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Vu de la place Victor-Hugo - Page 545

  • L'étonnant parcours politique de M. Erdogan

    Les idées politiques sinueuses de R. T. Erdogan

    Le nouveau président turc est arrivé à ses fins, occuper le poste présidentiel de son pays, comme le père fondateur de la Turquie moderne, avant lui, mais avec des idées en opposition aux siennes. Au fond, jusqu’ici, tout est normal, même si cette évolution n’est guère souhaitable, le programme politique du nouvel élu étant, comme on dit, islamo-conservateur, ce qui heurte frontalement les idées laïques du kémalisme.

    Un mot du succès du chef de l’AKP qui a tout de même à son actif quelques grandes réalisations. M. Erdogan a aidé son pays à sortir du marasme économique, redonnant des moyens de subsistance à des millions de ses concitoyens, arrachés à la pauvreté. Il a permis un taux de croissance qui ferait pâlir d’envie nos pays occidentaux, même si cette croissance a fortement baissé, elle reste tout de même autour de 4%. Ce qui constitue, incontestablement, un record.

    Mais sur le plan des libertés intérieures et de la démocratie en général, le régime de cet homme accuse de très nombreux et très graves déficits. Le premier point négatif est évidemment la dérive autoritaire, la purge du corps judiciaire et des services de sécurité, accusés, à demi mot, de comploter contre le régime alors que leurs membres ne faisaient qu’enquêter sur l’entourage de nouveau président. Dans ce même contexte, la Turquie est actuellement le pays qui a embastillé le plus de journalistes. Quant à la question kurde, en dépit de quelques timides avancées, le problème reste au point mort car cette forte minorité de la Turquie moderne n’est pas réussi à faire valoir ses droits légitimes. Et je n’évoque même pas le contentieux avec le peuple arménien…

    Les points les plus préoccupants relèvent de la politique étrangère. M. Erdogan sait bien que l’Europe ne l’admettra jamais en son sein, comme un partenaire à égalité avec la France, l’Allemagne ou la Grande Bretagne… C’est une évidence, en dépit des pantalonnades de l’intéressé qui, sans le dire vraiment, se réoriente vers d’autres horizons moins glorieux mais qui sont à sa portée : le monde arabo-musulman et les anciennes républiques de la défunte URSS. Et dans cette tentative de s’ériger en puissance régionale incontestée, M. Erdogan a commis quelques erreurs qui trahissent son amateurisme et son caractère emballé et tempétueux.

    A la lumière de ce qui se passe aujourd’hui à Gaza, on voit que M. Erdogan n’a  pas choisi le bon camp et qu’il a dangereusement défié l’Egypte, puissance régionale naturelle au Proche Orient. Le maréchal-président identifie désormais clairement le président turc comme un allié des islamistes alors que lui-même combat fermement les Frères musulmans sur son territoire.  Aux yeux des Egyptiens, M. Erdogan veut ressusciter l’ancien empire ottoman qui régnait jadis sur toutes les capitales arabes de la région. Cela rappelle aux Arabes de mauvais souvenirs, eux qui ne veulent pas d’un leadership néo-ottoman… Al-Sissi lance un projet pharaonique de doublement su canal de Suez, renouant avec les grands travaux que les régimes qui veulent durer entreprennent généralement. C’est aussi un défi aux projets du président turc.

    Dans ses envolées lyriqiues et s brouillonnes qui tournent le dos à la logique des relations internationales, commandant une analyse froide et claire des intérêts bien compris de son pays, M. Erdogan s’est trompé vis-à-vis de la Syrie. Il a d’abord commencé par s’en rapprocher pour s’en éloigner ensuite avec éclat. Il faut dire qu’au début, il a suivi la voie d’une alliance militaire avec Israël dont les pilotes de chasse s’entraînaient dans le ciel turc, à proximité de la frontière syrienne. Le nouveau président a mis fin à tout cela, même s’il laisse son état major militaire prendre livraison des drones commandés à l’industrie israélienne de l’armement ! Au fond, sa main droite ignore ce que fait sa main gauche.. Et je rappelle que les échanges commerciaux entre les deux pays sont inversement proportionnels à leurs relations politiques et diplomatiques. Mais un tel paradoxe ne gêne guère M. Erdogan qui n’est pas un disciple de René Descartes.

    Et la liste des errements de M. Erdogan est encore longue, lui qui se laisse aller à des rêves inconsistants : renouant avec l’ancienne pratique des sultans de la Sublime Porte ( al-Bab al-‘ali) qui allaient rendre grâce à Dieu dans une mosquée du voisinage, lors de leur accession au trône,  l’homme fort du pays est donc allé faire ses dévotions… N’importe quel étudiant de première année à Sciences-Po le lui aurait déconseillé au niveau de la communication et de la bonne image ! Mais l’aurait il écouté ?

    Enfin, il y a l’irritation des USA. Car même M. Obama, qui est loin d’être un foudre de guerre ou un  homme déterminé et résolu, a jugé bon de refroidir un peu les ardeurs de son homologue turc, lequel laisse entendre qu’une nouvelle flottille  va tenter de forcer le blocus de Gaza. Il est peu probable que cela se fasse, mais dans ses visées de domination du monde arabe, M. Erdogan a compris que le meilleur moyen de réaliser ses objectifs était d’instrumentaliser la cause palestinienne..

    Tout ceci ne serait pas très inquiétant s’il n y avait, en perspective, un grave conflit intérieur qui se prépare. Le bouillonnant président veut réformer la constitution de son pays et se refuse à inaugurer les chrysanthèmes… Il ne veut pas régner mais gouverner, comme il le faisait du temps où il était premier ministre… Or, pour y arriver, il faut une majorité des deux tiers au parlement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. L’opposition est abattue mais elle réagira face à la menace d’une changement de régime : en agissant ainsi, ce président islamiste veut donner le coup de grâce aux séquelles du kémalisme.

    Mais ici se pose une grande question : l’armée, bien qu’expurgée de ses éléments les plus laïcs et surveillée de près, laissera-t-elle faire , elle qui a toujours été la muraille protectrice de la Turquie moderne ?  C’est  peu probable.

    Il y a près d’un an, on disait M. Erdogan très préoccupe par le syndrome égyptien où l’armée, justement, a décidé de se défaire d’un régime anti national, enfonçant le pays dans une crise sans fin. Mais comme l’écrivait Karl Marx, l’histoire ne se répète pas.

    L’avenir n’est pas très rassurant. A moins que… à moins que M. Erdogan, une fois au pouvoir, s’assagisse et revienne à de meilleurs sentiments et à une meilleure appréciation de la situation.

    A ce niveau là, les erreurs commises ne pardonnent jamais.

     

    Maurice-Ruben HAYOUN

  • Titre de la noteLe dernier baroud d’honneur du Hamas et les «nouvelles opportunités diplomatiques» de B. Netanyahou

    Le dernier baroud d’honneur du Hamas et les «nouvelles opportunités diplomatiques» de B. Netanyahou

    Certains commentateurs non avisés s’étonnent des quelques salves tirées par le Hamas qui, une fois la mise à feu terminée, s’empresse de revenir en rampant vers la table des négociations, conscient que Tsahal n’a utilisé, jusqu’ici, contre lui qu’une partie infime de ses capacités militaires offensives. Donc, il réclame une trêve tout en s’empressant de souligner que ce sera la dernière et qu’il ne transigera pas sur ses revendications de base. Ce mouvement joue sa survie : s’il n’obtient rien après tant de morts et de destructions, à quoi aura servi la confrontation qu’il a déclenchée ?

    Mais en réalité, sa reprise des hostilités ne fait pas l’unanimité chez les habitants de Gaza, éprouvés gravement par ces semaines de guerre et qui commencent à comprendre que le Hamas mène sa petite guerre personnelle en se servant d’eux. Des voix commencement à se faire entendre dénonçant la décision des terroristes de ne pas accueillir la population civile dans les galeries souterraines lors des bombardements, ce qui aurait divisé par cinq ou dix le nombre de victimes civiles… Alors que sa direction politico-militaire était terrée à près de 30 mètres sous terre, dans les fondations d’un hôpital. Quel héroïsme !

    Enfin, l’arsenal du Hamas a fondu comme neige au soleil et son isolement sur la scène internationale est grand. Même l’Egypte qui joue les médiateurs, a du mal à dissimuler son aversion profonde pour des terroristes qui s’en sont pris à son armée dans le Sinaï en se servant d’un paravent. On ne parle plus des Turcs ni des Qataris dont la tentative de médiation a fait long feu. Quant à John Kerry, on dit qu’il médite ses déconvenues récentes et aspirerait à faire autre chose..

    Ceci nous conduit à dire un mot d’une phrase sibylline de Benjamin Netanyahou concernant des opportunités diplomatiques nouvelles. Les commentateurs pensent au repositionnement des états de la région, devenus enfin conscients du danger que représente l’islamisme à l’état global. On dit bien l’islamisme et non l’islam qui se veut une religion comme une autre, dans l’écrasante majorité de ses adeptes dans le monde. Tous ces états se sont mobilisés pour stopper la progression des djihadistes qui ont commis des atrocités partout où ils sont parvenus à s’installer.

    Pour ma part, je pense que B. Netanyahou a fait allusion à la possibilité de s’engager vraiment dans une voie menant à une solution définitive du problème par des moyens pacifiques. Rattacher la bande de Gaza aux gens de Ramallah neutralisera le Hamas, devenu une simple branche politique et le privera de toute capacité offensive pendant des années. Le temps fera le reste : la corruption, le laisser-aller de l’Orient, le népotisme, la saison chaude, la prostration qui s’abat sur les gens, en feront un parti qui suivra la même évolution historique que son frère ennemi, le Fatah.

    Mais la question qui se pose est la suivante : que va faire la coalition actuellement au pouvoir en Israël où au moins deux hommes de droite ont le vent en poupe. L’annulation sine die de la réunion du cabinet israélien de sécurité n’est pas très rassurante. Certes, aucun danger véritable ne peut venir du Hamas, on l’a déjà dit et répété : si le Hamas n’est pas totalement à terre mais titube encore, c’est parce que les visées politiques de Netanyahou pensent déjà à l’après conflit, au jour d’après… Israël n’a pas intérêt à ce que la partie palestinienne reconstitue entièrement son unité sous l’égide d’Abbas qui pourrait alors renforcer sa position, et cette fois-ci, contre l’Etat juif…

    Mais ce louvoiement, cette manière de finasser (finassieren, comme l’écrivit Walther Rathenau dans une lettre controversée au Kronprinz) ne dureront pas éternellement.  Surtout que le Hamas était non seulement au bord de l’effondrement militaire mais aussi du collapse économique : l’une de ses premières revendications au Caire a été le paiement immédiat de ses fonctionnaires par Ramallah… C’est dire.

  • La relégation des habitants du sud d'Israël, véritables parents pauvres du pays

    La relégation des habitants du sud d’Israël, véritables parents pauvres de l’Etat hébreu Les récriminations fusent de toutes parts : les habitants des localités méridionales d’Israël, celles qui font face à Gaza, depuis la région d’Eshkol jusqu’à Nahal oz, situé à un kilomètre de l’enclave palestiniennes, se plaignent amèrement d’être des laissés pour compte. Ils entonnent une longue complainte contre ce qu’ils nomment l’arrogance de médinat Tel Aviv, c’est-à-dire de l’Etat de Tel Aviv qui se considère comme le pays utile, une entité en soi, par opposition à la notion de Eréts Israël, la totalité, l’intégralité de l’Etat d’Israël. En fait, ces hommes et ces femmes se plaignent d’être la périphérie, les frontières éloignées, par opposition au centre, le seul à compter vraiment. Je viens de parler au téléphone avec des proches qui habitent ces régions là, dont certains se situent à tout juste cinq km à vol d’oiseau de Gaza. Ces habitants n’ont que quinze seconde (je dis bien quinze) pour rejoindre l’abri le plus proche. Imaginez donc les personnes âgées ou malades, à mobilité réduite, sans même parler des enfants en bas âge et les femmes enceintes, susceptibles de subir des fausses couches en raison de la peur des roquettes du Hamas. Ces régions sont généralement pauvres et habitées par des classes sociales peu favorisées. Ceci vaut aussi bien pour Ashkelon que pour Ofakim et Netivot. Mais ce ne sont pas les seules. Et notamment Sedérot. Un sondage, qui ne vaut que ce qu’il vaut, mais qu’il serait dangereux de sous-estimer, indique que près de 20% des habitants de la zone sud refusent de réintégrer leurs foyers, ne font guère confiance aux assurances prodiguées par le gouvernement ou le général commandant leur zone militaire. Comment croire ce qu’on vous dit quand ce même Etat-Major n’a pas prévu les infiltrations de commandos ennemis qui ont fait tant de victimes… L’exaspération a atteint son paroxysme : cela fait des années que les habitants de Sedérot, par exemple, vivent sous la menace de missiles et de roquettes pouvant s’abattre sur eux à tout instant. On comprend que ce soit insupportable : il suffit de voir le nombre de citoyens israéliens réclamant qu’on inflige une leçon définitive au Hamas pour s’en convaincre. Le gouvernement actuel ferait bien de se méfier. Et on annonce une manifestation importante ce soir à Tel Aviv sur la grande place Rabin. Qu’une partie, même réduite, de la population d’Israël, refuse de vivre sous le feu des roquettes, pourrait déjà être considéré, non point comme une victoire du Hamas, on est loin du compte, mais comme un point marqué par les terroristes… On s’étonne que le Premier Ministre qui a jusqu’ici bien mené son affaire, ne s’en inquiète pas plus. Qu’attend il ? Les habitants du sud d’Israël reprochent au gouvernement d’être traités comme des parents pauvres. Ils ne disent pas qu’ils sont sacrifiés, mais si rien n’est fait, ils finiront par le dire. Ils s’étonnent de la pusillanimité de la réaction d’Israël. En fait, la politique à long terme d’Israël manque de clarté, mais cela est voulu. La lisibilité est la suivante : la classe politique ne veut pas éradiquer le Hamas qui est un gros caillou dans la chaussure de Mahmoud Abbas. C’est la raison pour laquelle l’armée elle-même dose soigneusement ses frappes mais refuse, pour le moment, à s’en prendre à la direction politico-militaire du Hamas. Israël veut un Hamas très affaibli mais vivant tout en étant moribond, empêchant une forte unité palestinienne qui serait alors en position d’imposer la création d’un Etat. Avec tout ce que cela implique concernant le tracé des frontières. Et dans ce calcul un peu sinueux, les habitants du sud d’Israël sont considérés un peu comme un pion qu’on déplace suivant le niveau où l’on oriente le curseur. Est ce que cette attitude est juste, est elle éthique ? Non point, mais Israël est un Etat et les affaires de chaque Etat sont, comme on le dit avec euphémisme, diverses et variées. Mais certains ne sont pas loin de penser qu’il n’est pas convenable d’exposer continuellement les mêmes populations au même danger. L’unité de la nation pourrait en souffrir.