Les sept péchés capitaux et la tradition juive
Le christianisme est né dans une matrice juive. C’est son moule originel. La prière la plus emblématique du christianisme est le Pater Noster lequel reprend presque mot pour mot le kaddish juif et hébraïque.
Développer la notion de péché, de transgression. Toute culture religieuse est fondée sur deux plans : ce qu’il est recommandé de faire et ce qu’il est interdit de faire, sous peine des pires sanctions. C’est un véritable système binaire
Pourquoi capital ? S’agit-il des manquements les plus graves ou les plus sévèrement condamnés, donc les plus châtiés ?
Le chiffre sept est un chiffre symbolique : les sept jours de la semaine, les sept signes du zodiaque , les sept ans de la jachère, les sept jours au cours desquels on ne consomme que du pain azyme pendant la Pâque juive
Le chiffre sept est aussi considéré par la tradition juive comme étant l’équivalent de la nature, c’est-à-dire un stade inférieur à celui de la Tora, censée incarner le niveau de la spiritualité.
Pourquoi avoir listé les péchés capitaux au point d’en faire une doctrine cardinale de la théologie chrétienne ?
Peut-être était ce pour s’émanciper du modèle juif et élaborer une théorie principalement chrétienne tout en gardant présent à l’esprit ce paradigme juif.
On peut évoquer deux modèle juifs qui auraient pu gésir au fondement de ces sept péchés capitaux :
- l’un est une référence scripturaire, c’est-à-dire un emprunt à la tradition écrite du judaïsme, donc la Bible. Et là il s’agit nécessairement des Dix Commandelments ou Décalogue ; lequel en commandement positifs et en commandements négatifs.
- L’autre source émane de la littérature talmudique et provient des sages de l’Antiquité. Il s’agit des sept lois dites noachides, c’est-à-dire des fils de Noé, le rescapé du Déluge et donc le père d’une humanité nouvelle, débarrassée de ses souillures lesquelles étaient si affreuses qu’elles avaient incité le créateur à détruire sa création. Fait caractéristique : ces lois destinées à l’humanité civilisée, mais non bénéficiaire de la Révélation du Sinaï au cours de laquelle fut remis le Décalogue, sont au nombre de sept.
Est ce que cette coïncidence est le fruit du hasard ? Je ne le pense pas. Mais là où les sept péchés capitaux portent principalement sur le domaine de la psychologie humaine, les lois destinées aux Noachides exigent la foi en Dieu, le respect des parents, prohibent le meurtre et l’adultère, interdisent de consommer le membre d’un animal encore vivant, ordonnent l’établissement de tribunaux pour rendre la justice.
Il s’agit des grandes lignes d’un vivre ensemble. Par rapport au Décalogue, on peut dire que l’on parvient au chiffre sept des péchés capitaux si l’on fait abstraction des trois premiers commandements : a) je suis l’Eternel ton Dieu qui t’ai fait sortir d’Egypte b) tu n’auras pas d’autre Dieu que moi c) tu ne te feras aucune idole…
Les sept commandements restants peuvent se rapprocher des sept péchés capitaux dans la mesure où ils couvrent à peu de choses près le même espace.
Bien entendu, on doit faire abstraction du commandement qui ordonne le respect du repos et de la solennité du sabbat.
Et si l’on examine de près les péchés en questions, on se rend compte qu’on quitte le terrain proprement religieux pour aboutir à un domaine annexe, celui de l’éthique.
Les relations entre le religieux et l’éthique ont toujours préoccupé à la fois les théologiens et les philosophes. Depuis Aristote dans son Ethique à Nicomaque, on peut lire que l’homme est animé par deux types de vertus ou de qualités, éthiques et dianoétiques, c’est-à-dire respectivement psychologiques et intellectuelles. Et Aristote indique en passant que les qualités intellectuelles d’un individu peuvent parfois compromettre gravement l’exercice de ses facultés intellectuelles. On peut parler d’une altération des facultés mentales empêchant l’individu.
Sauf erreur de ma part, ces péchés capitaux qui mettent précisément en garde contre la colère, l’orgueil, la luxure, la gourmandise, l’avarice, l’envie, la paresse, etc… constituent l’idéal d’une humanité éthique. Certes, la foi en Dieu n’est pas mentionnée mais il est évident qu’elle va de soi, la question ne se pose même pas.
Si j’ai parlé des deux textes, l’un biblique, l’autre extra biblique, c’est-à-dire talmudique, je dois aussi m’en référer à d’autres textes qui contiennent pratiquement les mêmes prescriptions.
Il existe un traité talmudique très populaire par lequel on comme toujours l’instruction des jeunes enfants, il s’agit des Pirké Avot (Chapitres ou dicta des Pères) qui distillent les mêmes recommandations trouvées dans les sept péchés capitaux. Un exemple : le timide, nous dit-on n’apprendra rien de l’enseignement qu’on lui dispense et le nerveux ou le coléreux sera toujours un mauvais enseignant… Celui qui mange trop, pèche par gourmandise : lors de ses obsèques, il y aura dans sa tombe plus de vers de terre pour ronger son cadavre. En revanche, l’homme qui sait se dominer, qui fait preuve de retenue en toutes circonstances vaut bien plus qu’un héros qui conquiert toute une ville à lui seul.
Le reste de ces Chapitres des Pères trahit de grandes similitudes avec la morale stoïcienne, ce qui est aussi le cas des péchés capitaux, sauf que la philosophie grecque ignore absolument la notion de péché, juge impensable l’idée même de Révélation et la notion de monothéisme éthique.
Or, c’est justement ce monothéisme éthique qui transparaît à travers ces sept péchés capitaux. Ce qui est, selon moi, hautement intéressant, touche aux relations entre le fruit de la religion, donc de la Révélation, et le fruit de l’éthique, donc de la spéculation humaine. Une spéculation qui n’a plus besoin de s’appuyer sur la Révélation, donc sur un héritage religieux.
Cette confrontation entre l’héritage religieux et l’héritage éthique nous conduit vers des philosophes allemands tel Kant mais aussi Martin Buber et Franz Rosenzweig.
Je résume succinctement la belle formule kantienne : le ciel étoilé au-dessus de ma tête et la loi morale gravée dans mon cœur…
Dans son livre Je et Tu qui reste à ce jour un succès planétaire, Martin Buber a insisté sur l’importance de l’autre homme, celui auquel on dit tu et sans lequel nous ne pourrions pas dire, donc nous n’existerions pas, ce qui fit dire à Emanuel Levinas : Mon moi, ce sont les autres. C’est évidemment la phrase la plus emblématique de toute philosophie éthique.
Dans son Etoile de la rédemption, Rosenzweig va encore plus loin. A ses yeux, l’éthique est ce qui unit toute l’humanité croyante. Et surtout il tente de réduire cette séparation irréductible entre judaïsme et christianisme. A la fin de son grand’ œuvre, il écrit explicitement que Dieu a besoin du Juif et du Chrétien, et que judaïsme et christianisme prennent une parte égale à la vérité.
D’une certaine manière il rapproche donc cette tablette que sont les sept péchés capitaux des tables de la loi.