Les USA sont-ils dirigés par un authentique homme d’Etat
On pourrait douter du bien-fondé de cette interrogation. Pourtant, la question se pose bel et bien, notamment à la lumière des événements récents où l’actuel chef de la Maison Blanche se voit contraint d’ordonner des actions militaires afin d’éviter un sorte de génocide en Irak, où des minorités religieuses, les chrétiens et les yazidis, sont menacés par les troupes de l’Etat islamique. En un peu plus de trois décennies, la mentalité des USA a fondamentalement changé, tant ses citoyens que sa classe politique ne veulent plus intervenir partout dans un monde en crise. Or, on s’en rend compte ces jours derniers, après de longues hésitations, Barack Obama a décidé d’agir car s’il ne le faisait pas, c’est l’Irak tout entier qui menaçait de devenir un nouvel Afghanistan, ce qui représenterait une véritable catastrophe pour les Etats Unis et l’ensemble de leurs alliés.
Souvenons nous de quelques fortes paroles de l’étincelant Dr Henry Kissinger et de sa prédilection pour les crises réglées à chaud ; il était constamment à l’affut de ce qu’il nommait subtilement les «percées conceptuelles» qu’il avait le talent de transformer en matrice de solutions pour toutes sortes de conflits. On se souvient de la manière dont il a empêché l’armée israélienne de détruire la IIIe armée égyptienne, prise au piège sur le canal de Suez. Ce même dear Henry avait décoché contre le président démocrate Jimmy Carter une phrase passée à la postérité et qui veut bien dire ce qu’elle veut dire : tous les présidents américains ont rêvé de changer le monde mais le président Carter se comporte comme s’il l’avait créé…
Mais aujourd’hui avec le président Obama, nous sommes très loin de ce cas de figure. L’actuel chef de la Maison Blanche a amorcé une repli, certains diront un retrait- sur tous les fronts. Et sa crédibilité en a fortement pâti, non seulement aux yeux de ses adversaires mais surtout dans l’esprit de ses alliés qui comptaient, il y a encore peu, chercher refuge sous ses ailes protectrices en cas de besoin. Les prémices de cette attitude dévastatrice pour la détermination d’une grande puissance, la seule qui existe au monde, se décelaient déjà dans le statut des détenus de la prison de Guantánamo que M. Obama voulait fermer. Confronté au danger que représentent de nombreux détenus, s’ils venaient à être libérés, le président a prudemment remis à plus tard la solution du problème.
Elu sur un programme électoral de tendance démocrate, à la fois généreux et un peu naïf, il a exprimé son indignation en découvrant, ou en feignant de découvrir, les interrogatoires musclés que la CIA a fait subir à des terroristes après les attentats du 11 septembre. Quel honnête homme pourrait le lui reprocher ? Il ne fait pas l’ombre d’un doute que la torture ne correspond nullement à l’esprit démocratique et humaniste de la constitution américaine. Mais ici aussi, les idéaux affichés et les impératifs incombant à une grande puissance, qui a exercé le rôle de gendarme du monde de longues décennies durant, ne peuvent qu’entrer en violente collision. Citons de nouveau Henry Kissinger parlant d’un dictateur barbare et sanguinaire, narcotrafiquant à ses heures : c’est un fils de p…, certes, mais c’est NOTRE fils de p… Sans choquer les âmes délicates, l’ancien conseiller de Richard Nixon prenait le monde tel qu’il était, lui qui avait bien assimilé la célèbre phrase de von Clausewitz : les conflits ne naissent pas de la volonté des hommes mais de la rupture d’équilibre.
Et ceci nous conduit tout droit à la crise actuelle du Proche Orient, on ne parle pas que du conflit armée entre Israël et le Hamas, mais de la grande crise de confiance qui caractérise désormais les relations entre Washington et ses alliés locaux, les régimes arabes dits modérés, et Israël. Il se dit dans les milieux bien informés que Barack Obama est littéralement obsédé par l’Asie et singulièrement par la Chine et qu’il est aussi très intéressé par un arrangement avec l’Iran des Mollahs, misant sur un assagissement progressif, voire une chute du régime, grâce à des moyens pacifiques (commerciaux, diplomatiques ou culturels). Une sorte de révolution de la population aspirant à un meilleur niveau de vie et lassée par les rodomontades et le discours guerrier des thuriféraires du régime. Et l’éviction sans heurt d’Ahmaninedjad l’encourage dans cette voie.
Mais cette politique ne rassure pas vraiment les monarchies arabes du Golfe qui ne veulent pas être sacrifiées sur l’autel des intérêts américains et qui devront un jour faire face, seules, au danger iranien. Cette défiance s’est encore considérablement accrue depuis que l’actuel secrétaire d’Etat US John Kerry a tenté d’imposer une médiation turco-qatarie pour régler le conflit autour de Gaza, tournant le dos à la pièce maîtresse qu’est l’Egypte où le maréchal-président al-Sissi n’a toujours pas digéré que Washington voit en lui l’auteur d’un coup d’Etat alors qu’il se veut, lui, l’homme providentiel, le sauveur de l’Egypte.
Sans même parler du gouvernement israélien avec lequel Barack Obama ne songe même plus à dissimuler ses divergences et ses approches si différentes du conflit en cours. On ne peut pas reprocher à Barack Obama de déplorer les victimes civiles de Gaza mais en agissant ainsi il suscite l’ire de son allié israélien qui lui reproche, in petto, de ne pas comprendre ce qui se passe…
L’une des conséquences de cette impéritie présidentielle est l’émergence d’une coalition qui ne dit pas son nom, celle des déçus de l’Amérique, regroupant en son sein Israël et les pays arabes, alliés traditionnels des USA. L’Egypte, encore elle, n’est pas prête d’oublier le dédain de John Kerry qui a tout fait pour l’écarter des négociations alors qu’elle est partie prenante à toute l’affaire. Sans le pays du Nil, aucune solution durable n’est concevable : même ce fait élémentaire a été méconnu par les USA. Et cela laissera des traces. On relève avec tristesse que l’Amérique ne veut plus se mêler de tout. Et c’est là tout le problème : comment une grande puissance, la seule hyperpuissance peut elle méconnaître à ce point les réalités incontournables de notre monde ?
Il est sûr qu’à Tel Aviv l’establishment militaire se frotte les mains en découvrant que le chef de la Maison a été contraint de se soumettre aux faits sur le terrain et à se départir de sa posture idéologique de non-intervention. L’Amérique peut-elle laisser massacrer des centaines de milliers de réfugiés dans les montagnes arides de l’Irak alors que c’est elle qui a projeté ce pays dans la décomposition et l’instabilité politique ? Peut-elle assister l’arme au pied à des massacres, les mêmes qu’elle prétend dénoncer à Gaza ?
Le successeur de Barack Obama, qu’il s’agisse d’un démocrate ou d’un républicain, aura fort à faire pour restaurer la crédibilité de son pays er rendre compatible mieux une éthique politique avec le statut de grande puissance.