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  • L’affaire Grégory

    L’affaire Grégory

    S’il y a une affaire dont je me souviens assez bien car elle avait, en son temps, défrayé la chronique, c’est bien celle de ce petit garçon, retrouvé noyé dans la Vologne et dont on n’a jamais découvert le ou les meurtriers. Ce fut un drame, des juges furent mutés, la presse s’empara de l’affaire plutôt bruyamment et tout ce tintamarre n’a rien donné…

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  • Jean KAHN, Combats pour les droits de l’homme. Entretiens avec Philippe Olivier. Paris, Hermann, 2009.

    Jean KAHN, Combats pour les droits de l’homme. Entretiens avec Philippe Olivier. Paris, Hermann, 2009.

    Quelques années après la parution de l’ouvrage du président Jean KAHN, L’obstination du témoignage, vous nous faites tous deux l’aubaine d’un nouveau livre d’entretiens, si justement intitulé, Combats pour les droits de l’homme. Vous ne pouviez pas trouver meilleur titre pour décrire le contenu de l’ouvrage car Jean Kahn a placé toute son existence sous le signe de la solidarité humaine : de la défense des réfugiés bosniaques auxquels il trouva un asile en Israël, jusqu’à son indéfectible soutien à la survie et à la sécurité de ce pays, Jean Kahn a sillonné la France, l’Europe et même le monde si l’on ajoute ses rencontres avec les dirigeants juifs américains, le roi Hussein de Jordanie, le président égyptiens Moubarak et bien évidemment les plus hauts dirigeants israéliens

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  • MAURIAC, Journal, mémoires politique

     

     

     

    MAURIAC, Journal, mémoires politiques. Edition établie et présentée par Jean-Luc Barré. Robert Laffont, collection Bouquins. Paris, 2008.

    Quel style, ce François Mauriac, quelle vigueur, même dans des descriptions dont on ne retient pas grand’ chose après les avoir lues et qui, pourtant, nous marquent, laissent une empreinte au fond de nous-mêmes. On l’aura compris, le lecteur philosophe peine à rentrer dans les écrits du grand intellectuel catholique, mais se laisse progressivement gagner par je ne sais quel charme de conteur, sensible à tout ce qui le touche, plein de révérence à l’égard de ce bel Oiseau bleu (le bonheur) que chacun aimerait voir planer sur son existence. Au début, après une lecture attentive de l’excellente introduction générale de Jean-Luc Barré, je me suis dit que je ne lirai sûrement pas la totalité des chroniques et passages , notamment tirés du journal intime. Et ensuite, on éprouve du mal à reposer le livre, tant le style limpide et si attachant de l’auteur nous captive et nous enchaîne à sa lecture.

    Ce n’est, certes, pas du Louis Massignon, ni du Jean d’Ormesson, ni du François Furet, tous présents dans cette prestigieuse collection Bouquins, mais c’est autre chose. Des réflexions profondes, admirablement servies par des formulations à la fois sensibles et intelligentes, ne laissent pas d’étonner de la part d’un homme qui n’était encore, au début des années trente, qu’un écrivain en herbe : cette méditation sur la violence de la passion amoureuse, sur la pureté de la jeunesse qui croit aux promesses de fidélité et du dévouement, au point même de refuser de continuer à vivre si elles n’étaient plus tenues, et cette phrase frappée au coin du bon sens où tout diplômé de l’enseignement supérieur se reconnaîtra : et de presque tous, la nation fait, de quinze à trente ans, des assujettis aux examens et aux concours (p 18). Quelle triste vérité ! Mauriac pensait aussi, très probablement, qu’à cette tranche de vie, nous avions tous d’autres expériences à vivre que l’empilement de connaissances… Parlant du long voyage précédant la conversion du père Charles de Foucault, Mauriac écrivit cette phrase admirable : ce temps d’abjection volontaire, d’ascétisme, de solitude, creusait dans ce cœur, le lit de la grâce ( p 30). C’est largement christianisant, mais tout de même très beau.

    L’élément religieux et la composante confessionnelle sont largement présents dans ces textes : des citations de Saint Paul, des références à Dieu, des métaphores bibliques, autant de choses qui ne se retrouvent plus du tout sous la plume des éditorialistes d’aujourd’hui. Qui se permettrait d’écrire actuellement ce très beau texte sur le pardon où nous lisons cette angoissante interrogation sur la rémission des péchés… Qui donc aurait le pouvoir de nous l’accorder ? C’est bien à travers ces pages qu’éclate la profonde religiosité de Mauriac.

    Témoin ce texte si dense consacré au christianisme de Barrès qui, dit-on, aura tant défendu le christianisme sans y croire lui-même. Mais tout en semblant réduire à néant les arguments des incrédules, Mauriac leur donne une formulation si convaincante qu’on se demande encore ce qu’il pensait vraiment : car enfin, l’essentiel est d’avoir la foi ; la foi est une réalité même si son objet se trouve être une illusion. Un bonheur illusoire est malgré tout le bonheur ; l’espérance sans fondement n’en demeure pas moins l’espérance ; et s’il n’y avait pas d’éternité, les chrétiens ne le sauraient jamais : le néant ne confond personne. (p 183) On en vient à se demander vers quel côté penche le cœur de Mauriac…

    Dans le même registre : le 20 juillet 1937, Le Temps publiait un article-confession (comme toujours) de François Mauriac, intitulé Le salut de Renan dont la lecture attentive (pp 225-227) ne laisse pas d’émouvoir. Tout lecteur cultivé connaît les raisons qui n’ont pu qu’éloigner un catholique comme Mauriac d’un libre penseur comme Renan. Mais un esprit aussi fin que Mauriac n’a pu, à l’âge de la maturité, passer à côté d’une âme aussi intègre que Renan dont l’amour de la Vérité (et de Dieu) demeure incontestable. L’écrivain catholique commence par rappeler qu’il ne se reconnaît plus dans ces condamnations sommaires dont il était coutumier du temps de sa jeunesse. L’expérience lui a appris que «l’amour outrancier de la vérité» avait égaré Renan : Pour le chrétien, le drame de Renan est celui d’un homme que l’amour de la vérité a éloigné de la vérité (p 226). De nouveau, la fibre catholique de l’auteur s’empare de sa plume et rappelle la fameuse phrase des Evangiles, Je suis la Vérité… Pour des raisons de philologie, dit Mauriac, Renan a renoncé à l’amour de celui qui a renouvelé la face de la terre et de nos pauvres cœurs. Il oublie, cependant, que la vérité des textes révélés, ou prétendus tels, dépend d’une approche scientifique de ces mêmes documents. Renan a même écrit, avec l’ironie mordante qui le caractérise, qu’à genoux on lit très mal. Comprenez : ne nous mettons pas à genoux devant les sources anciennes sur lesquelles reposent nos religions… Mais Mauriac a raison de souligner que si Renan a rejeté le magistère de l’église et ses exégèses bibliques qui tournaient le dos à la méthode historico-critique, il n’a, en revanche, jamais rejeté l’amour de Jésus qui lui semblait indéracinable. Jamais Renan n’a tenté d’effacer cette empreinte laissée en lui par ses premières années de séminaire. On voit que Mauriac avait, comme tous les jeunes intellectuels du début du XXe siècle, fait une lecture attentive des Souvenirs d’enfance et de jeunesse (1883) d’un Renan qui se penche avec nostalgie sur sa vie, alors qu’il n’a plus qu’une petite décennie devant lui. Le témoignage de sa fille Madame Psichari que Mauriac rappelle opportunément est crucial : son vieux père lui enjoint de croire en l’immortalité, même, ajoutait-il, si l’on te cite certaines de mes phrases qui la nient. Mais la foi en l’immortalité n’entraîne pas nécessairement la foi en la véracité du catholicisme qui demeure, en tout état de cause, une grande religion. Les adversaires de Renan ont voulu le discréditer en en faisant un matérialiste accompli pour qui plus rien ne subsistait de l’homme après son départ de cette terre.

    Mauriac évoque un nouveau thème dans son article sur Renan : la convoitise de l’esprit, écrit-il, paraît aussi redoutable que celle de la chair. Un tel principe, éminemment chrétien, ne pouvait guère complaire à un savant tel que Renan que la découverte de l’hébreu et l’apprentissage de l’allemand ont radicalement transformé. Mais Mauriac introduit un nouveau distinguo qui atteste une nouvelle fois de sa finesse d’esprit. Savons nous, s’interroge-t-il, ce que Dieu pense d’une hérésie? Les théologiens dont c’et la spécialité peuvent y parvenir, mais nul ne saura jamais ce que Dieu pense de ceux qui professent cette hérésie. Ce qui est une manière de laver Renan de l’accusation d’impiété. Quel vibrant appel à la tolérance, surtout sous la plume d’un catholique aussi convaincu. La fin de cet article est univoque. Le Dieu auquel Renan renonça n’a pas, lui, renoncé à Renan. Tant il est vrai que la miséricorde divine n’a pas de fin…

    Mais dans ce très riche et très vaste volume (plus de mille pages en petits caractères !) on sent affleurer l’ironie dont l’auteur était coutumier, surtout lorsqu’il se penche sur les mœurs de son temps ou décrit les comédies sociales des uns et des autres. Il faut relire ce texte des années trente où il décrit les changements d’attitude de ceux qui s’adressent à lui en se disant que désormais «il est devenu quelqu’un». Il relève que les portes de l’immortalité académique enfin ouvertes, ceux qui lui écrivaient «cher Ami» disent à présent «Monsieur et cher Ami». Mais le plus saisissant de tous les changements s’observe, selon l’illustre éditorialiste du Figaro, chez les dames qui se piquent d’esprit et évoquent Proust à tout bout champ…

    En plus de la sensibilité religieuse, il y a le discernement, parfois prophétique, de l’analyste politique. J’ai lu le texte intitulé La harpe de David où Mauriac célèbre l’Autriche de Mozart, soulignant que l’Allemagne a besoin de l’Autriche pour vivre, à une époque où le loup tapi en Bavière, le Führer Adolf Hitler, la guette, prêt à la déchiqueter… Car l’Allemagne a besoin plus qu’aucune autre nation, que l’Autriche vive ( p 131). Ce que l’Allemagne rejetait ou expulsait, l’Autriche l’accueillait : ( p 131) elle recevait en dépôt l’honneur de l’Allemagne. Et cette phrase aux accents sibyllins : tout est écrit d’avance mais indéchiffrable jusqu’à l’accomplissement (p 138).

    Lorsque la tragédie hitlérienne de l’Europe toucha à sa fin après d’indicibles souffrances et des affres inoubliables, Mauriac publia un texte intitulé Le malaise de Nuremberg (5 septembre 1947). Ce qui m’a frappé dans ce texte, ce n’est pas que des criminels nazis, coupables d’un génocide, comparaissent enfin devant un tribunal pour répondre de leurs actes, c’est plutôt l’émouvant témoignage sur les enfants déportés, aperçus par son épouse, Jeanne Mauriac, en gare d’Austerlitz : ces assassins qui avaient repris à froid et en partie exécuté le projet d’Assuérus d’anéantir une race entière et d’en exterminer les enfants (nous les avons vus en gare d’Austerlitz , ces sombres agneaux, et leurs petites têtes paraissaient aux claires-voies, et la police française les gardait…) il était bon que ces misérables fussent jugés dans ce haut lieu, dans ce Nuremberg où avaient éclaté leurs fanfares où ils avaient déliré face à leur blême idole aux courtes moustaches. (p 436) Dans le prolongement des menaces que l’Allemagne hitlérienne fit peser sur l’Europe entière, on trouve un beau texte de Mauriac sur Israël où il proclame sa solidarité avec le judaïsme persécuté et souffrant (p 712). Mauriac a pris la parole le 5 février 1938, à un moment où la situation des juifs d’Allemagne est plus que critique. Il dénonce l’antisémitisme dont nous tous, dit-il, sommes les héritiers. Il pense assurément à cet antijudaïsme dont une certaine église, oublieuse de ses racines juives s’est fait l’émissaire et la propagatrice. Ce qui m’a le plus touché, c’est la sincérité de ce grand catholique qui dénonce cet antisémitisme rampant et ce zèle convertisseur de ceux-là même qui, dans son Eglise, osaient dire aux juifs persécutés ce qu’ils devraient faire dans l’intérêt bien compris de leur cause. Certes, on me rétorquera que Mauriac lui-même, dans cet article, parle aussi des défauts (lesquels ?) d’Israël… Il écrit, cette flamme redoutable que la persécution a éveillé en lui… (p 713). Mais cette dénonciation de l’antisémitisme, cette protestation publique d’affection et d’amitié pour certains juifs, à cette époque ( !!) sont inouïes : on est encore très loin du concile Vatican II ( mais l’auteur en parle dans sa préface de 1967 à ses Mémoires politiques, p 664), Nostra Ætate est impensable, une ecclésia triomphante est à la manœuvre et entend en avoir bonne conscience sans tolérer que quiconque vienne troubler sa quiétude… Les amitiés judéo-chrétiennes n’avaient pas encore pignon sur rue et on était à des années lumière de l’idée même de repentance, une idée pourtant nichée au cœur même des Evangiles…

    Un dernier mot sur ce que Mauriac nomme le «problème juif», probable traduction de l’allemand Judenfrage… L’auteur parle du livre (Le camp de la mort lente 1941-1942) de Jean-Jacques Bernard, le fils de Tristan, qui avait été interné au camp de Compiègne-Royallieu où les Nazis soumettaient leurs prisonniers à un régime de famine. Là aussi, les positions et les commentaires de Mauriac qui me conviennent à moi parfaitement – car je les resitue dans leur contexte de l’époque, en étonneront plus d’un qui n’acceptera pas que l’on interdise aux juifs d’être aussi une communauté nationale (une nation, un peuple) et plus uniquement une communauté religieuse (une confession)… Comment un catholique français comme Mauriac pouvait envisager l’idée d’une reconstruction d’un Etat juif ? (p 613) Mais Mauriac reviendra dans une rétrospective de sa vie, publiée en 1967 et condamnera dans les toutes premières pages de cette bonne presse (catholique) aveuglément antisémite (p 656)

    Dans Le bâillon dénoué, magnifiquement introduit, on peut suivre la controverse à peine courtoise entre Albert Camus dans Combat et Mauriac au Figaro : les débats sur la France nouvelle qui émerge des années d’Occupation, les drames de l’épuration, les tribunaux d’exception, les exécutions sommaires tant en province qu’à Paris, la dissolution des groupes de résistance armée et leur intégration dans une armée régulière, l’influence grandissante d’un PC inquiétant, tous ces thèmes ont revendiqué l’attention de Mauriac que son sens de l’équilibre faisait pencher vers la modération alors que Camus prenait parfois des positions plus audacieuses. Il est vrai que l’admiration de Mauriac pour le chef de la France libre l’incitait à accorder toute sa confiance aux autorités légitimes de l’Etat.

    Le texte le plus authentique et donc le plus poignant est, à mes yeux, la longue préface aux Mémoires politiques. Réédité en 1967, ce texte est préface par un auteur octogénaire qui n’a plus que quelques années à vivre. Ce qu’il dit sur les ravages de l’affaire Dreyfus ne laisse pas de frapper le lecteur : celui que l’on dit si catholique et plein de révérence à l’égard de l’Eglise et de ses clercs décochent contre eux des flèches acérées. Mauriac va même jusqu’à parler d’une débâcle politique de l’Eglise… Avant d’en venir à la politique proprement dite et aux choix qu’il fit durant sa jeunesse et son âge mûr, Mauriac instruit un véritable procès contre cette église dont il désapprouve les orientations en exégèse, en théologie et, bien évidemment, en politique. Mais il y a aussi l’équation personnelle qui est loin d’être simple : un bourgeois de droite et un catholique de gauche cohabitent dans la même personne, d’où d’interminables tiraillements. Comme l’écrivain catholique fait un bilan de sa vie et va jusqu’à dire clairement que cet écrit sera le dernier grand texte de sa vie, il reconnaît qu’il dut, lui aussi, gager sa plume pour assurer sa subsistance mais que -contrairement à d’autres qui ne remettaient aux journaux que leurs scories (sic)- il se livrait tout entier dans ses chroniques, un peu comme Picasso qui mettrait l’intégralité de son art dans un seul de ses dessins.

    Ces pages denses et ardentes représentent plus qu’une page d’histoire de France, celle que connut Mauriac depuis l’affaire Dreyfus jusqu’à l’après mai 68, en passant par la Grande Guerre, la crise, la guerre d’Espagne, la défaite de 1940 et l’Occupation, les guerres coloniales et la disparition de l’empire ; c’est un homme qui se penche sur son passé à un moment où il n’a plus le temps de changer un avenir déjà programmé… P 674 : Qu’ai-je pressenti de ces choses à la Libération ? Eh bien, non, je n’en pressentis rien, je vivais dans le moment présent, surtout tourmenté par les excès de l’épuration. Celle-ci a littéralement tourmenté l’écrivain jusqu’à sa mort : il évoque, des décennies après les faits, la visite de la fille de Pierre Laval qui l’implore d’intervenir auprès de Charles de Gaulle afin de sauver son père, il parle de Brasillach et d’autres qui tombèrent sous les balles des pelotons d’exécution…

    On pourrait dire encore tant de choses de ce beau volume de Mauriac qui fut bien inspiré de lancer ce cri du cœur ! (p. 518)

     

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    MAURIAC, Journal, mémoires politiques. Edition établie et présentée par Jean-Luc Barré. Robert Laffont, collection Bouquins. Paris, 2008.

    Quel style, ce François Mauriac, quelle vigueur, même dans des descriptions dont on ne retient pas grand’ chose après les avoir lues et qui, pourtant, nous marquent, laissent une empreinte au fond de nous-mêmes. On l’aura compris, le lecteur philosophe peine à rentrer dans les écrits du grand intellectuel catholique, mais se laisse progressivement gagner par je ne sais quel charme de conteur, sensible à tout ce qui le touche, plein de révérence à l’égard de ce bel Oiseau bleu (le bonheur) que chacun aimerait voir planer sur son existence. Au début, après une lecture attentive de l’excellente introduction générale de Jean-Luc Barré, je me suis dit que je ne lirai sûrement pas la totalité des chroniques et passages , notamment tirés du journal intime. Et ensuite, on éprouve du mal à reposer le livre, tant le style limpide et si attachant de l’auteur nous captive et nous enchaîne à sa lecture.

    Ce n’est, certes, pas du Louis Massignon, ni du Jean d’Ormesson, ni du François Furet, tous présents dans cette prestigieuse collection Bouquins, mais c’est autre chose. Des réflexions profondes, admirablement servies par des formulations à la fois sensibles et intelligentes, ne laissent pas d’étonner de la part d’un homme qui n’était encore, au début des années trente, qu’un écrivain en herbe : cette méditation sur la violence de la passion amoureuse, sur la pureté de la jeunesse qui croit aux promesses de fidélité et du dévouement, au point même de refuser de continuer à vivre si elles n’étaient plus tenues, et cette phrase frappée au coin du bon sens où tout diplômé de l’enseignement supérieur se reconnaîtra : et de presque tous, la nation fait, de quinze à trente ans, des assujettis aux examens et aux concours (p 18). Quelle triste vérité ! Mauriac pensait aussi, très probablement, qu’à cette tranche de vie, nous avions tous d’autres expériences à vivre que l’empilement de connaissances… Parlant du long voyage précédant la conversion du père Charles de Foucault, Mauriac écrivit cette phrase admirable : ce temps d’abjection volontaire, d’ascétisme, de solitude, creusait dans ce cœur, le lit de la grâce ( p 30). C’est largement christianisant, mais tout de même très beau.

    L’élément religieux et la composante confessionnelle sont largement présents dans ces textes : des citations de Saint Paul, des références à Dieu, des métaphores bibliques, autant de choses qui ne se retrouvent plus du tout sous la plume des éditorialistes d’aujourd’hui. Qui se permettrait d’écrire actuellement ce très beau texte sur le pardon où nous lisons cette angoissante interrogation sur la rémission des péchés… Qui donc aurait le pouvoir de nous l’accorder ? C’est bien à travers ces pages qu’éclate la profonde religiosité de Mauriac.

    Témoin ce texte si dense consacré au christianisme de Barrès qui, dit-on, aura tant défendu le christianisme sans y croire lui-même. Mais tout en semblant réduire à néant les arguments des incrédules, Mauriac leur donne une formulation si convaincante qu’on se demande encore ce qu’il pensait vraiment : car enfin, l’essentiel est d’avoir la foi ; la foi est une réalité même si son objet se trouve être une illusion. Un bonheur illusoire est malgré tout le bonheur ; l’espérance sans fondement n’en demeure pas moins l’espérance ; et s’il n’y avait pas d’éternité, les chrétiens ne le sauraient jamais : le néant ne confond personne. (p 183) On en vient à se demander vers quel côté penche le cœur de Mauriac…

    Dans le même registre : le 20 juillet 1937, Le Temps publiait un article-confession (comme toujours) de François Mauriac, intitulé Le salut de Renan dont la lecture attentive (pp 225-227) ne laisse pas d’émouvoir. Tout lecteur cultivé connaît les raisons qui n’ont pu qu’éloigner un catholique comme Mauriac d’un libre penseur comme Renan. Mais un esprit aussi fin que Mauriac n’a pu, à l’âge de la maturité, passer à côté d’une âme aussi intègre que Renan dont l’amour de la Vérité (et de Dieu) demeure incontestable. L’écrivain catholique commence par rappeler qu’il ne se reconnaît plus dans ces condamnations sommaires dont il était coutumier du temps de sa jeunesse. L’expérience lui a appris que «l’amour outrancier de la vérité» avait égaré Renan : Pour le chrétien, le drame de Renan est celui d’un homme que l’amour de la vérité a éloigné de la vérité (p 226). De nouveau, la fibre catholique de l’auteur s’empare de sa plume et rappelle la fameuse phrase des Evangiles, Je suis la Vérité… Pour des raisons de philologie, dit Mauriac, Renan a renoncé à l’amour de celui qui a renouvelé la face de la terre et de nos pauvres cœurs. Il oublie, cependant, que la vérité des textes révélés, ou prétendus tels, dépend d’une approche scientifique de ces mêmes documents. Renan a même écrit, avec l’ironie mordante qui le caractérise, qu’à genoux on lit très mal. Comprenez : ne nous mettons pas à genoux devant les sources anciennes sur lesquelles reposent nos religions… Mais Mauriac a raison de souligner que si Renan a rejeté le magistère de l’église et ses exégèses bibliques qui tournaient le dos à la méthode historico-critique, il n’a, en revanche, jamais rejeté l’amour de Jésus qui lui semblait indéracinable. Jamais Renan n’a tenté d’effacer cette empreinte laissée en lui par ses premières années de séminaire. On voit que Mauriac avait, comme tous les jeunes intellectuels du début du XXe siècle, fait une lecture attentive des Souvenirs d’enfance et de jeunesse (1883) d’un Renan qui se penche avec nostalgie sur sa vie, alors qu’il n’a plus qu’une petite décennie devant lui. Le témoignage de sa fille Madame Psichari que Mauriac rappelle opportunément est crucial : son vieux père lui enjoint de croire en l’immortalité, même, ajoutait-il, si l’on te cite certaines de mes phrases qui la nient. Mais la foi en l’immortalité n’entraîne pas nécessairement la foi en la véracité du catholicisme qui demeure, en tout état de cause, une grande religion. Les adversaires de Renan ont voulu le discréditer en en faisant un matérialiste accompli pour qui plus rien ne subsistait de l’homme après son départ de cette terre.

    Mauriac évoque un nouveau thème dans son article sur Renan : la convoitise de l’esprit, écrit-il, paraît aussi redoutable que celle de la chair. Un tel principe, éminemment chrétien, ne pouvait guère complaire à un savant tel que Renan que la découverte de l’hébreu et l’apprentissage de l’allemand ont radicalement transformé. Mais Mauriac introduit un nouveau distinguo qui atteste une nouvelle fois de sa finesse d’esprit. Savons nous, s’interroge-t-il, ce que Dieu pense d’une hérésie? Les théologiens dont c’et la spécialité peuvent y parvenir, mais nul ne saura jamais ce que Dieu pense de ceux qui professent cette hérésie. Ce qui est une manière de laver Renan de l’accusation d’impiété. Quel vibrant appel à la tolérance, surtout sous la plume d’un catholique aussi convaincu. La fin de cet article est univoque. Le Dieu auquel Renan renonça n’a pas, lui, renoncé à Renan. Tant il est vrai que la miséricorde divine n’a pas de fin…

    Mais dans ce très riche et très vaste volume (plus de mille pages en petits caractères !) on sent affleurer l’ironie dont l’auteur était coutumier, surtout lorsqu’il se penche sur les mœurs de son temps ou décrit les comédies sociales des uns et des autres. Il faut relire ce texte des années trente où il décrit les changements d’attitude de ceux qui s’adressent à lui en se disant que désormais «il est devenu quelqu’un». Il relève que les portes de l’immortalité académique enfin ouvertes, ceux qui lui écrivaient «cher Ami» disent à présent «Monsieur et cher Ami». Mais le plus saisissant de tous les changements s’observe, selon l’illustre éditorialiste du Figaro, chez les dames qui se piquent d’esprit et évoquent Proust à tout bout champ…

    En plus de la sensibilité religieuse, il y a le discernement, parfois prophétique, de l’analyste politique. J’ai lu le texte intitulé La harpe de David où Mauriac célèbre l’Autriche de Mozart, soulignant que l’Allemagne a besoin de l’Autriche pour vivre, à une époque où le loup tapi en Bavière, le Führer Adolf Hitler, la guette, prêt à la déchiqueter… Car l’Allemagne a besoin plus qu’aucune autre nation, que l’Autriche vive ( p 131). Ce que l’Allemagne rejetait ou expulsait, l’Autriche l’accueillait : ( p 131) elle recevait en dépôt l’honneur de l’Allemagne. Et cette phrase aux accents sibyllins : tout est écrit d’avance mais indéchiffrable jusqu’à l’accomplissement (p 138).

    Lorsque la tragédie hitlérienne de l’Europe toucha à sa fin après d’indicibles souffrances et des affres inoubliables, Mauriac publia un texte intitulé Le malaise de Nuremberg (5 septembre 1947). Ce qui m’a frappé dans ce texte, ce n’est pas que des criminels nazis, coupables d’un génocide, comparaissent enfin devant un tribunal pour répondre de leurs actes, c’est plutôt l’émouvant témoignage sur les enfants déportés, aperçus par son épouse, Jeanne Mauriac, en gare d’Austerlitz : ces assassins qui avaient repris à froid et en partie exécuté le projet d’Assuérus d’anéantir une race entière et d’en exterminer les enfants (nous les avons vus en gare d’Austerlitz , ces sombres agneaux, et leurs petites têtes paraissaient aux claires-voies, et la police française les gardait…) il était bon que ces misérables fussent jugés dans ce haut lieu, dans ce Nuremberg où avaient éclaté leurs fanfares où ils avaient déliré face à leur blême idole aux courtes moustaches. (p 436) Dans le prolongement des menaces que l’Allemagne hitlérienne fit peser sur l’Europe entière, on trouve un beau texte de Mauriac sur Israël où il proclame sa solidarité avec le judaïsme persécuté et souffrant (p 712). Mauriac a pris la parole le 5 février 1938, à un moment où la situation des juifs d’Allemagne est plus que critique. Il dénonce l’antisémitisme dont nous tous, dit-il, sommes les héritiers. Il pense assurément à cet antijudaïsme dont une certaine église, oublieuse de ses racines juives s’est fait l’émissaire et la propagatrice. Ce qui m’a le plus touché, c’est la sincérité de ce grand catholique qui dénonce cet antisémitisme rampant et ce zèle convertisseur de ceux-là même qui, dans son Eglise, osaient dire aux juifs persécutés ce qu’ils devraient faire dans l’intérêt bien compris de leur cause. Certes, on me rétorquera que Mauriac lui-même, dans cet article, parle aussi des défauts (lesquels ?) d’Israël… Il écrit, cette flamme redoutable que la persécution a éveillé en lui… (p 713). Mais cette dénonciation de l’antisémitisme, cette protestation publique d’affection et d’amitié pour certains juifs, à cette époque ( !!) sont inouïes : on est encore très loin du concile Vatican II ( mais l’auteur en parle dans sa préface de 1967 à ses Mémoires politiques, p 664), Nostra Ætate est impensable, une ecclésia triomphante est à la manœuvre et entend en avoir bonne conscience sans tolérer que quiconque vienne troubler sa quiétude… Les amitiés judéo-chrétiennes n’avaient pas encore pignon sur rue et on était à des années lumière de l’idée même de repentance, une idée pourtant nichée au cœur même des Evangiles…

    Un dernier mot sur ce que Mauriac nomme le «problème juif», probable traduction de l’allemand Judenfrage… L’auteur parle du livre (Le camp de la mort lente 1941-1942) de Jean-Jacques Bernard, le fils de Tristan, qui avait été interné au camp de Compiègne-Royallieu où les Nazis soumettaient leurs prisonniers à un régime de famine. Là aussi, les positions et les commentaires de Mauriac qui me conviennent à moi parfaitement – car je les resitue dans leur contexte de l’époque, en étonneront plus d’un qui n’acceptera pas que l’on interdise aux juifs d’être aussi une communauté nationale (une nation, un peuple) et plus uniquement une communauté religieuse (une confession)… Comment un catholique français comme Mauriac pouvait envisager l’idée d’une reconstruction d’un Etat juif ? (p 613) Mais Mauriac reviendra dans une rétrospective de sa vie, publiée en 1967 et condamnera dans les toutes premières pages de cette bonne presse (catholique) aveuglément antisémite (p 656)

    Dans Le bâillon dénoué, magnifiquement introduit, on peut suivre la controverse à peine courtoise entre Albert Camus dans Combat et Mauriac au Figaro : les débats sur la France nouvelle qui émerge des années d’Occupation, les drames de l’épuration, les tribunaux d’exception, les exécutions sommaires tant en province qu’à Paris, la dissolution des groupes de résistance armée et leur intégration dans une armée régulière, l’influence grandissante d’un PC inquiétant, tous ces thèmes ont revendiqué l’attention de Mauriac que son sens de l’équilibre faisait pencher vers la modération alors que Camus prenait parfois des positions plus audacieuses. Il est vrai que l’admiration de Mauriac pour le chef de la France libre l’incitait à accorder toute sa confiance aux autorités légitimes de l’Etat.

    Le texte le plus authentique et donc le plus poignant est, à mes yeux, la longue préface aux Mémoires politiques. Réédité en 1967, ce texte est préface par un auteur octogénaire qui n’a plus que quelques années à vivre. Ce qu’il dit sur les ravages de l’affaire Dreyfus ne laisse pas de frapper le lecteur : celui que l’on dit si catholique et plein de révérence à l’égard de l’Eglise et de ses clercs décochent contre eux des flèches acérées. Mauriac va même jusqu’à parler d’une débâcle politique de l’Eglise… Avant d’en venir à la politique proprement dite et aux choix qu’il fit durant sa jeunesse et son âge mûr, Mauriac instruit un véritable procès contre cette église dont il désapprouve les orientations en exégèse, en théologie et, bien évidemment, en politique. Mais il y a aussi l’équation personnelle qui est loin d’être simple : un bourgeois de droite et un catholique de gauche cohabitent dans la même personne, d’où d’interminables tiraillements. Comme l’écrivain catholique fait un bilan de sa vie et va jusqu’à dire clairement que cet écrit sera le dernier grand texte de sa vie, il reconnaît qu’il dut, lui aussi, gager sa plume pour assurer sa subsistance mais que -contrairement à d’autres qui ne remettaient aux journaux que leurs scories (sic)- il se livrait tout entier dans ses chroniques, un peu comme Picasso qui mettrait l’intégralité de son art dans un seul de ses dessins.

    Ces pages denses et ardentes représentent plus qu’une page d’histoire de France, celle que connut Mauriac depuis l’affaire Dreyfus jusqu’à l’après mai 68, en passant par la Grande Guerre, la crise, la guerre d’Espagne, la défaite de 1940 et l’Occupation, les guerres coloniales et la disparition de l’empire ; c’est un homme qui se penche sur son passé à un moment où il n’a plus le temps de changer un avenir déjà programmé… P 674 : Qu’ai-je pressenti de ces choses à la Libération ? Eh bien, non, je n’en pressentis rien, je vivais dans le moment présent, surtout tourmenté par les excès de l’épuration. Celle-ci a littéralement tourmenté l’écrivain jusqu’à sa mort : il évoque, des décennies après les faits, la visite de la fille de Pierre Laval qui l’implore d’intervenir auprès de Charles de Gaulle afin de sauver son père, il parle de Brasillach et d’autres qui tombèrent sous les balles des pelotons d’exécution…

    On pourrait dire encore tant de choses de ce beau volume de Mauriac qui fut bien inspiré de lancer ce cri du cœur ! (p. 518)

    Quel style, ce François Mauriac, quelle vigueur, même dans des descriptions dont on ne retient pas grand’ chose après les avoir lues et qui, pourtant, nous marquent, laissent une empreinte au fond de nous-mêmes. On l’aura compris, le lecteur philosophe peine à rentrer dans les écrits du grand intellectuel catholique, mais se laisse progressivement gagner par je ne sais quel charme de conteur, sensible à tout ce qui le touche, plein de révérence à l’égard de ce bel Oiseau bleu (le bonheur) que chacun aimerait voir planer sur son existence. Au début, après une lecture attentive de l’excellente introduction générale de Jean-Luc Barré, je me suis dit que je ne lirai sûrement pas la totalité des chroniques et passages , notamment tirés du journal intime. Et ensuite, on éprouve du mal à reposer le livre, tant le style limpide et si attachant de l’auteur nous captive et nous enchaîne à sa lecture.

    Ce n’est, certes, pas du Louis Massignon, ni du Jean d’Ormesson, ni du François Furet, tous présents dans cette prestigieuse collection Bouquins, mais c’est autre chose. Des réflexions profondes, admirablement servies par des formulations à la fois sensibles et intelligentes, ne laissent pas d’étonner de la part d’un homme qui n’était encore, au début des années trente, qu’un écrivain en herbe : cette méditation sur la violence de la passion amoureuse, sur la pureté de la jeunesse qui croit aux promesses de fidélité et du dévouement, au point même de refuser de continuer à vivre si elles n’étaient plus tenues, et cette phrase frappée au coin du bon sens où tout diplômé de l’enseignement supérieur se reconnaîtra : et de presque tous, la nation fait, de quinze à trente ans, des assujettis aux examens et aux concours (p 18). Quelle triste vérité ! Mauriac pensait aussi, très probablement, qu’à cette tranche de vie, nous avions tous d’autres expériences à vivre que l’empilement de connaissances… Parlant du long voyage précédant la conversion du père Charles de Foucault, Mauriac écrivit cette phrase admirable : ce temps d’abjection volontaire, d’ascétisme, de solitude, creusait dans ce cœur, le lit de la grâce ( p 30). C’est largement christianisant, mais tout de même très beau.

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