LA JEUNE FILLE ET DIEU
Hier soir, sur le tard, dans un restaurent de l’ouest parisien, alors que la plupart des convives ont quitté les lieux, je perçois assez nettement une conversation plutôt inhabituelle entre une adolescente et son père. Je ne sais pour quelle raison, mais la gravité des visages qui me faisaient face m’a instinctivement poussé à retenir mon souffle et à prêter l’oreille.
La jeune fille demande à son père pour quelle raison il n’a pas pu assister à l’anniversaire de mort de sa propre mère, c’est-à-dire de sa grand’ mère à elle. Je ne parviens pas à comprendre la réponse. La jeune fille, présente à cette cérémonie du souvenir, relate son déroulement. Le père lui demande ce qu’elle en a retiré. Après un bref silence, la jeune fille dit, sous le coup de l’émotion, qu’elle sentait très bien l’affection profonde que lui témoignait sa défunte grand’mère dont le souvenir continue de vivre en elle.
Pour éloigner un sentiment de culpabilité qui commence à le gagner, le père signale qu’une nouvelle cérémonie du souvenir, dédiée, celle-ci, à son père, donc au grand ‘ père de la jeune fille, doit avoir lieu aux alentours du 18 décembre. La jeune fille réagit alors de manière étrange en disant : penses-tu que je serai invitée, demande-t-elle ? Mais évidemment, répond le père, interloqué. Mais c’est que je suis né deux ans après sa mort ; je ne l’ai donc pas connu… Le père hésite un instant et replonge le nez dans son crème glacée. Sa fille, visiblement émue, ne lui pas le moindre répit.
Pourquoi, demande-t-elle, Dieu ne m’a-t-il pas permis de connaître mon grand’ père ? Pourquoi ai-je pu bien connaître ma grand’mère et pas du tout mon grand’ père ? Visiblement, le père ne sut que répondre, tant était grand son embarras… Rassemblant ses idées et visiblement surpris par les questions de sa fille, le père répond qu’il n’est pas dans le secret des dieux et que les mystères de la Providence sont difficiles à déchiffrer. La jeune fille réagit avec une inhabituelle pugnacité : tu ne réponds pas à ma question, lui dit-elle.
Le maître d’hôtel arrive avec l’addition et le père et sa fille quittent les lieux.
Leur échange, en soi assez curieux, m’a plongé dans une réflexion abyssale. Une foule de questions se pressaient sur mes lèvres. Je pensais à l’Ecclésiaste, ce sceptique religieux déboussolé par l’énigme humaine et auquel je dois, sir la Providence nous l’accorde, consacrer une conférence prochainement à la mairie du XVIe arrondissement à Paris. Lui aussi se posait ce type de questions, aux alentours du IIIe siècle avant notre ère, si l’on se fie à la datation de sa rédaction selon la critique biblique. Mais même là, je ne trouve pas de réponse valable à la question de la jeune fille.
Qui connaît les secrets de la Providence divine, avait demandé le prophète Isaïe dans on livre ? Personne. Qui peut déchiffrer correctement les carnets de la providence, demande le prophète Daniel ? Personne. L’aventure humaine, dit-on, finit toujours mal, puisque la mort en marque immanquablement le terme. Pourquoi ? Car il en est ainsi.
De l’époque de l’Ecclésiaste au questionnement de cette jeune fille, avons nous avancé ? A peine.