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Vu de la place Victor-Hugo - Page 1456

  • Le dictionnaire du Coran, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2007

     

          Dictionnaire du Coran sous la direction de Mohammad Ali AMIR-MOEZZI. Bouquins,  Robert Laffont, 2007.

    Peut-on dire qu’il y va du Coran pour les musulmans comme de la Bible pour les juifs ? Tout en part et tout y revient ? C’est le sentiment qui s’empare du lecteur lorsque celui-ci se donne la peine de lire attentivement les entrées qui sont traitées dans ce Dictionnaire du Coran.
    Il faut féliciter les éditions Robert Laffont et la collection Bouquins de ne pas avoir reculé devant l’immensité et le caractère ardu de la tâche. La diversité des auteurs, le respect de l’unique critère, la science objective et l’approche historico-critique, font de cet ouvrage une œuvre de référence et un très bon instrument de travail. Pas la moindre trace d’apologétique, un grande ouverture d’esprit dans le traitement des sources les plus diverses, le choix des islamologues les plus compétents, tous ces éléments assureront à ce Dictionnaire une longévité exceptionnelle.
     Cette impression est confirmée par l’excellente introduction intitulée Un texte et une histoire énigmatiques. Je voudrais souligner la subtile distinction faite par un savant cité, entre l’acte d’écrire, qui n’implique pas toujours une publication écrite, et l’acte de publier qui se fit longtemps  de manière orale. Trois personnalités ont, lit-on, joué un rôle important dans l’établissement du texte coranique : 
    a) Ubayallah ben Yiyyad , le cruel gouverneur d’Irak.
    b)    Al-hajjaj ben Yousef
    c)    Le calife Abd al-Malik qui parle d’avoir collecté le Coran (jama’tu al-Kor’an)

    La version coranique uthmanienne mit plusieurs siècles avant d’être acceptée.. Les exemplaires «non orthodoxes» furent détruit dans des bains d’huile bouillante L’auteur de ‘introduction cite longuement les meilleurs représentants de l’islamologie européenne du siècle dernier (presque tous des juifs) le savant hongrois germanophone Ignaz GOLDZIHER. Il existe dans cette introduction un léger oubli, mais celui-ci est immédiatement réparé (presque providentiellement) par l’article portant sur Caïn et Abel du professeur israélien Méir Bar-Asher lequel cite le texte d’Abraham Geiger, Was hat Mohammed aus dem Judentums aufgenommen ? (Rééd. Leipzig, Kaufmann  1902)

    Un dictionnaire ne se lit pas de manière linéaire et doit obéir à l’ordre alphabétique, même lorsque celui-ci se révèle parfois cocasse : après l’article sur Aaron, on tombe sur les abeille et l’abattage rituel… Curieuse transition, mais pouvait-on l’éviter ? Il eût fallu changer toute l’économie du Dictionnaire en regroupant par exemple les sujets théologiques, philosophiques, les personnages importants, etc… Au début, j’avais pensé ne rédiger cette notice qu’après lu la totalité  des 981 pages, ce qui eut remis aux calendes grecques sa parution. Un rapide sondage des entrées les plus emblématiques montre que l’on peut se concentrer sur les points essentiels et revenir, le cas échéant, sur d’autres notions.
    Abraham est, par exemple, un personnage clé et l’article qui le traite est remarquable. Il ne laisse rien de côté et examine la présentation coranique du père du monothéisme sous tous ses aspects. Une réserve, cependant : il ne faut pas parler de sacrifice mais de ligature d’Isaac. Le Coran ne dit pas si c’est Isaac ou Ismaël. Tabari, le grand exégète de l’islam, pense que c’était Isaac mais les commentateurs ultérieurs ont parlé d’Ismaël.
    L’article sur l’abrogation, naskh, revêt une importance particulière du seul fait que l’islam, dernière des trois religions monothéistes, se présente comme la doctrine qui parachève celles qui lui préexistaient. Il se trouva donc confronté à la question suivante : que pouvait-il conserver des croyances antérieures ou que devait-il en abroger ? Comme tous les jurisconsultes, les tenants du Coran ont dû élaborer une théorie cohérente : Une loi, réputée d’origine divine, peut-elle être abrogée ? Oui, si la loi en question a été altérée par les hommes. Enfin, pouvait-on abroger le verset  et le statut qu’il véhicule… La question a revêtu quelque acuité, notamment face aux juifs de la péninsule arabique qui n’entendaient pas changer leurs habitudes religieuses ni enfreindre leurs nombreux interdits alimentaires… Une certaine polémique coranique est allée jusqu’à dire que Dieu avait multiplié les interdits pour les juifs afin de les punir de leur indiscipline et de leur entêtement…
    Abu Bakr, le premier converti à l’islam, en quelque sorte, est considéré comme le compagnon  le plus fidèle du Prophète (sahib an nabi)
    Le premier homme ADAM, se voit accorder le rang de premier prophète. Les hommes  sont nommés banu Adam, comme dans la Bible bené Adam. Cette anthropogonie est somme toute banale : le Coran dit bien à son image Ala suratihi : la Bible disait déjà : be-tsalmo bidemuto Le Coran a accueilli des données juives mais post-bibliques, c’est-à-dire qui se trouvent dans les commentaires midrashiques et talmudiques. Par exemple, la chute de l’ange (ibliss) qui refuse de se prosterner devant l’homme au motif que ce dernier est fait d’argile alors que lui est à base de feu…
    Toujours les hasards de l’ordre alphabétique. : l’article consacré à l’adoption. Derrière un acte assez anodin, on trouve des détails sur la vie du Prophète, des questions de lignage, le sang impur ou inférieur qui pourrait bien affecter toute la descendance.
    Ali ben Abi Talib, éminent compagnon du Prophète et destiné à lui succéder, dut attendre son tour une bonne vingtaine d’années. Nous lisons que ce personnage, devenu la figure tutélaire du chi’isme, jouira cependant d’un prestige exceptionnel même auprès des sunnites. Ses partisans déplorent la censure de nombreux passages où le prophète en personne parlair de lui comme de son successeur désigné.
    Est-ce étonnant si à Ali succède l’entrée «alimentation» ? C’est Dieu qui, par sa grâce, dispense ses bienfaits à ses serviteurs qu’il lui a plu de distinguer. D’ailleurs, l’un des noms de Dieu est al-razzaq, celui qui offre et donne le rizq. L’islam n’a pas conservé tous les interdis alimentaires des juifs, si ce n’est la viande de porc et la consommation de boissons alcoolisées. Mais les catégories du permis et du défendu (licite et illicite) demeurent : halal et haram. Les bienfaits étant dispensés par Dieu, ceux qui s’enrichissent au détriment des autres, sont responsables de l’existence de la pauvreté et contrarient le dessein divin. Ils heurtent l’idée même de maslaha, le développement harmonieux de la création.
    Après Ali et l’alimentation, c’est le nom coranique de Dieu qui est étudié, Allah. Ce terme proviendrait de la contraction de al-Ilah, devenu à la longue Allah. Il semble que, comme la Bible hébraïque, ce soit le nom d’essence alors que la multitude d’autres noms ne désigne en réalité que des attributs d’action : le miséricordieux, le terrible, le majestueux, le redoutable etc…
    L’Ancien Testament revêt une importance particulière tant son apport, surtout indirect, fut décisif. En effet, on relève que le Coran ne cite pratiquement jamais un verset biblique verbatim, il en donne généralement des versions soit commentées, soit remaniées. Les récits sur Abraham iconoclaste, chassé par son père et échappant miraculeusement à la fournaise ; les récits afférents à Joseph qui refuse les avances de la femme de son maître Potipar… Le texte coranique parle soit des ahl al-kitab (gens du Livre, donc de la Bible) soit de la Taurah (Torah). On emploie aussi un terme pour désigner les feuilles ou les pages al-suhuf (e.g. suhuf Ibrahim wa-Mussa) : les écrits d’Abraham et de Moïse.
    Existait-il une traduction arabe du Pentateuque, avant celle de Saadya Gaon (882-942) ? Non, bien qu’on en attribue une, lacunaire, au grand théologien nestorien Hunayn ibn Ishaq et au savant karaïte Yefet ben Eli (que le regretté Georges Vajda a beaucoup étudié). Mais en dépit de ses nombreux emprunts, reconnus ou inavoués, le Coran articule contre les juifs des reproches très graves : ils auraient falsifié leur livre (tahrif qui vient de harf, pluriel huruf) et auraient transformé (tabdil) certains passages annonçant la venue du Prophète de l’islam.
    Un nouvel article consacré à al-salaf (ceux qui sont d’avant) a le mérite de remettre les choses à leur place ; l’auteur l’oppose à l’expression inverse, al-khalaf, ceux qui viennent après. Les salafistes sont donc les partisans d’un univers imaginaire, idéalisé qui n’a existé nulle part, hormis dans leur conscience.
    >Au résumé extrêmement succinct des notions survolées, on se rend compte de la richesse de cette œuvre. Ce ne sont là que quelques sondages effectués dans cette mine si abondante. Nous aurons l’occasion d’y revenir. Mais avant de conclure, félicitons une nouvelle fois les éditeurs (publisher et editor) ainsi que tous les auteurs qui ont mis leur science à notre portée.

                           






     

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  • Jésus dans le Talmud

     

    PETER SCHÄFER, JESUS IM TALMUD, AUS DEM ENGLISCHEN VON BARBARA SCHÄFER (JCB MOHR, 2007)

        Spécialiste du judaïsme antique et médiéval, Peter Schäfer a d’abord enseigné à Cologne, puis à Berlin et présentement à Princeton. En publiant ce texte sur Jésus dans le Talmud, d’abord en anglais et en le faisant traduire par son épouse en allemand, il tente de jeter un regard neuf dans un domaine qui n’est pas vraiment pas le sien mais pour lequel il a déployé de louables efforts.
        L’un des plus grands mystères de la littérature hébraïque post-biblique, notamment cet énorme corpus que l’on nomme littérature rabbinique ou le Talmud, tient en l’absence grandement étrange de références suivies et explicites aux contestations judéo-chrétiennes. On cite souvent le méchant jeu de mots sur Evangelion ( en Awen Gilayon : le parchemin de l’iniquité), les références codées à certaines croyances de la nouvelle foi ou à une polémique souterraine dont on veut croire qu’elle visait des sources évangéliques  embryonnaires.
        Mais le Moyen Age connut, chez les juifs, une sorte de production ou de réactualisation de matériaux extra-talmudiques ou midrachiques qui, pour des raisons de censure, probablement, ne furent repris que dans des traités très polémiques et des pamphlets. C’est la littérature des Toledot Jeshu ou Evangile du Ghetto, pour reprendre une expression due à Jean-Pierre Osier. Fidèles à leur réputation, les chercheurs allemands ont, bien avant Schäfer, labouré ce champ de recherches : ce fut notamment le cas du pasteur Günter Schlichting qui donna une excellente édition critique du texte, accompagnée d’une traduction allemande annotée.  Elle parut, il y a plus de vingt, chez le même éditeur à Tibingen.
        L’originalité, toute relative, de l’apport de Schäfer dans ce livre tient au recours à l’idée de contre-histoire (counter history, Gegengeschichte) : en fait, les Docteurs du talmud auraient pris le contre-pied des récits évangéliques et auraient accompli cette œuvre de sape en choisissant soigneusement leurs formules et les thèmes traités.
        Schäfer pense expliquer la grande fréquence de déclarations polémiques dans le talmud de Babylone (alors qu’on n’en trouve pratiquement pas dans celui de Jérusalem) par un climat anti-chrétien prévalent en Babylonie. Les docteurs auraient alors, en quelque sorte, accompagné le mouvement. Les développements de l’auteurs sont certes bien vus mais un peu tirés par les cheveux (weit ausgeholt). En fait, à défaut de témoignages scripturaires précis, nous ne saurons pratiquement jamais qui pensait à quoi en parlant…  IL faut voir ce que dit sur ces sujets le grand spécialiste américain Jacob Neusner.
        Mais ce livre apportera de nouvelles vues à ceux qui s’intéressent aux pommes de discorde et aux contestations opposant juifs et chrétiens.


     

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  • Il y a deux siècles, naissait à Zurich le célèbre théologien David Friedrich Strauss

     

     



            DAVID FRIEDRICH STRAUSS, «UN ENNEMI ALLEMAND DU CRHIST»

    La Neue Zürcher Zeitung du 26 janvier 2008 a eu la bonne idée d’évoquer la grande figure du théologien protestant allemand du XIXe siècle, David Friedrich Strauss, né il y a tout juste deux siècles, le 27 janvier 2008. Le public francophone ne le sait peut-être pas, mais c’est ce théologien, bien sous tous rapports, qui révolutionna l’univers feutré de la théologie spéculative en publiant  entre 1835 et 1836 une sorte de biographie révolutionnaire de Jésus qui mit l’Europe entière en émoi. Le livre s’intitulait exactement : Das Leben Jesu, kritisch bearbeitet. (La vie de Jésus, un examen critique).
    Le sous titre est un euphémisme puisque Strauss, qui avait étudié la théologie et la philosophie à Tubingen et à Berlin, ne laisse rien subsister de l’édifice patiemment construit par l’Eglise catholique au cours de son histoire pluriséculaire. Le livre fut un véritable best seller de l’époque et connut de multiples rééditions et traductions. En France, ce fut le libre penseur et célèbre lexicographe Emile Littré, membre de l’Académie Française, qui le traduisit. Cette démarche ne fut pas anodine puisque, dès 1862, le jeune Ernest Renan, chassé par l’Empereur Napoléon III de sa chaire d’hébreu et d’araméen au Collège de France, composa une belle Vie de Jésus qui n’aurait guère vu le jour sans l’apport du théologien protestant. La critique moderne et contemporaine a sévèrement jugé ce livre mais le style de Renan a résisté à tout : 60.000 exemplaires en moins de trois mois !
    A l’époque, c’était Hegel qui dominait la scène philosophique allemande et c’est tout naturellement que le jeune Strauss quitta Tubingen pour se rendre dans la capitale prussienne. Par malheur, le grand maître de l’idéalisme allemand mourut quelques jours après son arrivée à Berlin. On oublie souvent de signaler que Hegel lui-même, dans son jeune âge, avait conçu le projet d’écrire une biographie de Jésus, ce qu’il ne fit jamais. C’est Strauss qui réalisa ce projet si controversé.
    En février 1839, les autorités de la bonne ville de Zurich offrirent au jeune théologien protestant, devenu célèbre, une chaire de dogmatique dans l’université qu’elles venaient de fonder. Ce fut une véritable levée de boucliers : les pasteurs, les paysans, toutes les forces réactionnaires se liguèrent pour chasser le professeur sacrilège. Près de deux mille paysans, armés de faux et de fourches, marchèrent sur la ville, occupèrent la place de la cathédrale et s’en prirent aux forces de l’ordre qui réagirent violemment : 14 victimes du côté des manifestants et un conseiller municipal tué alors qu’il essayait de parlementer. Après une semaine de troubles, alors qu’il n’avait pas donné une seule heure d’enseignement, on dut mettre à la retraite le malchanceux professeur par lequel le scandale était arrivé…
    Comme le remarque l’auteur de ce bel article, les contestations religieuses consécutives à la publication de cette Vie (iconoclaste) de Jésus masquaient un malaise social profond : d’un côté, se trouvaient les forces libérales, séduites par un modernisme naissant et désireuses de secouer le joug d’une église omniprésente dans la vie sociale, de l’autre , une paysannerie, un monde rural, sur la défensive, sentant que l’évolution lui échappait et que son avenir était hautement incertain. Si, en plus de cela, on lui subtilisait l’image traditionnelle de Jésus, que lui resterait-il ?
    Même les théologiens les plus progressistes de l’époque, ne cachaient pas leur étonnement : Strauss avait appliqué aux récits évangéliques les normes de la critique hegélienne, mettant à nu le fossé profond séparant le Jésus de l’Histoire de celui de la légende ecclésiastique. Strauss n’hésita pas à écrire que les récits évangéliques sur Jésus étaient un «amas de mythes» auxquels la conscience historique était réfractaire… Il expliquait ensuite que l’on avait dû élever au rang d’un genre ce qui n’était pas acceptable au plan d’un simple individu car, dans ce dernier cas, les contradictions étaient trop criantes alors que dans le premier , elles se neutralisaient réciproquement et pouvaient revendiquer un peu de vraisemblance.
    Strauss ne laissa pas passer l’affront des cléricaux sans réagir puisqu’il publia un violent pamphlet dès 1841 intitulé la dogmatique chrétienne dans son évolution historique et son combat contre la science moderne… Un tel titre laisse bien augurer du contenu de l’ouvrage !
    On ne mesure pas assez l’influence décisive du livre de Strauss sur le jeune Renan, même si ce dernier finit par s’autonomiser. Par exemple l’idée renanienne que l’avenir du christianisme consistait en un humanisme vient du théologien allemand (Fortbildung des Christentums zum reinen Humanismus… Or, une telle spéculation eut des conséquences incalculables sur la pensée européenne du XIXe siècle. Une réserve cependant : comme l’explique le collègue professeur, auteur de l’article, quand on entame une entreprise de désacralisation on en suscite obligatoirement une de… re-sacralisation. C’est tout le secret de la pensée dialectique.

     

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