Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 10

  • RENAN, LECTEUR DE LA BIBLE

     

     

       
             CONFÉRENCE À LA MAIRIE DU XVIE ARRONDISSEMENT         

                                                             Le 19 juin 2008
                             A 20h30


                    MAIRIE DU XVIE ARRONDISSEMENT DE PARIS
                                               71 avenue Henri Martin, 75116 PARIS


    Ceci est la dernière conférence de l’année : elle porte sur Renan lecteur de la Bible. Cet homme, pour reprendre la phrase de Barrès, fut l’instituteur religieux de la France, sans être lui-même religieux, puisqu’il avait renoncé aux ordres. Je me permets de présenter ici le texte exacte que je pourrais, D- voulant, prononcer le 19 à la Mairie du XVIe arrondissement de Paris.



          RENAN, LECTEUR DE LA BIBLE
               Exégète et traducteur biblique

                Renan à Emile Berr (le 22 janvier 1890) : les déclamations contre le judaïsme sont une des choses les plus sottes de notre temps. De la part des philosophes qui séparent l’Etat de la religion, c’est là un non-sens ; de la part des chrétiens, c’est une ingratitude sans nom.

    Avec cette conférence , nous pénétrons au cœur même de l’œuvre de Renan, critique éclairé des traditions religieuses, puisque son travail d’érudit porte presque exclusivement sur la traduction et l’exégèse historico-critique de la littérature biblique. C’est à cette double fonction qu’il s’est préparé durant ses longues années d’apprentissage; l’acquisition de l’hébreu et de l’araméen (langues originelles de la Bible) et de l’allemand (langue des principaux orientalistes du XIXe siècle) devait lui en faciliter l’accès et lui ouvrir les portes du Collège de France. En œuvrant à une meilleure compréhension des textes révélés ou prétendus tels, Renan envisageait, sur les religions, en général, et le christianisme, en particulier, un discours autre que celui offert par les clercs catholiques. Même sa Vie de Jésus (1863), parue au moment où il entreprenait ses traductions commentées de certains livres bibliques, et qui est pourtant centrée autour de la personnalité du Christ, prouve à l’envi qu’il entendait retoucher de larges pans de l’histoire religieuse. Nous ne reviendrons pas sur la tendance fondamentale du philosophe de Tréguier qui se voulait un censeur implacable du surnaturel : c’est là un leitmotiv qui parcourt toute son œuvre.
    Le choix de Renan n’est pas dû au hasard ; s’il a, par exemple, jeté son dévolu sur le Cantique des Cantiques, c’est parce qu’il voulait y retrouver les vestiges d’une vitalité et d’une sensualité hébraïques anciennes, deux tendances qui florissaient à une époque où le courant piétiste (pour parler comme Renan) n’était pas encore parvenu à étouffer les élans d’amour et de vie profane d’un peuple aux traditions rurales affirmées, entièrement tourné vers la terre et les joies simples . Ce tournant métaphysique et piétiste, imposé par les élites religieuses à une époque très ancienne, s’est trouvé renforcé par les vicissitudes politiques du peuple hébreu, coincé dans sa petite Judée entre deux grandes puissances régionales de l’époque, l’Egypte et l’Assyrie. Cela est nettement perceptible sous la plume de l’auteur des Lamentations qui s’écrie : nous avons tendu la main vers l’Egypte, vers Assur pour avoir du pain à satiété… (5 ; 6). Entendons par là que l’on s’était tourné vers les puissances hégémoniques de l’époque, dans l’espoir qu’au moins l’une des deux apporterait aide et assistance..
    Il y eut, selon Renan qui suivait en cela les résultats controuvés de la critique biblique, une révision très poussée des grands textes de l’épopée hébraïque où les héros, les événements marquants de l’histoire nationale et les simples relations des faits et gestes du peuple firent l’objet d’une réécriture fidéiste. Cette naissance de l’historiographie biblique fut placée sous le signe exclusif du monothéiste éthique, désormais solidement établi. Pour en rester à ce Cantique des Cantiques, sur lequel nous reviendrons plus en détail infra, les guides religieux dont Rabbi Aqiba en personne (vers 130 de l’ère chrétienne) établirent une astucieuse équivalence entre ce superlatif Cantique des Cantiques (Sir ha-Shirim) et un autre, le Saint des Saints (Kodésh kodashim) . Bel exemple de sublimation religieuse qui permit tant à la tradition juive qu’à la tradition chrétienne de développer, même durant la période médiévale, le thème de l’unio mystica, ces noces mystiques entre Dieu et son peuple ou entre le Christ et son église.
    Les deux autres livres bibliques, traduits et commentés par Renan, sont, respectivement, le livre de Job et l’Ecclésiaste (Qohélét), c’est-à-dire deux livres issus de la littérature sapientiale et non point du Pentateuque. Ces deux livres, ajoutés à celui des Proverbes (non traduit par Renan) posent les questions fondamentales qui taraudent la conscience humaine depuis les origines : quel est le sens de la vie sur terre,  que penser de la théodicée et de la providence divine, comment parvenir à la félicité éternelle, à l’immortalité de l’âme etc…  Nous y reviendrons.

    Renan et la chaire d’hébreu au collège de France. La grande affaire de la vie de Renan fut l’acquisition controversée de cette illustre chaire dont certains prédécesseurs eurent pour nom Vatable et Guidacier, sans omettre Paul Paradis, le protégé de Marguerite de Navarre. Mais on assistait constamment à une lutte de la Vulgate contre la veritas hebraica. Renan ne considérait pas l’exégèse comme une simple étude de mots et de formules, il y voyait une science vivante dont on devait sans cesse élargir l’horizon. Nous avons pu voir, dans les précédents chapitres, qu’à la mort de son maître d’hébreu E. Quatremère, on hésita à le nommer. Même la publication des traductions de Job et du Cantique des Cantiques ne parvint pas à forcer les portes du Collège de France. L’auteur de la Vie de Jésus fut le premier à considérer la Bible comme un ensemble de livres, une littérature, ayant eu sa propre histoire et, partant, son développement spécifique. Il a donc entrepris de chercher dans l’étude des textes la trace de leurs états successifs. Moins soumises à la censure ecclésiastique, la Hollande d’abord, suivie de près par l’Allemagne, développèrent le germe nouveau que la France avait jeté dans le monde. Il s’agit du livre pionnier de Richard Simon dont il sera question infra.
    Une école d’exégètes, composés de noms illustres tels Eichhorn, de Wette,  Gesenius et Ewald, reprit, au commencement du XIXe siècle, l’œuvre du grand Oratorien  français et donna à ces recherches un développement qu’on n’aurait pu soupçonner. Nulle part n’apparaît -mieux qu’ici- le caractère collectif de la recherche scientifique. Un travail de longue patience auquel des générations entières de savants ont consacré leur vie, a permis de distinguer, de classer les éléments dont furent formés les différents livres de la Bible et d’arriver à des vues plus scientifiques sur leur composition et sur l’âge de leur rédaction. .Mais tandis qu’en Allemagne, les moindres étudiants étaient au courant du progrès de ces travaux et les discutaient avec passion, ils étaient, à de rares exceptions près, profondément inconnus en France, mis à part Strasbourg. Ce fut l’honneur de l’école de théologie strasbourgeoise d’avoir fait revivre dans l’hexagone la grande tradition des études bibliques et d’avoir développé ce que l’Allemagne avait fait d’excellent dans ce domaine. Par son activité de chercheur et d’enseignant durant près de cinquante ans, Edouard Reuss a répandu dans le grand public cultivé et les milieux estudiantins tant d’idées nouvelles  qui se révélèrent si fécondes par la suite.  Renan, on le verra infra, entretint une correspondance suivie avec son savant collègue strasbourgeois, lui qui avait pour habitude de réciter quotidiennement des Psaumes en hébreu, à l’aide d’un véritable petit bréviaire qui ne le quittait jamais.
         Car, pour lui, la langue hébraïque était inséparable de l’exégèse biblique. On sent bien que certains milieux cléricaux, redoutant le pire, avaient tenté de l’éloigner de cette chaire pour l’orienter vers une autre. Il refusa. La Bible, l’hébreu et le judaïsme constituaient à ses yeux un ensemble qu’il souhaitait étudier en toute liberté. Contrairement aux idées des clercs  de son temps qui considéraient le judaïsme comme une simple étape précédant immédiatement la naissance du christianisme , Renan se passionna  pour la religion d’Israël qu’il considérait comme un phénomène spirituel, comparable à n’importe quel autre. Le sommet de la piété juive et universelle à la fois se trouve, selon lui, dans les Psaumes dont il compare la traduction avec l’original hébraïque. Il relève alors des contre sens, des inexactitudes et des transpositions infidèles. Il fut donc amené à se méfier naturellement de la version officielle de la Vulgate,  même si certaines leçons adoptées par les massorètes suscitent sa vigilance car, eux aussi,  se trompent. En plus du sens grammatical, Renan ne néglige pas ce qu’il nomme le «génie de l’hébreu» : les langues, étant le produit immédiat de la conscience humaine, se modifient sans cesse avec elle, et la vraie théorie des langues n’est, en un sens, que leur histoire… L’individualité de la race sémitique ne nous ayant été révélée que par l’analyse du langage, analyse singulièrement confirmée , il est vrai, par l’étude des mœurs, des littératures et des religions, cette race étant, en quelque sorte, créée par la philologie,  il n’ y a réellement qu’un seul critérium pour reconnaître les Sémites : c’est le langage.
        Le génie de la langue hébraïque pourrait se qualifier par la simplicité et le manque d’artifice. Et lorsque la Bible veut exprimer un sentiment, elle recourt généralement à l’organe qui le manifeste d’ordinaire. Par exemple, la colère. s’exprime en hébreu d’une foule de manières également pittoresques, et toutes empruntées à des processus physiologiques. tantôt c’est la métaphore du souffle rapide  et animé qui accompagne la passion (af) ; tantôt de la chaleur (haron, héma), du bouillonnement (‘ir) ; tantôt de l’action de briser avec fracas (roguez). Le découragement et le désespoir sont exprimés dans cette langue par la liquéfaction intérieure, la dissolution du cœur (namas, namog libbo) ; la crainte par le relâchement des reins.  L’orgueil se peint par l’élévation de la tête, la taille haute et roide (hitgabber, nassa rosh, rom). La patience, c’est tout le contraire, car on la dépeint par la longueur du souffle (érékh appayim) ; l’impatience, c’est la brièveté (kotser appayim, ruah) . Le désir, c’est la soif ou la pâleur  (tsama, kissouf). Le pardon s’exprime par une foule de métaphores empruntées à l’idée de couvrir, cacher, passer sur une faute un enduit qui l’efface (lekhassot, lekhapper).
    Ce n’est pas un hasard si Renan a sélectionné trois œuvres magistrales que l’on doit à la littérature hébraïque. Celles-là même qu’il a choisi de traduire et de commenter : le Cantique des Cantiques, l’Ecclésiaste et Job. Ces œuvres se caractérisent par une inspiration vivante et une liberté spirituelle. Selon Renan, elles s’opposent à l’esprit rabbinique post exilique. L’exégèse renanienne de ces trois livres repousse le sacré et admet le profane. Ces trois livres représentent aux yeux de Renan une sorte de trinité de l’esprit sémitique, des thèmes atemporels qui touchent même à des questions modernes : Job développe une pensée sur le mal sur terre et l’omnipotence divine, l’Ecclésiaste  se pose la question du sens de l’existence humaine et le Cantique des Cantiques reflète la joie de vivre qui fut celle des peuples sémitiques dans leur simplicité.

    Pour bien comprendre les tendances exégétiques de Renan, il faut le situer brièvement dans le cadre des recherches bibliques de son époque. En quelque sorte, il convient de le «contextualiser». Ce ne sont plus, on s’en est rendu compte, les règles exégétiques apprises au séminaire qui vont le guider dans ses recherches.
    Renan dépendait des résultats de la critique biblique allemande, et notamment protestante de son temps. Il a fait son profit des grands critiques allemands et hollandais mais n’a pas négligé les biblistes français, notamment ceux de l’école de Strasbourg avec Edouard Reuss.   Comme un exposé détaillé sur cette question de la critique biblique ferait éclater la structure même de ce chapitre, on se contentera de résumer en quelques lignes les résultats auxquels Renan s’est rallié et qu’il considérait comme la substantifique moelle de cette discipline :  il y eut d’abord un livre des origines de la législation dite mosaïque, composé dans la région du nord ( la tribu d’Ephraïm) et dont Joseph  est le héros. Il y eut aussi un livre du royaume de Juda qui formait une sorte de contre-pied du précédent. Il y eut aussi le noyau du Deutéronome, ce livre dont nous parle le second livre des Rois au chapitre 22 quand il évoque la réforme religieuse du roi Josias (en -622). Cet édifice fut ensuite couronné par une législation rituelle complète, notamment le livre du Lévitique. Cet ensemble représente, grosso modo, une œuvre qui s’étire du IXe au VIII-VIIe siècle, l’époque des grands prophètes d’Israël. Le travail de révision de ces sources ne s’arrêta pas là puisque tant le VIIe  que le VIe siècles apportèrent leur contribution. Enfin, vers 445 avant notre ère, avec Ezra et Néhémie, la littérature biblique peut être considérée comme définitivement stabilisée. L’auteur de la Vie de Jésus considère que le corpus biblique s’est tissé au cours d’un bon millénaire et utilise une image un peu osée pour exprimer son idée : nous voyons pousser la barbe de ce … Dieu  depuis mille ans !
    Les études sur la pensée religieuse de Renan, en tant que telle, n’ont pas été renouvelées depuis longtemps. Nous avons eu l’occasion de parler de cette hypothétique religion primitive de l’Israël ancien, l’élohisme, que le courant piétiste, devenu majoritaire,  a transformé en lui imposant le iahwisme. La science vétéro-testamentaire d’aujourd’hui n’a pas repris cette idée renanienne, jugée trop conjecturale. Le grand bibliste allemand Julius Wellhausen auquel Renan tressait des couronnes dans son commentaire critique de la Genèse, insistait déjà sur l’importance de l’idée d’évolution et de progrès au sein du phénomène religieux. L’idée monothéiste ne s’est pas imposée d’un coup. Et à l’époque du premier Temple, le culte de Iahweh n’était qu’un culte parmi d’autres. Le grand savant israélien Yéhézkiel . Kaufmann s’est opposé à cette thèse de Wellhausen qui plaçait un paganisme résiduel au fondement même de l’idée monothéiste de l’Israël ancien. Il pensait, comme Renan, que le monothéisme était une «intuition nouvelle et primitive… découlant d’une connaissance spirituelle…» C’est exactement ce que Renan avait écrit, cent ans avant les conclusions du savant israélien.  Kaufmann, on l’a dit, contestait les idées de Wellhausen  ; pour le bibliste allemand, le monothéisme israélite était le résultat d’une évolution menant du paganisme à une doctrine éthique, d’un Dieu national à un Dieu éthique, un Dieu de tout l’univers. Kaufmann rejoignait donc Renan qui parlait, un siècle plus tôt, de l’une des premières aperceptions du peuple hébreu.



    Renan déplore, en maints endroits de son œuvre, les entraves au libre développement de la critique biblique en France. C’est dans un bref mais vigoureux article (L’exégèse biblique et l’esprit français) de la Revue des Deux Mondes (1865) qu’il expose de manière systématique ses idées sur cette question.  La conclusion de cette étude dont nous allons résumer les grandes lignes est qu’en bloquant l’œuvre pionnière du célèbre oratorien Richard  Simon, Histoire critique du vieux Testament (1678) et en la faisant saisir chez l’imprimeur par le lieutenant de police Monsieur de la Reynie, Bossuet a retardé d’un bon siècle l’essor de la critique vétéro- et néo-testamentaire en France, condamnant les savants biblistes de notre pays à être à la remorque de nos voisins d’outre-Rhin… Renan écrit cette phrase violente : en arrêtant sèchement Richard Simon, l’évêque de Meaux n’a rien fait d’autre que de préparer l’avènement de … Voltaire.  Et on a déjà eu l’occasion de voir ce que Renan pensait vraiment de l’auteur du Dictionnaire philosophique.
    Renan parle longuement de Voltaire, tant dans l’article précité que dans le reste de son œuvre. Il  évoque alors l’incrédulité railleuse de François-Marie Arouet (1694-1778).  Cet écrivain brillant mais point profond se signale dès son jeune âge par son esprit frondeur et caustique et son penchant pour le libertinage érudit. Renan ne pouvait rester insensible au fait que Voltaire s’était battu pour des causes célèbres :l’affaire Calas (1762),l’affaire Sirven (1764), l’affaire du Chevalier de la Barre (1766) et l‘affaire Lally-Tollendal (1776). On trouvait aussi chez lui une forme assez particulière de la pensée religieuse où il combattait la notion même de peuple élu et de révélation…Mais sa définition de la vraie religion, celle qui est gravée dans le cœur de tout un chacun, ne pouvait laisser indifférent le jeune Renan. Contrairement au catholicisme dont Voltaire eut tant à souffrir, cette religion naturelle n’enseigne pas l’exclusivisme, ne connaît ni coercition ni bras séculier.  Durant près de quatre décennies, Voltaire a scruté la Bible dans  ses Lettres philosophiques, son Dictionnaire philosophique, sa Bible enfin expliquée et Un chrétien contre six juifs.  Dans tous ces textes on trouve une polémique violente contre l’Ancien Testament et l’église catholique qu’il cherche à atteindre en sapant ses fondements. Voltaire veut prouver que le Pentateuque, ouvrage de base du judaïsme et du christianisme, ne satisfait pas l’homme en quête de vérité et de morale : incohérences, maladresses dans l’expression, contradictions flagrantes, invraisemblances, jalonnent les écrits dits révélés. Que ce soit le Déluge, les plaies d’Egypte et le nombre très élevé de population impliquée dans la traversée du désert, tout prouve l’impossibilité que les livres du Pentateuque aient été écrits par Moïse. Voltaire conclut donc à la non-mosaïcité du Pentateuque.
    Renan a lu chez Voltaire la liste des invraisemblances et des incohérences qui caractérisent le récit de la création : comment prétendre, par exemple, que la lumière existait avant le soleil ? Comment admettre l’idée même d’un Déluge général : comment les montagnes d’Amérique du sud ont-elles pu être complètement immergées ? Il faudrait vingt-quatre océans pour inonder les sommets des montagnes de Quito… Voltaire se plaît à dresser une liste non exhaustive des incompatibilités du Pentateuque avec les lois de la physique. Comment  admettre la transformation d’Edith (femme de Loth) en statue de sel ? Que signifie cette grossesse singulière de Rébecca dont les jumeaux se battent dans son ventre ? Comment s’explique cette naissance si tardive d’Isaac ? Que dire de la prétendue vertu aphrodisiaque des mandragores que se disputent les deux épouses d’Isaac, Rachel et Léa ? Comment Esaü peut-il être né tout velu ? Jacob procède d’une drôle de façon pour faire naître des ovins bigarrés et accroître ainsi son cheptel…
    Si l’on en croit le compte rendu du Pentateuque qui parle de six cent mille hommes en armes lors de la traversée du désert, il faudrait alors multiplier ce chiffre par trois, ce qui conduirait à un total  avoisinant les trois millions d’êtres humains… Comment nourrir une telle marée humaine dans le désert ? Par ailleurs, l’épisode de la fille de Jacob, Dinah, violée par Sichem, est invraisemblable pour au moins deux raisons : si l’on calcule son âge selon la chronologie biblique, elle devait avoir, tout au plus, cinq ans ! Et comment ses deux frères, Simon et Lévy, ont-il pu, à eux seuls, exterminer toute une ville ?
    Il y a aussi ce que Voltaire nomme «l’immoralisme du Pentateuque». Les patriarches Abraham et Isaac ont menti pour sauver leur vie, mais, en agissant ainsi, ils ont failli compromettre la moralité de leurs épouses respectives… Comment Dieu, réputé être un Dieu juste et bon, a-t-il pu priver momentanément le Pharaon de son libre arbitre, puisqu’il est écrit que Dieu a endurci son cœur afin de le punir encore plus? Et cette incrédulité railleuse de Voltaire s’étend à des questions portant sur la langue utilisée par l’ânesse du prophète Balaam, ou par le serpent lors de son entretien avec Eve…
    De nombreuses incohérences émaillent les récits bibliques : comment Loth, réputé être un juste, commet-il l’inceste avec ses filles, deux nuits de suite, sans se rendre compte de rien ? Peut-on, demande Voltaire, engrosser des femmes sans prendre conscience de l’émission de son sperme ? Voltaire fait preuve d’un scepticisme moqueur quant à la taille de la grappe de raisin rapportée par les explorateurs, sous la conduite de Josué. Enfin, quand le récit de la création de l’homme est achevé, on apprend que Dieu l’a créé androgyne, mais un peu plus loin on parle de la femme, issue de la côté de l’homme…
    Les héros du Pentateuque sont cupides, malins, menteurs, meurtriers, immoraux et guère recommandables, selon Voltaire qui s’indigne qu’on ait pu lapider un pauvre homme qui ramassait du bois pour réchauffer ou cuire son repas le jour du sabbat.
    Au terme de toutes ces critiques, Voltaire considère que la paternité littéraire du Pentateuque  ne saurait être attribuée à Moïse qui conduisait un peuple d’anciens esclaves, incapables d’écrire quoi que fût,  ne possédant aucun matériau sur quoi graver les oracles divins ou la législation extrêmement complète du Lévitique et du Deutéronome. Il est cocasse d’entendre Moïse vanter sa modestie ou relater les circonstances de sa propre mort…
    L’exégèse de Voltaire  est donc une anti-exégèse en ce sens qu’elle combat l’exégèse traditionnelle. Tout en prenant bonne note de toutes ces critiques, l’auteur de la Vie de Jésus  stigmatise la «bouffonnerie» de Voltaire en matière de critique biblique

    En revanche, Renan admirait beaucoup l’œuvre du grand critique biblique hollandais, Kuenen, dont la traduction de l’œuvre maîtresse en langue française lui fournit la trame de ses développements dans la Revue des Deux Mondes. Le titre exact de ce livre est Recherches historiques et critiques sur la formation et la réunion des livres de l’ Ancien Testament. Kuenen considère cet ensemble que constitue aujourd’hui l’Ancien Testament comme un monument littéraire, présenté par ces concepteurs comme un tout, mais qui provient nécessairement de personnalités et d’époques différentes. Dans l’esprit de ses auteurs, c’est une littérature d’édification dans laquelle le croyant puise consolation et piété. Mais la science, la critique savante y voient autre chose. Et sitôt que l’on adopte ce point de vue scientifique, se posent à nous des questions d’une extrême gravité : puisqu’il s’agit de la littérature sacrée des Hébreux, elle doit nécessairement refléter l’état de leur culture et l’image de leur société à un moment précis de leur histoire. Dans quelle mesure pouvons nous affirmer que cette image reflète la réalité ? Comment faire pour élucider les différentes étapes de cette littérature? Présentée comme le fruit d’une révélation, c’est-à-dire comme une œuvre d’inspiration divine, cette littérature n’en reste pas moins une œuvre humaine par sa mise en forme, sa transmission et son explication aux croyants. Partant, ce corpus littéraire se trouve donc lui aussi soumis aux lois de l’évolution historique et ne saurait échapper aux normes du commentaire.
    Après ce préambule, Renan ne fait pas mystère de son enthousiasme pour le livre de Kuenen puisqu’il présente ces Recherches comme l’ouvrage le plus complet, le plus méthodique, le plus judicieux de tous ceux qui aspirent à présenter l’ensemble des recherches sur l’ancienne littérature hébraïque.  Evitant le piège dans lequel maint critique biblique d’outre-Rhin est tombé en essayant de restituer  je ne sais quelle version  primordiale du texte (Urtext), Renan affirme que Kuenen se résigne à ne pas entendre l’herbe germer… Enfin, les recherches du savant Néerlandais sont à l’abri de mauvaises surprises puisque ce corpus littéraire est clos et qu’on ne pourra plus découvrir un livre nouveau qui viendrait remettre en question les résultats obtenus précédemment. Autant de points qui font de cette version française un desideratum incontestable de la science puisque la recherche française en matière de philologie hébraïque ancienne est fort incomplète.
    Renan propose d’en retracer les grandes lignes, ce qui nous éclaire sur ses propres conceptions. Parcourant à grands pas l’histoire de la philologie hébraïque, Renan fait défiler sous nos yeux tant de noms tels que François Vatable, Mercier,   Sébatsien Castalion, Louis Cappel et Samuel Bochard. Mais c’est le nom de Richard Simon qui se détache nettement du lot car son œuvre précitée constitue vraiment un tournant ; pour Renan, ce prêtre de l’Oratoire  a donné à cette science son cadre et sa forme… c’est un traité complet d’exégèse en avance de près de cent cinquante ans sur les autres ouvrages du même genre. La méthode, l’approche critique employée par le célèbre Oratorien est la plus adéquate : au lieu de se perdre dans d’interminables discussions visant à faire émerger un hypothétique texte de base (Grundtext), l’Oratorien préfère envisager l’hypothèse bien plus réaliste de remaniements, d’ajouts et d’interpolations ; cette littérature biblique est, à ses yeux, un ensemble organique qui se métamorphose perpétuellement. Renan note avec pertinence que certaines hypothèses de l’Oratorien sont passablement contournées et cachent mal son embarras face à une orthodoxie particulièrement sourcilleuse, sous le règne de Louis XIV… L’auteur fait alors la mise au point suivante : nous autres, libres penseurs, il nous est permis d’être moins embarrassés. Mais tout ce luxe de précautions ne mit pas Simon à l’abri des persécutions : comme on l’a indiqué plus haut, le lieutenant de police, dûment mandaté par les autorités, procéda à la destruction de treize cents exemplaires de l’Histoire critique… Les rares exemplaires sauvés du pilon servirent à établir l’édition de Rotterdam (1685). Mais Simon eut un illustre prédécesseur dans ce domaine, quoique sur un autre plan ; ce fut Baruch Spinoza qui, dès 1670, publia son Traité théologico-politique où il soumit le texte biblique à une sévère critique. 
    Ce coup de force de Bossuet, note Renan, marque un grave recul de la France dans le domaine des recherches philologiques orientales, la France devient une nation composée de conservateurs aveugles et de spirituels étourdis. Il y eut quelques ecclésiastiques qui cultivèrent les lettres hébraïques mais aucun ne voulut marcher sur les traces de Richard Simon. Dom Calmet fut le seul, malgré son étonnante crédulité en mains endroits, à faire preuve d’une solide érudition, même si la connaissance des langues orientales et de la littérature rabbinique lui faisaient cruellement défaut. Même le héros de «l’incrédulité railleuse» du XVIIIe siècle (voir supra), Voltaire, sut lui emprunter ses trésors d’érudition qu’il s’ingénia à retourner contre les croyances de leur auteur. Précédant le jugement sévère que portera David Lévy, presque un siècle plus tard (1975) dans sa thèse sur l’exégèse du Pentateuque par Voltaire, Renan dénonce les à peu près de conversation, les vues rapides d’homme du monde, parfois justes, parfois hasardées, jamais fondées sur de solides recherches. Pour atténuer la portée de ses critiques, Renan souligne que ce ton narquois et ces traits à la dérobée sont le résultat de l’intolérance de l’époque de Voltaire ; et si Voltaire a fait de la pauvre exégèse, c’est grâce à lui que nous avons le droit d’en faire de la bonne.
    Mais malgré Bossuet et Voltaire, la France produisit un autre surgeon, absolument inattendu, celui-ci, puisqu’il s’agit du médecin de Montpellier Jean Astruc lequel publia en 1753 un essai original intitulé Conjectures sur les mémoires originaux dont il paraît que Moïse s’est servi pour composer le livre de la Genèse. Bien qu’ignorant l’hébreu, Astruc avait attentivement lu le livre de la Genèse qu’il n’eut guère de mal à décomposer en différentes parties que l’auteur présumé mit bout à bout. L’alternance des deux noms divins, Elohim et le Tétragramme, l’interversion de certaines dates, la similitude d’événements vécus à l’identique par les patriarches, montrent, à l’évidence, le caractère composite du texte. Reste qu’Astruc n’osa pas contester la mosaïcité du Pentateuque, ce qui conduit son mode d’expression à combattre son propre raisonnement. A-t-il voulu donner le change aux censeurs d’une époque qui réprimait durement l’hérésie ? Ce n’est pas à exclure puisque Astruc prétend écrire son mémoire pour combattre les esprits forts…  Voici la conclusion de Renan à son article sur L’exégèse biblique et l’esprit français : Bossuet, en persécutant Richard Simon, avait cru délivrer l’église de France d’un grand danger. Il préparait Voltaire. On n’avait pas voulu de la science religieuse, libre et grave ; on eut la bouffonnerie, l’incrédulité railleuse et superficielle. L’incrédulité de Voltaire vengea Richard Simon.

    Le 25 février 1860 Edouard Reuss écrivait ceci à Renan : nous nous rencontrons tous les deux sur le terrain des sciences religieuses éclairées et nous avons à lutter tous les deux  aussi contre une routine qui prétend nier les droits de cette méthode pour mieux assurer l’empire d’une théorie qui n’est elle-même que le produit d’un travail qui appartient à l’histoire. C’est exactement l’histoire et ses droits que Renan entend défendre et illustrer dans son exégèse biblique. Entre cette lettre d’Edouard Reuss, datée de 1860, et les articles de Renan sur les origines de la Bible dans la Revue des Deux Mondes, publiés en 1886, un quart de siècle s’est écoulé. Un temps considérable mis à profit pour approfondir et élaborer les théories du philosophe-historien sur l’évolution du corpus biblique.  L’histoire et la légende, comment les départager ?
    Elie et Elisée appartiennent à la légende, nous dit Renan. Fidèle à sa vision christologique de l’histoire biblique, il considère ces deux prophètes sans livres comme le premier anneau de la chaîne qui, neuf siècles plus tard, aboutira au christianisme. On relève aussi quelques disparités : l’arrangement des généalogies antédiluviennes n’est pas raconté de la même façon par deux sources différentes.
    On ignorera toujours les conditions dans lesquelles fut composée cette histoire sainte et nationale à la fois.  Ce qui est incontestable, c’est qu’elle fut produite de deux côtés, par les tribus du nord et par celles du sud, sans que les deux groupes de rédacteurs aient eu connaissance du travail l’un de l’autre. La haute antiquité n’avait pas une notion suffisamment claire de l’identité des livres, tous composés avec une objectivité absolue, sans titre, ni nom d’auteur,  recevant sans cesse des interpolations et des additions.
        Renan est effaré par ce qu’il nomme le «fanatisme jahwiste» et juge que même le fanatisme musulman (qu’il n’omet jamais de fustiger) n’en est, en réalité, qu’un sous-produit.  Ce Dieu de la Genèse a en haine tout effort humain, quel qu’il soit.  On lui fait injure en cherchant à améliorer le monde ou à le connaître. Ce même Dieu qui voit bien que le seul moyen de réformer l’humanité, c’est de la détruire par le Déluge et qui se résoudra, enfin, à la laisser suivre sa voie.
    En cherchant à combiner le Livre des Guerres du Seigneur, le Livre du Juste avec les traditions vivantes de son temps, le rédacteur qui adapte ou remanie ses sources, rencontre des difficultés. Son embarras se trahit lorsque les sources se contredisent ; il procède alors par juxtaposition, agissant comme le fera plus tard Matthieu. Renan nomme cela un procédé diplopique, c’est-à-dire que le rédacteur voit double, il a les yeux fixés sur deux sources à la fois.
    Le mythe du jardin d’Eden  présentait dans les traditions une assez forte variante. Selon une version, l’arbre central du paradis  était l’arbre de vie ; selon une autre, c’était l’arbre de la distinction du bien et du mal. Le rédacteur jahwiste prit la décision de les placer tous deux au centre. On remarque les mêmes hésitations concernant le nom d’Abraham ou Abram. C’est probablement la même démarche hésitante qui a fait qu’une aventure similaire arrive à Abraham et à Isaac chez Abimélek. Le rire qui sert de base au prénom du patriarche Isaac est raconté de deux manières. Béthel est consacré deux fois. Selon notre rédacteur, la création de l’homme a donc lieu à un moment où la terre est encore sans pluie et sans végétation ; Jahweh plante exprès pour l’homme un jardin qu’il fait arroser par un fleuve divisé en quatre canaux. L’homme est seul, unique au monde,, de sexe masculin, non sujet à la mort. Intervient ensuite cette curieuse rivalité sur fond de gnosticisme entre l’homme et Dieu. Pour prévenir une seconde atteinte de l’homme qui pourrait alors manger du fruit de l’arbre conférant l’immortalité et résister victorieusement à Dieu, celui-ci décide d’expulser le premier couple du paradis. Renan note avec raison que c’est à ce moment précis, après l’expulsion du paradis, que commence l’histoire ou l’aventure humaine.
    On rencontre ensuite toute une série de passages curieux. D’abord, ce sont ces fils des dieux qui aiment les filles de l’homme et de leur union naissent des géants. Ensuite, survient le personnage de Noé que l’ancienne tradition connaissait comme l’inventeur du vin, sans jamais avoir été impliqué dans le Déluge. C’est plus tard, suite à une vue plus éthique de l’histoire de l’univers qu’on en fera un sage vertueux, unique rescapé du cataclysme universel avec sa famille, initiateur d’une humanité régénérée. Le rédacteur Iahwiste le fait sortir de son arche pour offrir un sacrifice à Iahwé qui en hume l’odeur et se réconcilie avec l’humanité. Il y a enfin le personnage d’Abraham qui réunit en lui des aspects contradictoires, signe que le patriarche n’a jamais existé tel qu’on le décrit : il est la résultante de bien des caractéristiques opposées. Renan parle «du tissage du personnage d’Abraham» : généreux donateur, accueillant, offrant l’hospitalité à tous les voyageurs sans distinction aucune, il est le découvreur du monothéisme et devient, par là même, le pivot de la religiosité. La description qu’on en donne est celle d’une grande figure morale dominant son époque, laquelle tente, sans succès, de s’inspirer d’un si haut exemple. On se demande comment le même homme, véritable incarnation de la vertu, a pu fondre nuitamment sur le campement de ceux qui avaient enlevé des membre de sa famille, défaire les brigands et ramener les captifs chez eux… Sauf à admettre qu’un si grand bienfaiteur et un philanthrope puisse, en si peu de temps se doubler d’un redoutable chef de guerre qui monte sans difficulté un audacieux coup de main…  il faut bien admettre que la personnalité d’Abraham reprend des aspects de plusieurs personnalités, différentes les unes des autres.
    Après nous avoir guidé dans le dédale des traditions des tribus du nord, Renan nous explique à présent le travail des tribus du sud. Comment Jérusalem a-t-elle traité les mêmes questions ?
    La encore, Renan n’oublie pas d’établir un lien entre le récit biblique et le développement du christianisme : par son récit du séjour paradisiaque et par la fin qu’il lui donne, le péché, l’expulsion et donc la chute, le narrateur nordiste fait figure de lointain inspirateur du péché originel à la manière de Saint Paul. Le récit hiérosolomytain de la Genèse, notamment par sa première phrase, a créé la science physique. Renan écrit superbement que cette page  a été comme le coup de balai qui a nettoyé le ciel, qui a chassé les monstres, les nuages chimériques des cosmogonies anciennes. Ce qui frappe dans le récit de la création, c’est assurément le nombre sept dont la valeur sacramentelle était très connue à Babylone ; ce nombre s’imposait donc de lui-même au rédacteur. Mais celui-ci apporte, cependant, des éléments nouveaux : il rattache au Déluge une idée de pacte entre Dieu et l’homme : un arc-en-ciel sera placé dans la nuée, signe de l’alliance entre un Dieu bon et une humanité régénérée qui ne sera plus menacée de mort par noyade ou inondation. Enfin, la nourriture animale, jadis prohibée (les premières oblations étaient de nature végétale), est désormais permise. Mais le meurtre est tenu en horreur tandis qu’il est interdit de consommer de la chair animale avec son sang… Enfin, un nouveau pacte, scellé cette fois avec Abraham, comporte un signe fort, la circoncision des mâles le huitième jour.
    Pour Renan, un fait capital se produisit sous le règne d’Ezéchias (725-696) ; ce fut
     le moment décisif de cette grande activité prophétique qui fit de la religion d’Israël la tige même de la religion générale de l’humanité. Un événement capital donna même à Jérusalem l’importance que cette ville n’avait pas eue jusqu’ici dans le développement d’Israël : la destruction du royaume du nord ; l’activité religieuse de toute la nation se trouva donc concentrée à Jérusalem.  On se doutait bien que des révélations de Iahweh à Moïse avaient eu lieu au Sinaï mais on ne les trouvait consignées nulle part. On se mit alors en quête d’un cadre qui comporterait le fameux Décalogue. Mais de très bonne heure, l’idée vint de fondre les deux traditions, ce qui est toujours malaisé pour des natures religieuses, persuadées d’avoir sous les yeux des textes également inspirés et donc détenteurs d’une grande valeur. Renan définit un canon auquel le rédacteur a dû se conformer dans son travail d’homogénéisation des sources :

    a) quand les deux récits sont identiques ou à peu près, n’en retenir qu’un seul en sacrifiant les détails secondaires que l’autre pouvait contenir
    b) quand les deux récits sont parallèles sans se toucher vraiment, enchevêtrer les deux narrations au risque de provoquer des redites, des contradictions et des bizarreries.
    c) si les deux histoires sont contradictoires, en sacrifier une. 

    Le siècle d’Ezéchias, nous dit Renan, était peu porté vers les pratiques rituelles, ce qui ne fut pas le cas du roi Josias sous le règne duquel eut lieu la fameuse réforme religieuse en 622 avant Jésus. La casuistique, dit Renan qui n’aime guère le talmud, prit des proportions énormes au point d’absorber toute l’activité intellectuelle d’Israël.  Et par une syllepse hardie, l’ancien livre de légendes patriarcales prit le titre de Tora.
    Au fond, Renan n’innovait guère ; ses conclusions étaient déjà très connues dans les milieux de la critique biblique d’outre-Rhin. Mais en France, de son vivant comme après sa mort, il eut des admirateurs ou des censeurs intraitables. Maurice Vernes par exemple,  laisse éclater son enthousiasme : Encore ici, le génie historique de Renan éclate dans sa splendeur ; Ezéchiel de l’histoire, il arrache les momies à leur tombeau, leur rend la passion de la vie, fouette leur sang et leur dit : Marchez ! C’est un tout autre son de cloche que l’on perçoit sous la plume du pasteur Goy : M. Renan est un archéologue religieux, rien de moins, mais aussi rien de plus. Le sens religieux lui manque… il lui manque, oui, il lui manque une conscience religieuse.  Dans L’idée de Dieu et ses nouveaux critiques , E. Caro ne se prive pas de critiquer Renan à son tour : La nuance la plus populaire parce qu’elle est la plus vague, est celle que représente M. Renan. C’est tantôt une sorte de scepticisme scientifique, de positivisme, s’arrachant par un effet définitif aux rêves de la vieille humanité, prenant parti contre les illusions,  tantôt un mysticisme qui se répand en aspirations et en extases vers un objet idéal qu’on ne définit pas.
    Pourtant, Renan méritait mieux que de telles réfutations qui, la plupart du temps, pourfendent des ombres. On peut contester certaines hypothèses ou certains développement insuffisamment étayés mais de telles choses permettent de faire avancer une discipline sur des voies qu’elle n’aurait jamais osé explorer auparavant.  Prenons connaissance de cette belle phrase qui clôt la première partie de cettte étude sur les origines de la Bible : L’assemblage de toutes ces sources fut barbare mais en démolissant cette masure, vous formeriez un musée ; telle est l’historiographie hébraïque.

    Dans la seconde partie de son article consacré aux origines de la Bible, Renan concentre son attention sur l’émergence et la cristallisation de la loi, la Tora. 
    Ces piétistes qui avaient pris le pouvoir sous le règne de Josias ne le gardèrent pas longtemps, un demi siècle tout au plus, puisqu’en 585, Jérusalem fut conquise. C’est la captivité de Babylone qui fit définitivement d’Israël un peuple de saints. La cour et l’aristocratie militaire, presque toujours opposées aux prophètes, n’existaient plus. Le courant religieux ne voyait l’avenir d’Israël qu’en Dieu et en sa juste providence.
    Dès les premières années de la captivité, les groupements religieux, dispersés sur les bords de l’Euphrate, avaient constitué un foyer de vie intense. Un homme fut destiné, dès les premières années de l’exil, à en être l’âme, ce fut Ezéchiel. Il fut consigné sur les bords du fleuve Chébar. L’activité prophétique d’Ezéchiel dura une bonne vingtaine d’années. Tant que Jérusalem existait, il fut en correspondance avec ses coreligionnaires de Judée ; quand tout fut détruit, il n’eut qu’une idée en tête : la restauration. Ezéchiel occupe une place à part dans l’histoire prophétique d’Israël puisqu’il marque la transition vers la prêtrise. Il aborde une question que la réforme de Josias avait mentionnée sans les résoudre: la hiérarchie du corps sacerdotal. Dans ses chapitres 40 à 48 Ezéchiel fut aussi le seul à construire une utopie pour une restauration qu’on croyait prochaine. Un nouveau courant était en formation sous son impulsion, constitué par les prédications de Jérémie, les lois du Deutéronome et la législation du Lévitique.
    C’est la situation des Lévites qui posa problème et qui se situait aux fondements de l’épisode de Coré et de sa troupe: lorsque les fils d’Aaron s’approchèrent du tabernacle et que les fils de Coré en firent de même, ce sont ces derniers qui furent consumés. Les vieilles histoires connaissaient Aaron non pas comme grand pontife mais comme frère aîné de Moïse et comme devin. Plus tard, cela donnera l’idée de l’institution du grand prêtre qui n’existait pas à l’origine.
    En discutant de l’intégration des Lévites dans la hiérarchie religieuse, Renan évoque les moqueries de Voltaire  sur ce tabernacle portatif qu’on montait et démontait suivant les haltes et les levées du camp… L’idée qui se profilait à l’arrière-plan était celle d’un culte centralisé qu’on fit remonter à Moïse lui-même. Attachée à ses privilèges, la caste sacerdotale voulait régler la question des Lévites. Il fut donc supposé qu’avant la conquête, Moïse avait prévu de réserver un certain nombre de villes ou villages aux Lévites ; cet ordre, nous apprend-on, fut exécuté par Josué. Le commentaire de Renan sur ce point mérite d’être cité : Voila sûrement une rêverie sacerdotale de premier ordre, une des recettes les plus singulières qu’on ait imaginées pour sortir d’un embarras social intolérable. Loin d’être des déshérités, les Lévites, en supposant un tel arrangement, eussent été les plus riches des Israélites. C’est là un expédient de la dernière heure, ou plutôt une solution sur le papier qui ne fut jamais exécutée. Si une institution de ce genre avait existé avant la captivité, comment se fait-il que le Deutéronome n’en ait jamais soufflé mot ? Les villes qui, au chapitre XXI de Josué, n’étaient pas même conquises du temps de Josué, sont données pour lévitiques, figurent dans l’histoire d’Israël… Or, plusieurs n’étaient pas même conquises au temps de Josué.
    Après le retour des captifs,  qui avaient été déportés en Babylonie par Nabuchodonosor en 586 avant l’ère chrétienne, nous voyons bien les Lévites parqués dans les villages voisins de Jérusalem, mais jamais avec la régularité ni le caractère légal que supposent les interpolations lévitiques du livre des Nombres et de Josué.  Il est évident que cette bizarre conception n’eut qu’un objectif : résoudre la question des Lévites, dans le sens indiqué par Ezéchiel. Pour Renan, ce statut des Lévites n’est pas l’unique utopie de l’esprit hébraïque : il y eut aussi cette conception bizarre de l’année jubilaire, aussi éloignée que possible de toute application pratique, qui n’est pas sans rappeler les chimères de la Jérusalem céleste.
       Les membres de la caste sacerdotale ainsi que les Lévites étaient chargés  de veiller à l’application des codes religieux par Israël.  Ces corps des lois sont disséminés principalement dans le livre de l’Exode, dans le Lévitique, les Nombres et, bien entendu, le Deutéronome. Pour Renan, l’esprit moral du Lévitique diffère de celui du Deutéronome , mais ajoute-t-il,  le fanatisme et le formalisme sont les mêmes. Le chapitre 25 du Lévitique est, quant à lui, un véritable code civil.
        Israël a toujours voulu voir dans l’application des règles de la Tora la clef de son bonheur sur terre. Renan a beau jeu de railler cet idéalisme qu’il juge enfantin. Il cite, pour étayer son point de vue, un long verset de Jérémie qui se moque des empires puissants et leur prédit une sinistre fin.  : le monde, dit Renan, n’a pas été créé pour les juifs exclusivement… Ces derniers oublient que sans l’aide des empires, la Tora serait inapplicable. Mais donnons la parole à Jérémie (51 ;58) : Ainsi a parlé le Dieu des armées : les murailles de Babel la vaste seront vraiment démantelées et ses portes hautes, on les brûlera par le feu.  Ainsi, les peuples auront peiné pour rien et les populations se seront fatiguées pour du feu. On commet, dit Renan, un énorme contresens en tentant d’appliquer une loi destinée à une petite communauté de frères à une grande société… Les lois d’Israël ne sont pas de vraies lois civiles, susceptibles d’être adoptées par un Etat ! Ce sont des rêves, souvent de beaux rêves qui, transformés  en législation possible, n’ont pas été sans danger.  Quoi de plus singulier, par exemple, que ce petit code, complet à sa manière, qui se trouve encastré dans le Lévitique actuel, du chapitre 18 au chapitre 26 ? Ces chapitres forment un livre ayant son unité et présentant les mêmes expressions caractéristiques d’un bout à l’autre ; les mêmes que celles affectionnées par Ezéchiel. On est donc amené à supposer que nous avons affaire ici à un remaniement des pièces d’Ezéchiel du chapitre 40 au chapitre 48.
     
    Renan distingue trois étapes dans le développement religieux des Hébreux :

    a)    l’âge des prophètes anciens avec des expressions grandioses, accessibles à tous.
    b)    le piétisme et la moralité sévères : l’âge de Jérémie et du Deutéronome.
    c)    L’âge sacerdotal étroit et utopique : Ezéchiel et le Lévitique.

    Mais toutes ces lois ne poursuivaient qu’un but, donner à Israël une organisation sacerdotale et rattacher le tout à des révélations mosaïques. Israël, dit Renan, n’est plus une nation au sens politique du terme, c’est une communauté religieuse  dont la vie est rythmée par le culte sacrificiel du Temple. A partir de ce moment là, le souffle prophétique fut réduit à néant par la classe sacerdotale. Renan oppose le second Isaïe -en lequel il voit un prophète annonciateur du Christ- à ce pieux Israélite, auteur du Psaume 119, énorme acrostiche en 22 octaves de versets dont chacun contient l’éloge,  cent soixante-seize  fois  répété, de la loi de Dieu.
    Quelle fut la part d’Esdras dans la rédaction du Pentateuque ? Nous le voyons tel qu’on nous le présente, debout dans la foule rassemblée, tenant le volume de la Tora à la main ! Tous les doutes de la science seraient levés, les problèmes les plus importants de la critique résolus, sourit Renan, si nous pouvions voir le volume qu’il tenait entre ses mains et en examiner la composition. A défaut de ce miracle, contentons nous de traduire le récit que nous possédons. Toutes les fêtes étaient mises à profit par Esdras pour des espèces de processions, de retraites, d’exercices de piété, destinés à raviver  le zèle de la loi., telle que l’entendait la piété du temps  avec ses additions successives. La lecture de la loi faisait partie de toutes ces fêtes. On peut dire que c’est depuis le temps d’Esdras que la Tora existe comme un livre aux con tours bien définis.
    Cette Tora résista à toutes les persécutions et survécut même aux attaques de Jésus et de Paul. Le Talmud fut considéré comme son prolongement naturel, son explication patentée. Avec le temps, il finit par la remplacer et par s’imposer comme la loi exclusive. Le Deutéronomiste a triomphé ; sa loi est devenue l’absolue règle de vie d’Israël. Israël l’aura toujours devant lui comme une plaque hypnotique.
    La conclusion de Renan qu’on va lire n’est guère surprenante ; le courant piétiste est à l’origine de l’évolution qui donnera le talmud et remplacera le souffle prophétique par la casuistique. Et pendant que les rescapés de Yavné se livraient à leur casuistique, le christianisme conquérait le monde et faisait de la Bible le livre de l’humanité croyante. Et quand, dit Renan, un peuple a fait la Bible, on peut lui pardonner d’avoir fait le… talmud. Voici la conclusion :  En somme, ce n’est pas la Tora qui a transformé le monde. L’école d’Esdras et celle de rabbi Akiba n’auraient réussi à former qu’une secte fermée et intolérante, insociable. Ce qui a transformé le monde, ce qui a fondé la religion universelle, c’est l’idéalisme des prophètes, c’est l’affirmation d’un avenir de justice pour l’humanité, c’est l’idée d’un culte sans sacrifices, réduit aux hymnes et aux sentiments intérieurs. Voilà la doctrine, sortie des prophètes, qui, relevée par les Esséniens, les Thérapeutes et les chrétiens, a fait dans le monde la plus extraordinaire des révolutions religieuses. Quant à la partie lévitique le christianisme l’abrogea et fit bien de l’abroger.

    Trois années avant sa mort, Ernest Renan faisait son cours au Collège de France sur le livre de la Genèse ; depuis quelques années, nous avons la teneur de cet enseignement grâce aux bons soins de Laudyce Retat. . Il s’agit d’une lecture critique de la Genèse, forte de cinquante chapitres et qui constitue le fondement même de l’histoire biblique en raison des faits et gestes des patriarches et des nombreuses tables généalogiques qu’elle contient. Pour le critique biblique que fut Renan, les différents rédacteurs se sont  ingéniés à mettre à profit un substrat oral de premier plan dont ils disposaient: les légendes patriarcales
    Nous allons passer en revue les grandes lignes de cette exégèse biblique typiquement renanienne car elle montre le savant hébraïsant du Collège de France au contact immédiat de sa matière, la version originale du livre de la Genèse. Dans son préambule, l’auteur note qu’on croit la Bible et l’Evangile à cause «d’une apparence de candeur enfantine et aussi d’après cette fausse idée que la vérité sort de la bouche des enfants.» Renan apporte à cela une démenti formel, ce qui laisse bien augurer de la suite : la plus grande erreur de la justice, dit-il, est de croire au témoignage des enfants. Partant, il ne croit pas lui-même au témoignage de la Bible…  Et en effet, Renan s’en prend, pour commencer, à un dogme fondamental du catholicisme, celui de la divinité trine que l’on rapporte généralement aux trois anges apparus à Abraham. Pour l’auteur, le constat est sans appel : Il ne peut s’agir d’une allusion au dogme de la trinité, apparu beaucoup plus tard. Par ailleurs, toute l’histoire d’Abraham est tissée à partir des vénérables légendes patriarcales ; selon Renan, le texte fut rédigé vers l’an 900 et repris vers 850 ou 825 par le rédacteur Iahwiste qui y ajoute des circonstances reflétant ses idées sur la justice de Dieu. Mais il garde, de l’ancien texte, des idées relatives à l’hospitalité légendaire d’Abraham, laquelle nous plonge dans un authentique milieu oriental.
    On sent que les rédactions successives ont considérablement accentué le caractère piétiste de ces passages: même l’aspect aride et salin de la mer Morte est interprété comme un bouleversement, un cataclysme, intervenu sur une injonction divine, par suite des crimes des habitants.  Il y aurait eu là une action d’une volonté supérieure, mue par des considérations de moralité et infligeant une punition juste ; on verra ce même sentiment se développer plus tard chez les prophètes. Le rédacteur insiste sur la théodicée et l’intimité qui unit Abraham à Dieu. Ce dernier prévient son patriarche préféré de ses actions à venir et consent –à sa demande-  à changer la rigueur implacable d’un jugement en une grâce miséricordieuse. Le Iahwiste donne libre cours à sa forte sensibilité religieuse, à sa conception de la providence divine individuelle et insiste beaucoup sur l’action de Dieu : est-ce que celui qui juge toute la terre ne pratiquerait pas la justice ? (Genèse 18 ; 25)
    Certaines incohérences du texte biblique intriguent cependant Renan : Dieu promet à Abraham une nombreuse progéniture, lui qui eut les plus grandes peines du monde à engendrer un enfant. Et une fois que cet enfant naît et grandit, Dieu ne trouve rien de mieux à faire qu’à demander qu’on le lui offre en sacrifice… Et comble de l’invraisemblance, Abraham accepte sans rechigner. Ce chapitre 22 de la Genèse est une sorte de mise en scène destinée à bannir le sacrifice humain et à le remplacer par l’offrande d’une bête, immolée sur un autel exclusivement dévoué au Dieu unique. Ce chapitre marque donc un tournant dans le culte sacrificiel, une révolution religieuse majeure. Et pour récompenser Abraham de sa foi aveugle et de son amour infini pour Dieu, la Bible lui promet une nombreuse progéniture et l’assurance que toutes les familles de la terre seront bénies grâce à lui… Cette dernière phrase marque l’acte de naissance de la fraternité d’Abraham.
    Le chapitre 23 de la Genèse, écrit par l’Elohiste vers 800, est bien renseigné par ce qu’il voyait autour de lui, mais dépeint des personnages fictifs n’ayant jamais existé. Il s’agit des tractations menées par Abraham avec les fils de Hêth en vue d’acquérir un caveau où Sarah sera enterrée. Le rédacteur voulait certainement insister sur l’authenticité des titres de propriété de la descendance d’Abraham sur la grotte de Makpéla. Examinant la structure de ces récits de la Genèse, Renan parle des liens qui unissaient jadis ces deux tribus sémitiques que sont les juifs et les Arabes. Ce sont les juifs qui ont fourni aux Arabes de tels récits amplifiés et largement développés aux fins d’exégèse. On les retrouve donc  sous la forme d’aggadot vers le VIIe siècle de notre ère. C’est pour cette raison que le Coran ne s’accorde pas vraiment avec la Bible car ce n’est pas à la source qu’il a directement puisé, mais dans des commentaires subséquents. De même, Mahomet ne savait que fort peu de choses du christianisme. Ce qu’il en savait venait de l’Evangile de l’enfance, écrit dérivé des Evangiles canoniques. Renan ajoute que l’Arabie  était pénétrée de l’esprit juif. Sans Mahomet, elle serait peut-être devenue juive.
    On évoque souvent les contestations judéo-chrétiennes, mettant aux prises deux partis issus d’un même peuple qui proposaient des interprétation différentes, voire opposées des mêmes récits bibliques. On oublie que le différend avec l’islam était plus grave. Si les chrétiens n’attaquent les juifs rabbiniques que sur l’interprétation du texte –notamment l’exégèse typologique qui retrouve Jésus, Marie et la croix dans de nombreux versets de la Bible hébraïque- l’islam a directement parlé de falsification (tahrif) des Ecritures : les juifs auraient sciemment censuré le nom d’Ismaël, lui substituant celui d’Isaac dont ils se veulent les descendants… Or, c’est justement de la naissance d’Ismaël et de son devenir que Renan nous parle dans les pages suivantes. Il n’a guère de difficulté à montrer que sur cette question, le texte biblique est absolument composite, mêlant des traditions à la fois différentes et contradictoires : 

    a)    Ismaël aurait été expulsé alors qu’il était encore dans le ventre de sa mère.
    b)    Il aurait été chassé alors qu’il était encore tout petit.
    c)    Il n’aurait été chassé qu’à l’âge de 14 ans.
    d)    Et enfin, d’après le verset 9 du ch. 25, il serait resté avec Abraham pendant toute la vie de son père. Ce qu’on nous apprend en relatant l’enterrement du patriarche par ses deux fils Isaac et Ismaël.

    La stérilité, précédant la naissance de grands personnages, est un leitmotiv de toutes les littératures orientales. On entendait accentuer par là l’aspect miraculeux d’une naissance : Sarah, Rébecca, Rachel, Anne, la mère de Samuel, furent dans la même situation. La naissance des grands personnages est donc souvent précédée de la stérilité de la mère, et jamais de celle du père. C’est évidemment Dieu qui décide d’ouvrir l’utérus de la femme après l’avoir tenu fermé (ki sagar ha-El rahmah). On sent bien que la légende patriarcale ne contenait pas, à l’origine, la moindre référence à une intervention divine miraculeuse, c’est le rédacteur Iahwiste qui l’y introduit en remaniant son texte. Ainsi, ce sont des messagers surnaturels qui annoncent à Sarah sa maternité prochaine. Des événements, somme toute naturels, prennent les allures de miracles, constitutifs d’uns histoire sainte. La base de cette théologie est formée par le pacte ou l’alliance entre Dieu  et les fils d’Israël (Bené Israël), à la condition expresse que ces derniers demeurent fidèles à l’Eternel.
    C’est dans ce même cours sur la Genèse que Renan décide de traduire le terme hébraïque Elohim (Dieux au pluriel, mais toujours accordé au verbe au singulier, à une exception près) par : les esprits, ce qui est une excellente traduction. Pour Renan, Elohim était conçu comme désignant la masse confuse des êtres constituant la divinité dans son ensemble.   Ce Dieu n’hésite pas à promettre maintes fois la même terre aux différents patriarches. Avec Jacob, dit Renan,  (la terre que je te donnerai) c’est la troisième charte de donation de la Palestine qui avait déjà été  donnée  à Isaac. L’auteur postule l’existence de deux types de littérature qui gravèrent les faits et gestes des héros dans la mémoire de la nation : l’un est bien celui que Renan nomme le Livre des légendes patriarcales qui renferme des souvenirs assez idylliques ; l’autre est le livre des Guerres du Seigneur  qui relate les expéditions guerrières.
    Renan admet que l’on ne connaîtra jamais avec exactitude l’origine des cultes religieux. Une ethnie arrive dans un pays, elle y fixe les lieux de culte qui  ne changent pratiquement plus, même si l’objet du culte peut varier. Et l’auteur de conclure avec justesse : Ainsi, les pèlerinages chrétiens ont, chez nous, succédé aux pèlerinages romains, en remontant jusque dans la nuit des temps.
    La Genèse nous présente le changement de nom de Jacob en Israël comme une simple formalité et nous fournit une étymologie purement populaire (Israël, ki sarita im elohim we’im anashim wa-toukhal : désormais tu seras Israël car tu as combattu  avec elohim comme avec des hommes et tu as vaincu. Gen 32 ;29). En réalité, il s’agissait d’une fusion entre deux ethnies, celle des enfants d’Israël et celle des enfants de Jacob. Les douze tribus qui constituent le descendance de Jacob descendent de quatre groupes qui reflètent assez bien cette nécessaire fusion : six enfants de Léa, quatre des servantes et deux de Rachel (Joseph et Benjamin). En passant, Renan adresse un bel hommage au grand bibliste Julius Wellhausen (sur lequel nous reviendrons) qui fit une œuvre remarquable en parvenant à reconstituer les deux récits originaux qui forment la trame de la Genèse..
    Dans ce livre de la Genèse, on voit le culte de Iahwé remplacer progressivement les cultes ancestraux précédents. Déjà Jacob avait sacrifi

  • Comment désengorger les prisons?

     

      VERS UNE GÉNÉRALISATION DU BRACELET ELECTRONIQUE ?
        Si la mesure devait se généraliser, nous irions alors vers la résolution progressive d’un problème humain particulièrement douloureux et grave en France : l’augmentation exponentielle de la population carcérale ! Les chiffres donnent froid dans le cas : un peu plus de 63000 personnes sont derrière les barreaux alors qu’il n’ y a que 50.000 places dans nos prisons. C’est énorme !
        Certes, les évolutions sociales, le chômage, les inégalités de revenus, la télévision, les banlieues, bref tous les facteurs générateurs de frustrations, de violences et de malaises se conjuguent pour pousser une certaine frange de la population au crime et à la délinquance… Je ne justifie rien du tout, je tente de comprendre sans excuser quoi que ce soit.
        Le bracelet électronique est un pis aller puisqu’il faudrait s’attaquer aux racines du mal, c’est-à-dire ce qui pousse au crime et à la délinquance. Il y a des situations criminogènes, des gens qui ne sont pas méchants mais que leur désespoir pousse à des comportements coupables qui doivent être réprimés par la loi… Nous devons revoir le volet d’assistance sociale, destinée à réduire considérablement les petits délits, les petits crimes qui engorgent les prisons et mettent une population fragile et non criminelle au contact de malfrats dangereux. Et le bracelet électronique peut nous y aider.
        L’avantage est multiple : moins de gens dans les prisons, moins de promiscuité, moins de haine et de frustrations. Par ailleurs, on peut prescrire les assignations à domicile, les arrêts domiciliaires comme en Italie et les interdictions de séjour soit de toute la France soit de certains départements… Mais ce sera difficile.
        Etant un philosophe médiéviste, je ne puis m’empêcher de faire un renvoi vers un brillant penseur musulman d’Afrique du Nord, Ibn Badja, l’Avempace des Latins. Il écrivit peu mais ses traités sont d’une grande densité. Je citerai l’Epître de l’adieu (Risalat al-wada’ ; traduit en hébreu au Moyen Age par Hanhagat ha-Mitbodéd)) le Traité sur l’âme et le dernier texte que je veux exploiter, Le régime du solitaire (Tadbir al-Mutawahhid).
    Ce dernier texte est un texte philosophique qui s’interroge sur le devenir d’un homme vertueux, isolé dans un environnement qui ne lui correspond guère. Se pose alors la question de la détermination d’une cité vertueuse et d’uns société parfaite que ibn Badja définit ainsi : la cité parfaite ne requiert ni juge ni médecin car ses habitants savent ce qui leur est profitable et ce qui leur est nuisible, ils savent où s’arrêtent leurs droits et où commencent leurs devoirs… Nous en sommes loin… Et ibn Badja est mort au cours de la seconde moitié du XIIe siècle ! C’est dire le chemin qui nous reste à parcourir.


     

    Lien permanent Catégories : France
  • BERNARD LEWIS, ISLAM, QUARTO, GALLIMARD, 2005., 1554 PAGES (POUR 25 €)


    BERNARD LEWIS, ISLAM, QUARTO, GALLIMARD, 2005., 1554 PAGES (POUR 25 €)
        Avec ce livre, nous avons affaire à une véritable petite encyclopédie portative sur l’islam, tant ancien, moderne que contemporain. Fait par le meilleur spécialiste de l’islam, encore vivant, quoiqu’âgé d’un peu plus de 90 ans. Arabisant confirmé, enseignant dans les universités américaines les plus prestigieuses, le professeur Bernard Lewis que j’eus l’honneur de rencontrer à Philadelphie dans le cadre de l’Annenberg Research Institute en 1989, fait l’unanimité.
        Cet ouvrage contient une grande quantité d’articles, d’études et de livres de taille plus réduite. Impossible de les résumer ou simplement de les évoquer par leurs titres. Mais certaines contributions méritent la mention et exigent une lecture aussi attentive qu’approfondie. Le seul reproche (et encore, le terme est fort) qu’on puisse articuler contre Bernard Lewis est son tropisme turcophile et sa séduction (qu’il ne dissimule guère, du reste) par la réussite de l’aventure ottomane.
        La belle étude sur les Arabes est remarquable ainsi que son appareil critique, ses références érudites et ses fins jugements. Un savant aussi universel ne peut empêcher la contestation ou la critique de non-spécialistes, ce que Lewis a bien voulu supporter mais sans manquer d’y répondre. Je fais allusion ici à la controverse qui l’opposa à Edward Said qui l’attaqua ainsi que d’autres arabisants non musulmans dans son livre intitulé Orientalisme. Lewis réfute sans peine les arguments de Said qui était un littérateur attachant et intelligent sans jamais être un philologue sémitisant confirmé. Dans sa réponse, Lewis fait une large rétrospective des critiques articulées par des musulmans, mécontents de voir des non-musulmans étudier les textes fondateurs de l’islam.  Le reproche majeur tient en une phrase : en étudiant l’islam de leur point de vue, les islamologues ou orientalistes, forment ou forgent une opinion laquelle se  veut fondatrice d’une identité que certains nationalistes arabes ou musulmans, culturels ou religieux, ne reconnaissent pas. C’est un peu comme si les élites d’une nation étrangère s’arrangeaient le droit de gérer le patrimoine religieux et culturel d’une nation qui leur interdit de le faire ou en contestent la légitimité…
        Un autre article de Lewis porte sur les juifs d’Europe qui étalèrent leurs opinions pro-islamiques, certains s’étant même convertis au catholicisme ou au protestantisme. Lewis cite d’impressionnantes listes de savants sémitisants et arabisants qui révolutionnèrent la connaissance de l’islam et de son fondateur.  Salomon Munk et Georges Vajda en France et Moritz Steinschneider en Allemagne. L’exemple le plus frappant est celui du savant judéo-hongrois du XIXe siècle Ignaz Goldziher qui alla jusqu’à se faire passer pour un musulman afin d’être admis six mois à l’université d’Al-Azhar ! Ses œuvres, notamment les Muhammedanische Studien furent traduits en arabe, en occultant bien sûr, ses origines juives. C’était un juif très pieux, impressionné par la notion de tawhid (monothéisme strict) des Musulmans.
        Lewis (qui est de nationalité britannique) montre aussi que Benjamin Disraeli, bien que converti, se vit longtemps reprocher sa politique prétendument pro-turque à l’encontre de la Russie, lors de la guerre qui opposa les deux pays. Alors que son objectif majeur était de prévenir un charcutage de l’empire ottoman, générateur de frustrations et donc de futurs conflits, certains voulurent y voir des séquelles d’une sympathie juive pour les Turcs, musulmans, à l’encontre d’une chrétienté persécutrice… Goldziher fit de son mieux pour présenter l’islam de manière à la fois scientifique et bienveillante. A l’un de ses étudiants musulmans, il lança la phrase suivante :  c’est pour votre peuple et le mien que j’ai vécu. Quand vous retournerez dans votre pays,n dites le à vos frères… Tout un programme !

        Je donne infra une analyse d’un de ses alivres repris dans ce gros volume qui s’intitule : Que s’est-il passé ?
        Oui, que s’est-il vraiment passé au cours de l’Histoire, ancienne ou plus récente, pour qu’un certain Islam se réveille avec la violence  inouïe du 11 septembre 2001 et qu’il se mue en ennemi implacable d’un Occident lequel incarne à ses yeux, à tort ou à raison, la cause de tous ses maux ? C’est, en fait, la question principale que se pose l’un des plus brillants orientalistes et islamologues de notre temps, Bernard Lewis, dans son tout nouveau livre traduit en français.
        Dans une introduction assez étendue mais qui n’est nullement centrée autour de l’actualité, si spectaculaire soit-elle, l’auteur souligne que «pendant des siècles, le monde islamique a été à la pointe du progrès et de la culture.» En réalité, les choses sont un peu plus complexes : ce ne fut pas le monde islamique dans son ensemble, mais ses élites (coupées du reste du peuple) qui incarnèrent l’esprit critique et l’intelligente innovante. Spécialiste incontesté de l’empire ottoman, Bernard Lewis a parfois tendance à accorder la plus grande importance à cette aire géographique et culturelle au détriment des autres représentants de l’Islam (par exemple les Arabes et les Iraniens). Mais ce choix se justifie aussi pleinement puisque seule la puissance turque a pu se rapprocher dangereusement du cœur de l’Europe  (la ville de Vienne) après avoir conquis l’ancienne Constantinople en 1453. S’ils avaient su tirer profit des avancées scientifiques et du système politique de l’Occident chrétien, les autorités turques auraient vraiment pu ne laisser aux peuples non-musulmans que le choix entre les deux termes de l’alternative suivante : soit être absorbée dans l’Empire soit se convertir à l’Islam… Cette irrésistible ascension, en apparence, du moins, s’enraya et le véritable essor de l’Europe chrétienne  s’imposa aux yeux de tous. Ce que note B. Lewis en  page 13 : « Et puis, soudain, le rapport s’inversa. Avant même la Renaissance, les Européens se mirent à faire de sérieux progrès dans les arts et la culture.  Avec la Renaissance, ils accomplirent de grands bonds en avant, laissant loin derrière eux l’héritage scientifique, technique, et même culturel  du monde musulman.»
    Il semble que l’année 1684 marque un tournant : les armes turques cessèrent d’être décisivement victorieuses face à une chrétienté devenue plus combative et enfin consciente de la menace qui pesait sur elle au cœur même du vieux continent. Mais B. Lewis note finement que ces sérieux revers militaires eurent au moins l’avantage d’imposer à l’esprit turc l’art de la médiation, de la diplomatie et de la négociation.
        Dans le premier chapitre justement intitulé  Les leçons du champ de bataille, l’auteur s’interroge sur deux attitudes révélatrices de la mentalité musulmane dans ses relations avec les autres cultures et/ ou religions :  était-il licite pour des musulmans de se mettre à l’école de non-musulmans, c’est-à-dire d’infidèles ? Et pouvait-on, dans certains cas, s’allier avec des «infidèles» afin de combattre d’autres «infidèles» ? Pour l’Islam victorieux la nécessité de repousser les anciens adversaire aussi sur les plans doctrinal et religieux s’est très vite fait sentir. Mais la puissance turque, pas moins que les autres Etats musulmans, ne fut guère épargnée par la tentation fondamentaliste, c’est-à-dire,  dans ce cas précis, un retour biaisé aux sources : contemplant les ruines encore fumantes de ses troupes terrestres ou l’anéantissement de sa flotte par les forces chrétiennes, les autorités turques se dirent que «la source de tous ces maux tenait au fait qu’on s’était écarté des bonnes vieilles traditions musulmanes et ottomanes, auxquelles il convenait à présent de faire retour.» Au fondement même de ces explications gît le principe du repli et de la crispation identitaires face aux défis d’un monde qu’on ne maîtrise plus. Ceci explique aussi le choc des cultures et l’affrontement des civilisations. B. Lewis montre bien que cet affrontement n’est pas inéluctable pour peu que les cultures soient conscientes des valeurs qu’elles partagent et incarnent, chacune à sa manière.
        Apparemment  -et ceci est le second thème majeur du livre-  le mépris séculaire des Turcs pour les infidèles interdisait une telle démarche qui, si elle avait été un tant soit peu exploitée, aurait peut-être assuré la pérennité de l’Empire. En bon représentant musulman de la philosophie grecque, Averroès ob. 1198) lui-même avait été mieux inspiré en posant intelligemment le problème dans l’introduction à son fameux Traité décisif : reprenons, écrivait-il, à notre compte, dans le cadre de nos propres spéculations, les acquis de la Logique des Grecs. Si leurs démarches sont avérées, nous ne courons aucun  risque de nous fourvoyer en  les suivant ; si tel n’est pas le cas, et si les Grecs se sont trompés, eh bien rendons  hommage à leurs efforts intellectuels passé… 
        Sans suivre vraiment Averroès, les Turcs firent cependant, bien avant les autres puissances musulmanes des progrès notables dans les domaines de l’imprimerie, des traductions et de la presse où certaines voix autorisées s’élevèrent pour défendre les droits de la femme, par exemple. Il est vrai que certains ambassadeurs de la  Porte Sublime avaient envoyé à leur gouvernement des rapports étonnés sur les égards que même l’Empereur témoignait aux dames dans la ville de Vienne… Se découvrir, s’incliner devant une dame et lui accorder la préséance, toutes ces choses étaient une nouveauté par l’émissaire turc ! Et pourtant, l’esprit nouveau finira par s’imposer progressivement dans ces milieux fermés : on vit émerger des figures encore peu connues dans cette socio-culture orientale ; nous pensons à l’avocat et  au professeur, deux professions qui arrachent leur autonomie à une emprise religieuse omniprésente.
        Comment faire tomber toutes ces barrières sociales et surtout religieuses qui compromettaient durablement la modernisation du vécu et du penser des musulmans ? En réformant en profondeur trois secteurs vitaux de l’Etat : le militaire, l’économique et le politique. Mais pour le faire, il fallait imiter la démarche averroïste, c’est-à-dire se mettre à l’école des maîtres de l’Occident chrétien. Or, la chrétienté avait déjà liquidé les séquelles des systèmes féodaux et arriérés en supprimant presque entièrement l’esclavage, en améliorant le statut des femmes et en optant, avec des fortunes diverses, pour un minimum de tolérance à l’égard des autres croyances.
        Si l’Islam se caractérise surtout par un attachement sans faille à des valeurs intrinsèquement religieuses, peut-il, sans se trahir son essence, s’accommoder de la laïcité ? Comme en hébreu, il n’existait pas originellement de terme adéquat en arabe pour désigner ce vocable. Ce sont des chrétiens arabophones qui pallièrent ce manque en recourant à un terme qui désigne les choses de ce monde-ci, la mondanité (alamani). Le défi à relever était rien moins que celui de la sécularisation ou de la neutralisation de l’aspect religieux des valeurs.
        Enfin, s’il est un aspect de l’existence sur la valeur duquel l’Islam et l’Occident divergent largement, c’est bien le temps. Dans la culture musulmane, c’est la prière qui rythme les travaux et les jours alors qu’en Occident les servitudes techniques ont contribué à faire de l’homme l’esclave du temps.
        Ce petit livre de Bernard Lewis apporte bien  plus que des éclairages judicieux sur les raisons d’une décadence dont la moindre des conséquences n’est pas le retard historique de l’Islam par rapport aux autres religions et sa difficulté à se faire reconnaître comme une religion d’Europe, parmi d’autres. Au fond, l’auteur a raison de poser deux types de question qui cernent bien la problématique : qu’est-ce que l’Islam a fait des musulmans ? Et qu’est-ce que les musulmans ont fait de l’Islam ?
            Lewis parle aussi du panarabisme et d’autres sujets, notamment le terme Palestine dont on relit chez lui qu’il s’agit d’un terme phénicien désignant la peuplade des Philistins, occupant un territoire dont le nom et les dimensions géographiques n’ont cessé d’évoluer avec le temps et les époques. Mais je me garderai bien d’entrer dans les détails afin de provoquer l’ire d’aucun internaute. J’ai vu le courrier que m’a attiré une simple mention sur l’arabité de l’Algérie qui, vérification faite, est membre à part entière de la Ligue arabe…

    Lien permanent Catégories : Histoire