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Vu de la place Victor-Hugo - Page 408

  • L’Allemagne change ! Risques et défis d’une mutation

     

    L’Allemagne change ! Risques et défis d’une mutation.  Sous la direction de Hans Stark et Nele Katharina Wissman. Presses Universitaires du Septentrion, 2015.

    Il fallait y penser, c’est désormais chose faite ! Un vaste panorama illustrant le long chemin parcouru par la République Fédérale d’Allemagne jusqu’à la réunification qui a déjà vingt-cinq ans. Au cours de toutes ces années, l’Allemagne a suivi sa propre route, cette espèce de Sonderweg qui avait jadis tant fait couler tant d’encre… L’Allemagne d’aujourd’hui, l’Allemagne contemporaine n’est plus ce qu’on nous en disait à nous, jeunes étudiants germanistes des années soixante-dix, à savoir que notre voisine était un géant économique et un nain politique (Wirtschaftsriese und ein politischer Zwerg). Je me souvins même d’un de nos professeurs qui avait risqué la métaphore très suggestive suivante : un colosse aux pieds d’argile (ein Riese mit tönernen Füssen)

    L’Allemagne d’aujourd’hui, en 2016, domine l’Europe sur tant de plans, qu’elle l’admette vraiment ou non ; elle donne le ton sur les dossiers européens les plus épineux. On l’a vu lors de la crise grecque où, pour une fois, le président français a tempéré la réaction allemande, pour la simple raison qu’il avait peur de créer un précédent et qu’il se savait le prochain sur la liste… Donc si il laissait exclure la Grèce, la France en aurait eu des sueurs froides…

    Les éditeurs de ce riche volume ont sollicité des experts dans tous les domaines qui comptent. Faute de compétence, je me limiterai à quelques points très précis, et notamment à l’héritage de l’histoire allemande récente puisque c’est le seul pays qui a changé tant de fois de régimes en un petit siècle : le Reich wilhelmien, la République de Weimar, le IIIe Reich de Hitler, la République fédérale d’Allemagne, la République démocratique allemande (RDA, sowjetische Besatzungszone) et enfin l’Allemagne réunifiée. Sans oublier cette tache presque indélébile qu’est la Shoah qui a conduit les Allemands d’aujourd’hui, absolument innocents des crimes affreux de leurs pères et grands pères, (comme le spécifie le chapitre XVIII du prophète Ezéchiel) à cette nécessité de maitriser son passé : Vergangenheitsbewältigung). Curieuse expression. Mais elle a été créée avec la meilleure intention du monde.

    En feuilletant ce riche volume, je me suis rendu compte du caractère asymétrique des problèmes de la France et de l’Allemagne, ce qui complique nettement leur entente et leur action harmonieuse. Le problème le plus grave de nos voisins et amis allemands est la chute vertigineuse de la natalité, c’est un problème démographique qui pourrait menacer la prospérité du pays et ruiner les retraites d’une population vieillissante. Ce qui explique l’attitude assez inconsidérée et préjudiciable pour l’avenir, selon moi, de la chancelière dans l’affaire des réfugiés. Selon les experts dont je ne suis pas, il manquera à notre voisin entre 6 et 7 millions de bras dans les prochaines années… cet afflux de réfugiés, vrais ou faux , voire même terroristes infiltrés, fut une véritable aubaine, une manne. J’espère simplement que les problèmes ne viendront pas avec la deuxième ou la troisième génération : l’avenir , que je souhaite, radieux, nous le dira.

    La France ne connaît pas ce genre de problème, vu que sa natalité est bonne, et surtout elle abrite un parti, le Front National, qui considère l’immigration et l’accueil de réfugiés comme une faute grave. D’un côté on accueille un million de migrants et de l’autre on en accepte 30.000 du bout des lèvres.

    Mais il existe aussi un certain nombre de points sur lesquels l’Etat allemand n’a pas encore apporté de réponses : par exemple, l’existence d’une véritable armée européenne, la fondation d’une véritable politique étrangère européenne et enfin un engagement plus substantiel du voisin d’outre-Rhin dans les opérations extérieures comme au Mali, en Centrafrique, en Irak et en Syrie. Certes, la chancelière a accordé un soutien logistique mais cela reste notoirement insuffisant.

    La politique industrielle allemande, la prise en considération du changement climatique et la révolution numérique sont bien orientées de l’autre côté du Rhin, bien mieux que de ce côté-ci.

    Restent les mutations sociales, l’évolution des mœurs et la disparition progressive de l’homogénéité de la société allemande. Et j’en viens à l’article qui m’a profondément irrité et qui porte sur les religions non chrétiennes au sein du territoire, l’islam et le judaïsme.

    Pourquoi traiter ensemble dans un même chapitre ces deux religions dont l’histoire des relations avec l’Etat allemand est si spécifique, si unique, si ancienne ? Et donc essentiellement distinctes ? L’article est riche, solidement documentée, très fondée (comme on dit en allemand : sehr fundiert) mais perd beaucoup de son intérêt en intégrant artificiellement dans un binôme ce qui n’aurait jamais dû être traité ensemble. L’auteur, mécaniquement, passe de l’une à l’autre religion sans que les disparités criantes entre les deux, ne lui saute aux yeux. Pas une seule fois.

    Les Juifs sont en Allemagne depuis les origines, ils ont participé même à la fondation de villes, leurs communautés rhénanes furent décimées par les croisades, il y eut ensuite le Siècle des Lumières avec Mendelssohn, la science du judaïsme, la naissance du judaïsme libéral, la naissance des plus grands philosophes judéo-allemands comme Rosenzweig et Buber : où étaient donc nos bons petits Turcs à toutes ces époques ? Dans le plateau anatolien alors que la population juive vivait dans les villas de Dahlem Dorf et de Grunewald… Il y a tout de même une petite différence. Si je voulais être sévère, je dirais qu’il est dommage que Heinrich Heine, l’auteur de la Lorelei, ne puisse pas lire cet article, je me demande quelle eût été sa réaction…

    Je ne veux pas justifier du reproche de l’arrogance ou de la supériorité intellectuelle juives, mais tout de même ! Même la reconstitution de la communauté juive est asymétrique par rapport à l’émergence des communautés turco-musulmanes. Où avez vu un seul Juif considéré comme Gastarbeiter ? Et je laisse de côté l’effarante disparité des chiffres : environ cent mille face à plus de quatre millions !!

    Mis à part cette réserve ponctuelle, le livre instruira tous ses lecteurs sur ce qui se passe chez notre voisin et allié. On peut aller d’un article à l’autre, selon les intérêts portés au penser et sentir allemands.

    Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 6 janvier 2016

  • La France tente de panser ses blessures : qu’ils reposent en paix ceux qui nous ont quittés…

     

     

     

    La France tente de panser ses blessures : qu’ils reposent en paix ceux qui nous ont quittés…

    En fait, le papier de ce matin devait porter sur la tension entre l’Iran et l’Arabie, une tension capable de mettre toute la région à feu et à sang. Et je pèse mes mots : ces deux pays aux visées hégémoniques opposées sont déjà en guerre par d’autres pays interposées : la Syrie, l’Irak, Bahreïn, etc… Ryad a déjà constitué une énorme coalition anti-Daésh (presque 35 pays), mais cette coalition est aussi une barrière contre l’influence grandissante du pays des Mollahs.

    La France, aujourd’hui, par la voix de son autorité suprême, veut rendre hommage aux victimes du terrorisme. Je suis moi-même très ému. J’ai vu hier un reportage montrant une jeune femme juive, devenue veuve car son mari était allé faire des courses à l’Hyper cacher de Vincennes. Il n’est plus jamais revenu. Son époux est enterré à Jérusalem, je n’ai pas pu regarder le reportage jusqu’au bout, mais j’ai entendu les sanglots de cette jeune femme et surtout cette phrase qui m’a anéanti : cela fait un an, c’est comme si c’était hier, j’ai l’impression qu’il est toujours là…

    Et justement depuis un peu plus d’un an, la France mène une guerre qui va hélas s’intensifier, car l’EI sera vaincu et incitera tous ses partisans de par le monde à commettre des actes de terrorisme isolé. Le président de la République a eu l’honnêteté de le reconnaître : la France n’en a pas fini avec le terrorisme. A son humble niveau, elle ne peut pas faire grand chose, surtout tant qu’Obama est à la Maison Blanche, un homme qui se refuse à employer sa superpuissance militaire et préfère laisser le mal se poursuivre.

    La France se penche donc sur son passé récent et hautement douloureux. Les partis politiques durcissent les lois existantes dans un sens plus répressif et plus sécuritaire. Cela se comprend puisque la population demande qu’on la protège tant contre les dangers extérieurs qu’intérieurs. Même Schengen est enterré et ne ressuscitera plus : Madame Merkel se trompe si elle croit que les problèmes de son pays sont aussi ceux de toute l’Union Européenne… La chancelière sait qu’elle aura un déficit de 7 à 8 millions d’hommes et que cela pourrait entraîner la ruine d’une économie allemande florissante… Derrière la face rayonnante de l’accueil des réfugiés se cache une analyse froide et déterminée des intérêts bien compris de son pays. Mais elle feint d’ignorer tous les problèmes que va susciter dans les années qui viennent, cet afflux massif des réfugiés. Le cas français devrait lui servir d’exemple. Elle avait déjà sous les yeux la cas du Kreuzberg à Berlin

    La semaine qui s’annonce va être très triste pour la France. Dix-sept morts pour le premier attentat de l’année écoulée et cent trente pour celui de novembre. Même dans ses opérations extérieures, même sur le champ de bataille, au Main ou ailleurs, le pays n’a pas eu autant de pertes.

    Mais laissons filtrer un message, une lueur d’espoir. Il ne faut pas que la morosité l’emporte. Si elle sait faire les bons choix, si elle sait éloigner d’elle les éléments qui menacent sa cohésion, elle vaincra. Et les beaux jours, ceux de l’insouciance et de la gaieté, reviendront. Et comme le disait l’authentique prophète du VIIIe siècle avant JC, Isaïe, et vous puiserez l’eau dans l’allégresse à partir des fontaines du salut…

    Maurice-Ruben HAYOUN in TDG du 5 janvier 2016.

  • Le mois de janvier 2016, une cascade de commémorations…

    Le mois de janvier 2016, une cascade de commémorations…

    On a l’impression dans ce pays que les années se suivent et se ressemblent : ce sont les attentats terroristes qui ont imposé ce changement crucial dans la vie de la Franc et des Français. De janvier à novembre 2015, ce pays a été frappé au cœur, des assassins, au nombre de plusieurs dizaines (chaque jour la Belgique voisine en inculpe de nouveaux) ont pu franchir les frontières, circuler dans Paris en mitraillant de pauvres gens attablés aux terrasses des cafés ou écoutant sagement un concert. Et les autorités n’ont rien vu venir. Il leur reste juste la compassion, la commémoration et le recueillement.

    Je soutiens la mesure consistant à inscrire ces douloureux événements dans la mémoire de la collectivité nationale ; il ne faut pas oublier ; il faut rendre hommage à celles et à ceux qui furent arrachés à la vie et au bonheur alors qu’ils ne cherchaient rien d’autre qu’à être heureux. Mais le pays et ses dirigeants courent un risque majeur : sombrer dans les célébrations funéraires, devenir les sacristains de la République.

    En fait, nous sortons d’un deuil pour entrer dans un autre, à force de s’y plier, la sincérité de ces actes s’en trouve considérablement affaiblie… Vous vous souvenez de ces déplacements officiels, de ces défilés dans la cour d’honneur des Invalides, de ces réceptions à l’Elysée…

    En revanche, les décorations sont amplement méritées, notamment celles décernées à titre posthume aux victimes de Charlie Hebdo. Et parlons de ce journal satirique qui incarne à lui seul toute une sensibilité française, une façon de sentir et de penser (pour reprendre l’expression allemande das Denken und Fühlen) typiquement française. J’ai vu ce matin que la polémique a repris en raison de l’éditorial du journal qui tire ce numéro-anniversaire à un million d’exemplaires.

    Avec Charlie-Hebdo, on peut être ou ne pas être d’accord, mais quelle que soit la caricature, cela ne mérite la mise à mort : en France, depuis Voltaire et même avant, et surtout depuis, la caricature, l’ironie et l ‘humour (de bon ou de mauvais goût) ont toujours été présents dans notre socio-culture.

    Or, depuis la disparition de l’homogénéité de la société française, des voix, de plus en plus nombreuses se font entendre pour pointer violemment des désaccords avec le courant principal de l’opinion. Je n’ai pas besoin d’être plus précis : ce ne sont ni des Finlandais, ni des Norvégiens qui nous posent problème. Et, pour faire court, je comprends la mesure proposée par Alain Juppé en vue de réprimer les entraves à la laïcité.

    Mais le problème que les autorités ne comprennent pas, en raison de la formation stéréotypée des hauts fonctionnaires, calquée sur un même moule qui refuse d’évoluer, c’est que derrière ce débat sur la place de la laïcité se cache tout un massif de questions ultimes : quel est le but de l’existence sur terre ? A quoi devons nous aspirer ? Qu’est ce qui compte le plus, l’en-deçà ou l’au-delà ? Quelle attitude adopter vis-à-vis de ceux qui prient, croient et pensent autrement ? Pour être plus clair, la place du religieux dans la vie de tous les jours.

    Je précis que j’adhère de toutes les fibres de mon être aux lois de la laïcité qui permettent le vivre ensemble et protègent les minorités ethniques ou religieuses. Mais chaque fois que je me suis aventuré à expliquer à quelques très hauts fonctionnaires de mes amis, la façon de penser de nos compatriotes islamiques ils calent, changent de sujet ou restent muets. Comment voulez vous, dans ces conditions, que les choses avancent ?

    Et cette impéritie, pour ne pas dire cette infirmité, est aggravée par le fait que ces élites veillent jalousement sur le recrutement des postes les plus importants. Elles ne tolèrent pas du tout la moindre diversité. Si vous voulez accéder à ces hautes charges, il y a un cursus qui ne souffre pas d’exception : d’abord sciences-po, et ensuite l’ENA…

    Après six, voire sept décennies de règne sans partage, on voit où nous a menés cette politique, guidée par des hommes et des femmes dont les compétences auraient mérité d’être enrichies par d’autres, venus d’autres horizons, tout aussi prestigieux, quoique moins reconnus.

    Terminons par une note philosophique empruntée à Kant mais qui illustre bien ce problème : Voulant spécifier la nature exacte de l’intellect humain, par opposition à l’intellect divin   (s’agit-il d’une différence de nature ou simplement de degré ?) Kant , après quelques hésitations, finira par opter pour la solution suivante : l’intellect humain est un intellect ectype, c’est-à-dire qu’il est un peu la copie que l’on obtient grâce à du papier carbone… Une imitation, une reproduction. Un calque, rien de plus.

    Or, si tous les esprits qui nous gouvernent ont une nature ectype, comment voulez vous qu’on sorte des sentiers battus, qu’on renouvelle l’approche des problèmes ?

    C’est là, tout le problème !