Les bâtisseurs, A Martin BUBER
De la loi
Pour Monsieur Elie CHETRIT qui est lui aussi, à sa façon, un bâtisseur.
Tous tes fils seront des disciples de Dieu et grande sera la paix de tes fils (Isaïe 54 ;13). Ne lis pas banayikh, tes fils mais plutôt bonayikh, tes bâtisseurs.
Très estimé ami,
En lisant vos Discours sur le judaïsme, je m’étonne de voir qu’ils forment aujourd’hui un petit recueil de toute une décennie et que vous êtes devenu le héraut et le défenseur de nos générations, la mienne autant que la suivante. Dans le vif débat dans lequel une première lecture de ces Discours a entraîné nos pensée, on pouvait perdre de vue ce fait ; mais en les parcourant de nouveau à tête reposée, sans en faire une lecture objective mais avec, comment dire, une certaine excitation autobiographique, il nous apparaît alors clairement que ce sont là nos propres mots que vous avez été le premier à prononcer.
Comme le montre l’introduction, vous avez été vous aussi sous l’emprise d’une rétrospective autobiographique en relisant globalement ces huit discours. Non pas dans l’esprit d’une rétrospective historique car vous n’aviez pas encore le recul nécessaire, ni par rapport à vous même ni par rapport aux Discours en question. Il s’agit plutôt d’un examen personnel du passé à l’aune du présent et en vue de l’avenir. Vous savez combien je me sens justement proche de l’auteur de cette introduction. En la lisant pour la première fois il y a quelques mois, j’accueillis en toute bonne foi l’assurance que votre état d’esprit actuel à partir duquel vous vous penchiez sur le chemin parcouru ne représentait pour vous qu’une clarification et non pas une conversion. C’est seulement ayant maintenant ces paroles en mémoire que je procède à une relecture de vos propos d’alors et que je comprends comment vous avez pu dire ce que vous avez dit et que vous êtes le seul à pouvoir le faire. C’est que la parole ne demeure pas l’apanage exclusif de son auteur ; celui auquel elle s’adresse, celui qui l’entend et ceux qui la relèvent, tous ceux là en deviennent les copropriétaires. La fortune que cette parole connaît auprès de ces personnes est bien la leur, voire même bien plus que ce qu’entendait son auteur originel en la prononçant. Or, pour les auditeurs et les lecteurs de ces Discours, cette nouvelle introduction résonne plus comme une conversion que comme une simple clarification. A vos yeux, il ne s’agissait que d’une clarification car vous êtes resté le même, mais pour vos paroles il s’agissait bien d’une conversion, une authentique métamorphose.