GÜNTER GRASS :
Le délire d’un vieillard ou l’impuissance devant le verdict de l’histoire ?
C’est mon ami, l’ambassadeur allemand à Genève auprès de la conférence pour le désarmement (Abrüstungskonferenz) qui a, le premier, attiré mon attention sur le fameux texte de Günter Grass (Grassens Gedicht, avec le génitif) que la Süddeutsche Zeitung de Munich a finit par publier il y a quelques semaines et qui a suscité une vive émotion en Allemagne.
Le prix Nobel de littérature y stigmatise le coupable silence de son pays et de l’Occident au sujet de l’armement nucléaire d’Israël et redoute que la livraison à ce pays d’un sous marin allemand lanceur d’engin ne fasse de l’Allemagne la complice d’une catastrophe.
J’ai traduit ce texte ce matin même, mais cette traduction devra être affinée par moi-même dès que je cesserai d’être distrait par d’autres occupations. Ce texte prouve que son auteur a agi sous l’emprise de l’émotion, incapable de dominer l’histoire récente de son pays et à laquelle il a, en personne, vu son âge, pris part. Les Allemands nomment cela die Vergangenheitsüberwältigung, la maîtrise du passé, de la Shoah et du fait que l’Allemagne hitlérienne a mis le feu au monde.
Pourtant, je ne condamnerai pas sans appel l’octogénaire auteur de si grands livres, tout en déplorant qu’il mette sur un même plan l’Iran des Mollahs dont le président actuel évoque publiquement la destruction de l’Etat d’Israël et ce dernier, l’unique démocratie du Proche Orient. Il n’est pas anormal que cet Etat, menacé de toutes parts par des voisins implacables qui se sont juré sa mort depuis sa création, se prémunisse contre les attaques.
Mais fidèle à mes habitudes et respectueux de ma formation à la fois traditionnelle et philosophique, je chercherai, comme Spinoza, à comprendre plutôt qu’à m’indigner.
Je pense que trois éléments principaux forment la trame de ce texte de Günter Grass : l’insupportable fardeau de la Shoah, l’amour-répulsion d’Israël (en allemand Haßliebe) et l’irrépressible désir de faire encore un peu parler de soi… Mais j’insiste surtout sur l’événement vécu, insupportable, dévastateur, avec lequel un homme normalement constitué ne peut pas vivre en toute sérénité.
Et justement l’événement vécu, au sens d’événement majeur et marquant qui s’imprègne à notre mémoire de façon indélébile, se dit en allemand Erlebnis. Ce terme est intraduisible tant il recouvre de notions psychologiques difficiles à cerner. Mais l’essentiel est de pouvoir vivre chaque jour avec ces traces et cette mémoire. Soulager sa conscience d’un insupportable fardeau : c’est probablement ce qui expliquait déjà les «révélations» du prix Nobel allemand de 1999, Gûnter Grass, à la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ).