Qui est européen?
Vers 1775, vivait en Allemagne un grand savant doublé d’un talentueux homme de lettres. Il se nommait Johann Gottfried Herder et était un ministre du culte protestant. C’était aussi un hébraïsant de première grandeur. Il a rédigé entre autres, un ouvrage intitulé Vom Geist der ebräischen Poesie (De l’esprit de la poésie hébraïque), un ouvrage bien informé sur la littérature biblique ( vétérotestamentaire). Il avait aussi écrit un ouvrage de référence sur les thèmes communs à la culture universelle. Ce fut le temps où l’on croyait en l’infinie perfectibilité de l’homme, un thème si cher à la philosophie d es Lumières. Contrairement à l’attitude de son compatriote Gottlob Ephraïm Lessing, mort en 1780 non loin de Wolfenbüttel, et qui était devenu l’ami du philosophe Moïse Mendelssohn (1729-1786), Herder avait, à l’égard des Juifs, une attitude ambiguë. Dans une lettre adressée à Mendelssohn il a tenu à s’excuser auprès de lui pour son attitude irrespectueuse lors de leur séjour dans une ville thermale où ils prenaient les eaux, chacun de son côté. Herder avait alors ostensiblement ignoré son éminent collègue juifs, ce dont il tint à s’excuser. Dans une autre lettre, Herder écrira que le jour viendra où l’on ne demandera plus en Europe qui est Juif et qui ne l’est pas, qui est chrétien et qui ne l’est pas… Car tous seront des Européens, indépendamment de leur appartenance religieuse, qui sera réduite au rang de simple confession. Les Juifs ont mis plus de deux siècles à être acceptés pour ce qu’ils sont, et encore cela n’a jamais été ni complet ni général. Je ne vais pas dresser la liste des graves manquements dont le continent européen s’est rendu coupable, l’abîme de ces monstruosités récurrentes n’étant autre que la Shoah. On peut dire, néanmoins, que l’identité juive est parfaitement compatible avec la culture européenne puisque les valeurs judéo-chrétiennes, c’est-à-dire bibliques. Et la Shoah n’a pu avoir lieu en Europe qu’à la suite de l’abandon des valeurs morales de ce continent. Au fond, la constitution spirituelle de ce continent n’est autre que le Décalogue qui gît au fondement de notre civilisation. Et l’un des articles cardinaux de ces Dix Commandements n’est autre que le : Tu ne tueras pas. Nous sommes loin de certains agissements qui se réclament à tort ou à raison de certaines doctrines religieuses. Et comme la spiritualité sous-tend la politique, il existe une genèse religieuse du politique. En général, le comportement politique des hommes varie en fonction des valeurs spirituelles en lesquelles ils croient. Et je dois en conclure tristement que, vu sous cet angle, nous ne sommes pas tous des Européens.