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Vu de la place Victor-Hugo - Page 439

  • La grande Fracture de Joseph E. Stiglitz (LLL)

    La grande fracture de Joseph E. STIGLITZ (Ed. Les liens qui libèrent)

    Quiconque serait passionné d’économie sans rien y comprendre devrait dévorer ce beau livre du Prix Nobel d’économie Joseph E. Stiglitz : tout y est parfaitement bien expliqué. Car ce volume intitulé la Grande fracture est un recueil d’articles parus dans le New York Times ou dans Vanity Fair. C’est simple, c’est original et c’est parcouru par une exigence morale absolue : lutter contre les inégalités, montrer avec tellement de talent qu’on en oublierait la passion, que la justice sociale n’est pas l’adversaire ni l’ennemie de la réussite économique, tout au contraire, elle en est même, selon l’auteur, l’une des principales conditions. Et la garante, pour l’avenir.

    Pour faire prévaloir ce point de vue, à la fois humaniste et généreux, sans jamais être égalitariste, l’auteur se donne lui-même en exemple. Il raconte comment il a pu, grâce à une bourse intégrer une université de bonne tenue, tout en étant issu d’un milieu modeste. Il cite l’exemple de sa propre mère qui dut interrompre ses études afin d’assister son mari, études qu’elle ne reprit qu’au moment où le budget de la maisonnée devint un moins restreint. Et quand les centres des villes connurent une marée de gens de couleur, cette grande dame fut l’une des rares personnes blanches à enseigner des Afro-américains…

    Tout jeune, le petit Joseph s’interrogeait sur les dysfonctionnements du monde et de son monde : pourquoi donc la bonne n’avait elle d’autre perspective que de faire le ménage chez les gens, de garder leurs enfants au lieu de s’occuper des siens, pourquoi n’ouvrait on pas de perspectives aux autres, notamment aux Afro-américains, véritables laissés pour compte de la société américaine ? Tant de questions qui ont guidé cet homme appelé à un brillant avenir et à une renommée mondiale, et ce depuis les années au cours desquelles il rédigeait sa thèse sur les déterminants de la distribution des richesses. Et qui, parvenu à la renommée et à l’aisance, ne s’est pas laissé récupérer par le système.

    Les inégalités, poursuit Stiglitz, finiront par pousser l’économie des USA à la ruine alors qu’une stimulation économique par une bonne politique sociale et une meilleure répartition des richesses conduiraient à la prospérité. Dans sa critique de la politique et des hommes politiques de son pays, l’auteur épingle deux personnalités : D. Reagan et Georges W. Bush qui auraient, selon lui, baissé les impôts pour les plus riches, accordé d’incroyables largesses aux industries pharmaceutiques alors que nombre d ‘Américains n’ont pas assez d’argent pour payer des frais médicaux.

    Il faut dire que l’auteur remonte jusqu’à l’époque de la Grande Dépression. Il affirme son total désaccord quand on dit que le crime a eu lieu mais que personne n’est coupable. C’est cette exigence morale qui a retenu l’attention du philosophe que je suis. Généralement, les économistes se contentent de plaider gentiment en faveur d’une meilleure répartition des richesses, une aide sociale adaptée aux besoins des populations pauvres, etc… mais chez Stiglitz, c’est l’épine dorsale dont dépend tout le reste.

    Grâce aux journaux cités supra, mais aussi à tant d’autres, l’auteur a pu populariser ses idées et connaître une grande renommée, deux choses qui n’auraient jamais eu lieu s’il était resté confiné dans son  milieu professionnel ou s’il n’avait écrit que pour quelques spécialistes.

    Il a parfois choisi des titres accrocheurs, aidés en cela par des rédacteurs en chef très avisés : je pense surtout à ce jeu de mots sur les 1% qui monopolisent tout, laissant des miettes aux 99%. Stiglitz rappelle avec humour que ce dernier chiffre est devenu le cri de ralliement des contestataires du temple mondial de la bourse , Wall street…  Il y eut aussi cette image du bus avec les multimilliardaires qui au nombre de 85, auraient plus de moyen que des milliards d’hommes, les plus pauvres de la planète.

    Joseph Stiglitz est un humaniste, mais ce n’est pas un aimable rêveur : c’est pour cette raison qu’on prend au sérieux son plaidoyer en faveur d’une meilleure répartition des richesses. Sa science de l’économie montre qu’il sait de quoi il parle. C’est lui qui a le mieux fait ressortir le lien insécable entre égalité, justice sociales, d’une part, et expansion économique et régime politique stable, d’autre part

    Il nous faudrait beaucoup de Stiglitz pour sauver cette planète.

     

    Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 8 septembre 2015

  • Jean-Marie Le Pen, le chant du cygne?

    Jean-Marie Le Pen, le chant du cygne ?

    Finalement, il n’aura pas d’entrée fracassante à l’université d’été du parti qu’il avait jadis cofondé ; il n’aura pas perturbé le discours d’ouverture de sa fille Marine à Marseille. Certes, il a livré un petit baroud d’honneur, mais il semble bien que ce soit le dernier. A t il enfin compris, ou est ce tout simplement un repli tactique ? Ceux qui le connaissent bien optent pour la seconde solution.

    Pourtant, la sagesse eût recommandé de raccrocher les crampons à plus de 85 ans. Il pourrait écrire ses mémoires puisqu’il a tant à dire, notamment tirer au clair la rumeur autour d’une hypothétique rencontre avec Jacques Chirac, qui aurait été organisée par le défunt Charles Pasqua.

    Il y a, certes, la rage d’avoir été supplanté dans le cœur de sa fille parmi de jeunes venus récemment au FN, tels Florian Philippot. Jean-Marie Le Pen hait cet homme qui est le véritable numéro deux du FN. Mais il y a aussi autre chose, une véritable différence sur le fond : Marine et son cercle le plus intime veulent le pouvoir, ils veulent normaliser le FN, ils en ont assez de ces petites phrases assassines qui font rebasculer leur parti dans une sorte de petite formation, de groupuscule protestataire, centre de rassemblement de tous les mécontents. Ils ont une autre stratégie au  sein de laquelle Le Pen fait figure de  dernier des Mohicans.

    A part quelques nostalgiques du passé qui tentent de théoriser leur attachement au vieux chef, lequel se déplace difficilement, peu de gens au FN attachent encore de l’imprtance à Jean-Marie Le Pen.

    Les sondages donnent Marine Le Pen en bonne place aux élections régionales lesquelles s’annoncent dévastatrices pour le pouvoir actuel. La dernière interrogation de l’opinion donne François Hollande absent du second tour, dans tous les cas de figure.

    Mais il reste encore près de vingt mois et tant de choses peuvent se produire. On sent bien que le président est déjà en campagne. Mais sera ce suffisant ?

  • La crise migratoire : l’Europe à la croisée des chemins

    La crise migratoire : l’Europe à la croisée des chemins

    Personne, absolument personne n’est allé jusqu’au bout de la logique interne de tous ces conflits qui rendent la vie impossible à tous les citoyens non belligérants des pays en décomposition suite à une guerre civile : personne n’a imaginé que les civils, retenus en otages, braveraient tous les dangers pour échapper à l’enfer quotidien dans leurs pays d’origine, même au péril de leur vie. C’est ainsi que des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ont pris ce qu’ils pouvaient prendre et se sont lancés dans la quête éperdue d’un havre de paix. L’ont ils enfin trouvé ? Ce n’est pas si sûr quand on entend Madame le Premier Ministre de Pologne ou des responsables d’autres pays voisins.

    Des voix commencent à se faire entendre, même en France où le président de l’association des maires a suscité une belle polémique en disant qu’il ne pouvait recevoir personne. D’autres ont mis l’accent sur le chômage, la pénurie d’emplois, les seuils dits de tolérance, les consultations de la population… Malgré cette terrible photographie, la France dans sa majorité refuse d’accueillir les migrants en grand nombre. Même le président de la République qui a déjà changé d’avis ne pourra pas imposer des quotas qui ne disent pas leur nom.

    Personne ne peut, à l’heure actuelle, dire que tous ces gens sont réfugiés en quête d’asile alors que d’innombrables réfugiés économiques se cachent parmi eux. Tant de gens qui ne peuvent pas obtenir de visas pour émigrer en Europe ont utilisé cette filière pour prendre pied ici. Certes, cela ne doit pas faire porter la suspicion sur les authentiques personnes en quête d’asile et dont le maintien dans leur pays d’origine est impossible.  Mais quid ces Pakistanais, de ces Afghans et de ces Iraniens ? Qu’en faire ? Comment les admettre quitte à les refouler par la suite.

    L’Europe est à la croisée des chemins. J’ai lu dans Le Monde daté du vendredi 4 septembre par 13 un bel article de Guy Sorman. On devrait dire Guy fils de Nathan Sorman. C’est la première fois que notre continent est confronté à son histoire récente, celle de la Shoah et des ravages de la seconde guerre mondiale. Certes, ce n’est pas la même chose, nul réfugié n’est menacé d’extermination, mais derrière les barbes noires, les turbans et les voiles, les visages sont les mêmes : êtres humains faits à l’image de Dieu.

    C’est un véritable exode, un déplacement forcé de populations.

    L’erreur fatale de l’Europe a été de croire que les gens qui se font massacrer en Syrie, en Irak et Libye resteraient sagement chez eux en attendant, eux aussi, de passer de vie à trépas. Aucun haut fonctionnaire de Bruxelles, de Berlin ou de Paris n’avait prévu un tel afflux. Un autre exemple qui prouve que l’émotivité a tenu lieu de politique : alors qu’il avait adopté une attitude prudente, voire presque réservée, à l’égard de ce sujet, le chef de l’Etat français a dû changer de pied en voyant l’impact d’une telle image… Madame Merkel, elle-même, ne tardera pas à se recentrer à son tour lorsque la puissante Bavière se déclarera incapable de recevoir des dizaines de milliers de réfugiés, traversant sa frontière avec l’Autriche voisine…

    Que faire ? Je ne sais ? Ou plutôt je sais quelles mesures d’urgence il faut prendre : soigner les gens, les nourrir, les protéger et vérifier soigneusement qui on garde.