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Vu de la place Victor-Hugo - Page 436

  • Renégocier Schengen?

     

    Renégocier Schengen ?

    Ce qui se passe aujourd’hui dans le monde est absolument inouï. C’est du jamais vu : soixante-dix ans après la fin de la seconde guerre mondiale, d’énormes déplacements de populations ont lieu et l’échange se fait entre deux continents si éloignés l’un de l’autre, sur tant de plans : le Moyen Orient arabo-musulman et l’Europe judéo-chrétienne. Il était prévisible que cela soulèverait bien des oppositions.

    On a vu des pays solidement ancrés dans la culture chrétienne refuser de recevoir des migrants d’une autre religion, d’autres ont conditionné leur accord à des mesures très strictes. Bref, l’Europe étale ses divisions et ses conceptions qui varient souvent d’un pays à l’autre.

    L’opinion publique française a été versatile sur cette question car elle a déjà commencé par rejeter les réfugiés mais sous le coup de la pression médiatique, elle a changé d’attitude, et nul ne peut nous garantir qu’elle ne changera pas de nouveau sur ce point délicat.

    Des voix se font entendre, tant celles des maires que celle, plus autorisée, de l’ancien chef de l’Etat, qui préconise un nouveau statut de réfugié, celui de réfugié de guerre : on accueille les gens, on les traite correctement, mais une fois que le conflit dans leur pays est réglé, ils réintègrent la mère patrie. Cette solution est bonne et équitable mais elle est utopique car jamais ces gens, qui auront vécu ici, n’accepteront de revenir chez eux après avoir joui de la protection sociale des Européens.

    Certains membre de l’opposition, ici comme ailleurs, dénoncent l’attitude des riches monarchies pétrolières du Golfe qui ferment les yeux sur les souffrances indicibles de leurs frères arabo-musulmans… Et les mêmes se demandent : mais pourquoi donc l’Europe chrétienne est elle tenue d’accueillir de tels réfugiés ?

    Il est indéniable que le monde va vers des difficultés sérieuses. Le fossé culturel est trop profond et ne pourra pas être comblé. Mais soyons optimistes et essayons de voir l’avenir mieux que cela, sans toutefois nier que, vu la situation économique, les pays concernés ne peuvent plus intégrer personne.

    Mais rêvons un peu : ces centaines de milliers de réfugiés (car ce n’est qu’un début et Madame Merkel insiste sur le caractère pérenne de cet afflux) peuvent œuvrer au rapprochement de nos cultures. En vivant en notre sein, peut-être feront ils émerger un islam des Lumières, plus proche des valeurs de l’Occident. Peut-être assisteront nous alors à un renouveau du dialogue des cultures…

    J’ai été très ému par les déclarations de gratitude des réfugiés qui chantaient la gloire de l’Europe et rendaient grâce à la France et à l’Allemagne. Mais n’oublions pas l’attitude plus froide de la Grèce, de l’Italie, de la Hongrie, de la Pologne, de la république tchèque, du Danemark qui a modifié ses lois pour stopper une immigration sauvage.

    Il faudra faire preuve d’une grande vigilance. Sinon, l’espace Schengen n’existera plus.

  • Aidons Bacgar et ensuite faisons le partir

    Il faut aider Bachar et ensuite le faire partir

    Le gouvernement français, par la voix de son président, vient de comprendre que l’action actuelle contre Daesh n’était pas suffisante et qu’elle n’arrivait même pas à affaiblir cette organisation terroriste qui campe sur près de la moitié du territoire syrien et occupe de larges portions de l’Irak voisin.

    François Hollande a donc enfin décidé de poursuivre ces terroristes partout où ils se trouvent et a donné l’ordre de frappes en Syrie alors que jusqu’ici il se cantonnait à l’Irak, conformément aux vœux du gouvernement de ce pays.

    Mais une question se pose avec une insistance accrue : comment éviter que l’affaiblissement de Daesh ne profite à Bachar ? Et surtout comment faire pour ne pas pactiser avec lui, échanger des informations sensibles, alors qu’on s’en prend au même ennemi ?

    La conscience morale, pas seulement en Europe, mais dans le monde entier, s’insurge à l’idée d’une coopération, même une coopération qui ne dirait pas son nom, avec un homme devenu le boucher de son peuple, un dictateur sanguinaire qui n’a pas hésité à utiliser des armes chimiques contre de pauvres civils.

    Mais voilà quel est le pire de tous les ennemis, Bachar ou Daesh ? Les Occidentaux et le reste du monde civilisé ont choisi : il faut tout faire pour écarter le danger que représente Daesh et c’est seulement après que Bachar sera neutralisé.

    Mais une nouvelle question, aussi préoccupante que la précédente, se pose : comment gérer l’Iran qui, lui aussi, lutte contre Daesh aux côtés de Bachar ? Cette situation inextricable fait que l’Occident est devenu de facto l’allié de deux régimes infréquentables, l’Iran et Bachar…… Et je n’oublie pas le Hezbollah.

    En Iran, la dyarchie au sommet de l’Etat, ne facilite pas les choses : on a affaire à un président élu par ses concitoyens qui semblent (je dis bien qui semble) vouloir normaliser les relations avec le reste du monde, et face à lui il y a un Guide suprême dont les relations avec des milieux orientés différemment sont bien connues… Alors à qui faire confiance ?

    L’opinion publique se demande pour quelle raison M. Obama n’envoie pas une division mécanisée en Irak qui, en moins d’une semaine, viendrait à bout des djihadistes. La réponse n’est pas difficile à trouver : depuis le règne désastreux de Nouri al-Maliki, l’Irak est devenu un protectorat iranien, ce qui veut dire que si on débarrassait l’Irak de Daesh, on ouvrirait un boulevard aux Iraniens qui peinent justement tant en Irak qu’en Syrie à vaincre ou simplement à contenir cet ennemi.

    C’est du cynisme mais les Etats sont des monstres froids.

    C’est pour cette raison que les Iraniens reprochent aux Américains leur inaction sur le terrain et qu’Israël soigne à l’occasion tous les blessés qui se présentent à sa frontière sur le Golan…

    Le monde est devenu un village planétaire ; on se souvient de la phrase : le battement d’ailes d’un papillon en Chine provoque une tornade à l’autre bout du monde. J’avais lu cela jadis dans Die Zeit (Der Flügelschlag eines Schmetterlinges in China…)

    Je veux dire ceci : les massacres en Syrie ont provoqué un véritable ras de marée de réfugiés dans nos pays. Et c’est pour le tarir que la France s’engage désormais en Syrie. C’est prendre le mal à la racine ou saisir le taureau par les cornes.

  • La grande Fracture de Joseph E. Stiglitz (LLL)

    La grande fracture de Joseph E. STIGLITZ (Ed. Les liens qui libèrent)

    Quiconque serait passionné d’économie sans rien y comprendre devrait dévorer ce beau livre du Prix Nobel d’économie Joseph E. Stiglitz : tout y est parfaitement bien expliqué. Car ce volume intitulé la Grande fracture est un recueil d’articles parus dans le New York Times ou dans Vanity Fair. C’est simple, c’est original et c’est parcouru par une exigence morale absolue : lutter contre les inégalités, montrer avec tellement de talent qu’on en oublierait la passion, que la justice sociale n’est pas l’adversaire ni l’ennemie de la réussite économique, tout au contraire, elle en est même, selon l’auteur, l’une des principales conditions. Et la garante, pour l’avenir.

    Pour faire prévaloir ce point de vue, à la fois humaniste et généreux, sans jamais être égalitariste, l’auteur se donne lui-même en exemple. Il raconte comment il a pu, grâce à une bourse intégrer une université de bonne tenue, tout en étant issu d’un milieu modeste. Il cite l’exemple de sa propre mère qui dut interrompre ses études afin d’assister son mari, études qu’elle ne reprit qu’au moment où le budget de la maisonnée devint un moins restreint. Et quand les centres des villes connurent une marée de gens de couleur, cette grande dame fut l’une des rares personnes blanches à enseigner des Afro-américains…

    Tout jeune, le petit Joseph s’interrogeait sur les dysfonctionnements du monde et de son monde : pourquoi donc la bonne n’avait elle d’autre perspective que de faire le ménage chez les gens, de garder leurs enfants au lieu de s’occuper des siens, pourquoi n’ouvrait on pas de perspectives aux autres, notamment aux Afro-américains, véritables laissés pour compte de la société américaine ? Tant de questions qui ont guidé cet homme appelé à un brillant avenir et à une renommée mondiale, et ce depuis les années au cours desquelles il rédigeait sa thèse sur les déterminants de la distribution des richesses. Et qui, parvenu à la renommée et à l’aisance, ne s’est pas laissé récupérer par le système.

    Les inégalités, poursuit Stiglitz, finiront par pousser l’économie des USA à la ruine alors qu’une stimulation économique par une bonne politique sociale et une meilleure répartition des richesses conduiraient à la prospérité. Dans sa critique de la politique et des hommes politiques de son pays, l’auteur épingle deux personnalités : D. Reagan et Georges W. Bush qui auraient, selon lui, baissé les impôts pour les plus riches, accordé d’incroyables largesses aux industries pharmaceutiques alors que nombre d ‘Américains n’ont pas assez d’argent pour payer des frais médicaux.

    Il faut dire que l’auteur remonte jusqu’à l’époque de la Grande Dépression. Il affirme son total désaccord quand on dit que le crime a eu lieu mais que personne n’est coupable. C’est cette exigence morale qui a retenu l’attention du philosophe que je suis. Généralement, les économistes se contentent de plaider gentiment en faveur d’une meilleure répartition des richesses, une aide sociale adaptée aux besoins des populations pauvres, etc… mais chez Stiglitz, c’est l’épine dorsale dont dépend tout le reste.

    Grâce aux journaux cités supra, mais aussi à tant d’autres, l’auteur a pu populariser ses idées et connaître une grande renommée, deux choses qui n’auraient jamais eu lieu s’il était resté confiné dans son  milieu professionnel ou s’il n’avait écrit que pour quelques spécialistes.

    Il a parfois choisi des titres accrocheurs, aidés en cela par des rédacteurs en chef très avisés : je pense surtout à ce jeu de mots sur les 1% qui monopolisent tout, laissant des miettes aux 99%. Stiglitz rappelle avec humour que ce dernier chiffre est devenu le cri de ralliement des contestataires du temple mondial de la bourse , Wall street…  Il y eut aussi cette image du bus avec les multimilliardaires qui au nombre de 85, auraient plus de moyen que des milliards d’hommes, les plus pauvres de la planète.

    Joseph Stiglitz est un humaniste, mais ce n’est pas un aimable rêveur : c’est pour cette raison qu’on prend au sérieux son plaidoyer en faveur d’une meilleure répartition des richesses. Sa science de l’économie montre qu’il sait de quoi il parle. C’est lui qui a le mieux fait ressortir le lien insécable entre égalité, justice sociales, d’une part, et expansion économique et régime politique stable, d’autre part

    Il nous faudrait beaucoup de Stiglitz pour sauver cette planète.

     

    Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 8 septembre 2015