La plaquette reprend les grands thèmes des contestations judéo-chrétiennes et accorde un avantage incontestable à la religion chrétienne. Nous sommes heureux de vivre désormais dans un monde où règne le dialogue judéo-chrétien et où un respect mutuel unit les deux grandes religions. Quand on lit des brochures telles que celle-ci, on ne peut qu’être admiratif du chemin parcouru par l’Eglise catholique qui a su réfréner des tendances qui semblaient incontrôlables. Le dernier ouvrage, Un rêve américain, est un livre étrange mais amusant. En le lisant, cela me changeait bien de mes recherches pour une biographie d’Averroès. Quelle orgie ! Que de beuveries ! Je croyais avoir tout vu et tout lu chez Phlip Roth, mais je me trompais. Norman Mailer, c’est bien pire. Voici des exemples de ce que l’on peut trouver dans les bibliothèques des gens, sans savoir ce qu’ils ont lu, aimé ou évité de lire. C’est un peu comme si l’on pénétrait dans un espace privé, interdit. Que diront ceux qui hériteront de nos livres et de nos dossiers ou archives. Ils découvriront de nous un aspect connu de nous seuls. Au fond, vivre est une chose étrange.
-
-
Les francophones en Israël
Il y quelques décennies, on pouvait demander son chemin en français dans de nombreuses villes d’Israël ; Notamment à Ashdod, Beer Shéva, Natanya, Tel Aviv et même Jérusalem. Aujourd’hui, on peut encore le faire, mais ce sont les Russes et les ressortissants des anciens pays de la défunte URSS qui ont acquis la majorité dans les villes en question. Ceci est particulièrement perceptible dans des villes comme Ashdod et Natanya. Tout d’abord, la croissance de la population est étonnante. Il y a une petite trentaine d’années, la ville d’Ashdod, cité portuaire importante, ne comptait que quelques dizaines de milliers de résidents, aujourd’hui, elle n’est pas loin des 300. 000 âmes. La même chose peut se dire de Netanya, quoique dans une moindre mesue. Et l’équilibre linguistique s’en est trouvé entièrement changé.
Si vous vous promenez dans l’un des centres de la ville, là où se trouvent les restaurants, les cafés et les magasins, vous trouverez des tablées entières composées d’émigrants russes là où, précédemment se reposaient de paisibles retraités de la région parisienne. Et comme l’assimilation se fait graduellement et presque imperceptiblement (car la télévision et la radios’impégnent à votre mémoire et transforment votre vocabulaire) on assiste alors à un curieux mélange des langues. Les mots que l’on ne connaît pas encore en hébreu sont remplacés par des équivalents français. Le plus amusant est de voir de jeunes Israéliens ayant des grands-mères francophones qui ne dominent pas bien la langue sacrée corriger ou compléter leur hébreu.
Cette situation linguistique pose la question de l’attachement des nouveaux Israéliens à leur ancienne patrie. La plupart disposent de la double nationalité et n’ont jamais voulu rompre définitivement avec Paris où ils conservent encore des attaches. Mais au plan politique, ils ressentaient durement une politique étrangère française qu’ils jugaient très inopportunément pro-arabe.
Depuis environ 27 mois, les choses ont entièrement changé, la politique française au Proche Orient leur paraît plus équilibrée. Les efforts i ncessants du Président Sarkozy en vue d’intégrer Israël à sa politique euro-méditerranéenne.
Reste le problème de la francophonie au plan mondial. Israël est sans cesse rejeté par les autres Etats francophones de la région (e.g. le Liban) ainsi que par d’autres Etata qui refusebnt de participer aux conférences de la francophonie aux côtés de l’Etat d’Israël. Et ceci est un problème sur lequel les citoyens de ce pays reviennent toujours avec une certaine amertume.
Espérons qu’un jour prochain, même ce problème trouvera une solution qui agrée à toutes les aprties.
-
L’article du Washington Post du Prince héritier de Bahrein
Le Jerusalem Post de ce lundi 27 juillet publie dans la rubrique comment & features une tribune libre due au prince héritier de Bahrein, Cheikh Salman ibn Hamad al Khalif, qui se veut un vibrant plaidoyer en faveur d’une paix totale et définitive au Proche Orient. En fait, la tribune est un catalogue de bonnes intentions qui n’apportent rien de radicalement nouveau. Alors pourquoi en parler ? Parce que l’auteur n’est pas n’importe qui et que son appel à une paix globale et définitive est sincère et mérite toute notre attention.
Le premier point sur lequel son Altesse Royale met l’accent est le déficit de dialogue des Arabes avec Israël. Son A.R. considère que les Arabes n’ont pas suffisamment maîtrisé l’outil de communication au point que le réflexe premier (et légitime) des Israéliens était de mettre tous les Arabes et tous les Palestiniens dans le même sac et d’ignorer la moindre nuance dans leur comportement. De même, ajoute-t-il, les Arabes et surtout les Palestiniens étaient convaincus que leurs ennemis planifiaient leur destruction. Ce point de départ est excellent et démontre une authentique volonté de jeter les préjugés et les rancoeurs à la rivière. Ce qui n’est pas, ici, chose facile, tant les haines sont recuites.
Son A.R. poursuit en notant que la plus lourde erreur fut de penser que la paix surviendrait à la vitesse de la lumière, qu’elle illuminerait les esprits et pacifierait les cœurs comme on appuie sur un interrupteur pour allumer une lampe. Selon l’auteur, la faute incombe principalement aux Arabes qui n’ont pas assez développé le dialogue avec Israël. Au passage le prince stigmatise l’attitude d’autres pays ( qu’il ne nomme point) qui voulaient que les victimes restent des victimes afin de mieux les exploiter politiquement et de tirer les marrons du feu. Cette époque devrait être révolue à ses yeux.
Se parler ne peut qu’être bénéfique aux deux parties ; et ce, pour deux raisons : la première, c’est que tout le monde aura à gagner si la sécurité revient enfin dans la région : et la seconde, la sécurité entraîne toujours dans son sillage la prospérité. Son A.R. énonce ici une vérité de bon sens qui a échappé aux belligérants, et notamment à ceux qui pensaient que l’affaire pouvait se régler par l’annihilation de l’une des deux parties.
Son A.R. donne en exemple les Etats du Golfe arabo-persique qui ont su s’unir et bâtir ainsi l’une des plus grandes puissances financières au monde.
Une telle prospérité, de telles perspectives économiques tireraient les Palestiniens de leur état miséreux et les détourneraient d’actions de destruction et de mort. Assurément, le Prince se sent tenu d’insister sur la justice qui doit être rendue aux Palestiniens, faute de quoi on l’accuserait de passer leurs difficultés sous silence et son article n’aurait plus aucune portée. De longues années de dialogues de sourds ont rendu les mentalités rigides. Il est temps de changer d’attitude.
Mais parler ne suffit pas car selon le Prince il est urgent de faciliter la vie des Palestiniens. Juifs et Arabes vivant en Terre sainte ont en commun plus de choses qu’on ne le croit. Ce qui les unit dit le Prince , est supérieur à ce qui les sépare. Et de revenir sur le plan de paix du roi Abdallah d’Arabie Saoudite, un plan que la partie israélienne (et pas elle seulement) avait passablement critiqué. Notamment parce qu’il prévoyait le retrait israélien des territoires conquis après la guerre des six jours. Notons que le Prince use de la formule anglaise et ne dit pas all territories, ce qui laisse place aux discussions. Il rappelle que le problème palestinien constitue un obstacle au réchauffement des relations entre les deux pays arabes en paix avec Israël, l’Egypte et le Jordanie.
Quelle est la proposition vraiment nouvelle du Prince ? S’intéresser de plus près aux medias israéliens, leur expliquer la cause des arabes, parler aux Israéliens des souffrances (je reprends les termes du Prince) des Palestiniens. Ainsi, vivrons nous peut-être une évolution positive des différentes positions .
Son A.R. craint toutefois d’être mal compris et affirme que certains Arabes pourraient lui reprocher sa précipitation dans ses efforts de parler et de discuter. Il répond à cette critique en soulignant qu’il ne faut pas confondre communication et normalisation. Il est regrettable que cette remarque restrictive restreigne la portée de tout l’article. Mais c’est ainsi.
Une fois la paix en marche, conclut le Prince, les affaires suivront. Et là plus personne ne songera à la guerre car chacun pensera à ce qu’il risque de perdre.
Tel est le contenu de cette tribune libre. Est elle réaliste ? Est elle assez innovante et courageuse ? A d’autres plus experts que nous d’en juger. Cette tribune a le mérite d’exister et c’est déjà beaucoup.